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Si la crise du roman avait une portée un peu profonde, c'est qu'elle était un des symptômes d'un drame intellectuel.
On entrait, dès la fin du XIXe siècle, dans un monde où faisait défaut la certitude : la science paraissait avoir trahi beaucoup d'espoirs aux yeux des hommes de cette génération. Peu à peu, l'apport du bergsonisme, puis celui du freudisme et de la nouvelle physique remettaient en question toutes les structures sur lesquelles on vivait : psychologiquement, la guerre de 1914 portait le coup de grâce à un monde qui se croyait encore solide.
De 1880 à l'après-guerre, on voyait se dissoudre la notion d'individu et de caractère : le moi apprenait bientôt qu'il s'échappait à lui-même et qu'il était miné de conflits souterrains. Il apprenait aussi qu'il usait d'une notion du temps qui lui était commode ; mais qu'elle lui masquait ce qui faisait l'essence de sa vie : la durée. Et voici que la science se mêlait de rappeler à grands fracas ce que les moralistes avaient si souvent aperçu que tout observateur est enfermé dans un point de vue limité que nul ne peut prétendre posséder sur le réel une vue omnisciente : le contact était définitivement perdu avec l'absolu.
Les romanciers n'avaient plus qu'à assimiler ces révélations et donner des images de ce monde cassé. Ils l'ont fait d'abord avec un culte de l'art et de la beauté qui reste la marque de ce temps que nous avons étudié : toute une culture entreprenait alors de rendre compte d'une crise de la culture. C'est à cette rare alliance qu'on doit les grandes oeuvres où s'affirmaient la complexité de la personne, la découverte de la durée intime, la relativité des points de vue et les déformations que font subir au réel ces légères aberrations d'optique si propres à susciter des merveilles.
Ulysse, Les Faux-Monnayeurs, A la Recherche du Temps perdu, Contrepoint témoignaient d'un drame intellectuel qui passait de beaucoup ces réussites littéraires, mais dont elles étaient le précieux reflet. Michel Raimond
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