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Riche de 671 documents, la correspondance qu'ont échangée Sigmund Freud et Ernest Jones entre 1908 et 1939 clôt la publication des lettres les plus importantes de Freud aux pionniers de la psychanalyse. Plus que toute autre, elle mérite ainsi que Riccardo Steiner le souligne dans une introduction éclairante d'être lue et interprétée comme une pièce essentielle dans notre reconstruction actuelle de cette période du passé.
C'est la plus étendue dans le temps : trente et un ans de l'histoire du monde et de la psychanalyse, trente et un ans d'une relation compliquée, ambiguë entre deux hommes que tout sépare sauf leur passion pour la Cause psychanalytique. L'aîné se défie de ce Gentil ambitieux, porté aux errances amoureuses, alternativement trop diplomate et trop cassant : " Ne vous précipitez donc pas ainsi sans jamais prendre le temps de vous reposer, vous avez tout le temps devant vous, écrit en 1911 l'homme de cinquante-cinq ans au disciple de trente-deux ans... Celui-ci se sent mal aimé et multiplie les efforts pour triompher de ses rivaux dans l'estime du maître, pour se montrer le plus prévoyant et le plus fidèle des paladins.
Constamment imprégnés des évènements du XXe siècle, de la Première Guerre Mondiale à la montée du nazisme, ces lettres et ces billets qui se succèdent parfois à la hâte apportent des informations précieuses sur les enthousiasmes et les luttes internes qu'accompagnèrent la naissance puis l'expansion du mouvement psychanalytique, comme sur les différends théoriques et pratiques qui les déchirèrent. Ernest Jones reste proche de Freud lors des défections d'Adler, de Stekel, de Jung, de Ranks et lors de l'éloignement de son ancien analyste S. Ferenczi. Il se veut son représentant privilégié en langue anglaise, ce qui n'ira pas sans heurts avec les psychanalystes américains mais conduira à l'édification du monument de la Standard Edition.
Freud se montre souvent dur avec lui, injuste même, et c'est à propos de femmes qu'il s'exaspère le plus : Loe Kann, Joan Rivière, Melanie Klein surtout. N'est-ce pas d'ailleurs sur le thème de la sexualité féminine, plus encore qu'au sujet de la théorie de l'angoisse, de l'analyse profane, de la télépathie ou de l'identité de Shakespeare, qu'Ernest Jones osera prendre dans les années trente quelque distance avec la pensée freudienne ?
Il n'empêche. Un lien affectif contrasté par son ambivalence ne cesse d'affleurer au long de cette passionnante correspondance. En 1939, au lendemain de la déclaration de guerre, à trois semaines de la mort de Freud, la dernière lettre de Jones en témoigne : " Ce moment critique me paraît propice pour vous exprimer une fois de plus mon dévouement personnel envers vous, ma reconnaissance pour tout ce que vous avez apporté dans ma vie et ma profonde sympathie pour toutes les souffrances que vous endurez. Nul ne peut dire si nous verrons la fin de cette guerre mais, en tout état de cause, ce fut une vie très intéressante et nous avons tous deux contribué à l'existence humaine, quoique à des degrés très différents.
Alain de Mijolla.
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