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De théâtricule en palais des Sports, de lieux branchés en salles de concert confidentielles, lieux aujourd'hui mythiques, disparus ou détournés de leur vocation (comme L'Écluse transformée en bar à vin) nous parcourons dans cet ouvrage toute la planète chanson ; visite guidée, dans le temps et l'espace, d'une période dont les débuts coïncidèrent avec mon arrivée à Paris et mes premiers pas dans le monde des chansons.
Artistes débutants devenus depuis emblématiques, la piétaille et les stars, les anciens et les prochains, toute la faune chantante est présente dans ce livre.
À cette époque, j'étais plutôt auteur-compositeur que chanteur. Je me faufilais dans les cabarets et les music-halls pour y écouter mes aînés, soutenir mes confrères et proposer des chansons à l'espèce qui se faisait rare des chanteurs qui n'écrivaient pas les leurs. Cela me permettait d'être sur tous les fronts, en première ligne ou au fond de la classe.
La Fontaine des quatre-saisons, La Rose Rouge, étaient de véritables institutions. Le Tabou, Le Vieux-Colombier existaient encore.
J'apprenais, je scrutais, je découvrais.
J'assistais à la naissance des nouveaux venus, Colette Chevrot, Pia Colombo, Joël Holmès, Maurice Fanon, Anne Sylvestre, Pierre Perret, Jean Ferrat et, plus tard, Coluche passé de la plonge aux chansons de Bruant puis à la carrière que l'on sait, Brigitte Fontaine, Areski, Rufus, Higelin disciple de Crolla jouant de la guitare dans la cuisine de Bernadette (Chez Bernadette, rue des Bernardins), Jean Yanne et son guide-chant à La Galerie 55, Henri Garcin, Batave à l'humour anglais qui distillait ses monologues au cabaret avant d'aller brûler les planches au théâtre et se frotter aux sunlights du cinéma. Au Cheval d'or on découvrait Devos, Suc et Serre, Petit Bobo.
Impossible de les citer tous.
Inlassablement, je traînais au Port du salut où, au bar, commençaient et finissaient les nuits avec Boby Lapointe, Richard Marsan, Éric Vincent, Jean-Pierre Maury et tant d'autres ; chez Milord l'Arsouille où Francis Claude, bateleur aristocrate, présentait son écurie de talents inoubliables (de Hélène Martin à Gainsbourg en passant par Dufilho, Rémi Clary, Michèle Arnaud, Bernard Lavalette) ; au College Inn (qui oubliait de remettre à jour son affiche et proposait une pléthore de chanteurs dont certains n'étaient plus de ce monde) ; à La Colombe où dans une minuscule niche les ACI (auteur-compositeur-interprète) avaient de la peine à caser leur guitare mais donnaient ses lettres de noblesse à cet art prétendu mineur qu'est la chanson, au Caveau de la Bolée avec ses joueurs d'échecs et ses sociétaires perpétuels, à La Polka des mandibules qui révélait Jean-Claude Darnal, Eva et Hugues Aufray.
C'était notre jeunesse, l'adolescence de certains, c'étaient nos rêves, nos amours, nos espoirs, nos utopies, le jazz côtoyait la chanson, le théâtre perçait dans les sketches de Jean Poiret et Michel Serrault, Philippe Noiret et Jean Pierre Darras ou Pierre Richard et Victor Lanoux. Romain Bouteille n'avait pas encore inventé Le Café de la Gare, Le Splendid allait bientôt naître, à l'Écluse, Barbara, la longue dame brune, était encore la chanteuse de minuit, L'Échelle de Jacob était le fief de Brel et Fernand Raynaud, Les Concerts Pacra étaient le passage obligé pour ceux qui aspiraient à passer des caves de la rive gauche aux lumières de la rive droite. Leclerc, Brassens, Ferré étaient déjà sacralisés, Catherine Sauvage prêtait sa voix aux plus belles poésies chantées, Gréco, toujours sombre et belle.
On peut constater que toutes les escales que propose l'itinéraire de Jean Lapierre me rappellent des moments intenses passés dans la salle d'attente du succès, dans les coulisses des espérances, sous la chaleur des feux de la rampe.
Je ne prétends pas faire oeuvre de préfacier pointilleux et documenté en écrivant ces quelques lignes ; j'ai voulu étaler en vrac - avec amitié et gratitude - sans prétendre être exhaustif, quelques réflexions, souvenirs et émotions qu'a suscités en moi La Chanson de Paris de Jean Lapierre.
Georges Moustaki
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