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Un petit port avec ses pêcheurs d'huîtres, son débit de boissons, ses marins, sa putain locale, et Jim, le pauvre nègre transi. Et tout à coup la brutalité, le sadisme collectif se déchaînent et l'on assiste - sous couvert de moralisation - à un spectacle abominable, écoeurant. Les atermoiements de la police locale, la lâcheté, la veulerie, la sauvagerie des uns, l'impuissance désespérée des autres font de ce livre un témoignage impitoyable.
Jim est saoul. Jim tue une femme blanche. Malheureusement pour lui, Jim est noir, ce qui est déjà un crime dans les Etats-Unis des années 1930. Publié en France en 1951, ce roman noir de Don Tracy est réellement un ouvrage important sur le thème du racisme, à l’instar du « Chien blanc » de Romain Gary, bien plus tardif. Bien entendu, l’auteur ne minimise nullement l’acte du « nègre » mais là n’est pas son propos, même s’il métamorphose le meurtrier en victime, dans une scène d’une violence insoutenable. Non, ce qui l’intéresse est d’étudier et de démonter les processus psychologiques qui mènent à la justice expéditive (le lynchage) et à l’hystérie collective. Il place au départ un événement qui engendre les préjugés de toute une population vis-à-vis d’êtres humains considérés comme des animaux : ils sont irresponsables, puérils, fainéants (mais bons danseurs !). Ces idées préconçues sur une bonne partie de l’humanité conduisent à transformer une parodie de justice en un spectacle digne des jeux romains. Mais au-delà de cet événement atroce, Don Tracy analyse également les différentes réactions de plusieurs personnes en particulier. Car le racisme, c’est comme la peste, tous n’en meurent pas mais tous en sont frappés. Ainsi Al, ami d’enfance de Jim, blanc instruit, épris d’idées progressistes et égalitaires, se retrouve-t-il à hurler avec la meute assoiffée de sang et de bastonner le corps sans vie de son copain. Ainsi, dans les couples, les femmes poussent-elles leurs époux à participer à l’émeute hurlante. Ainsi, les autres noirs font-ils profil bas : ils se terrent chez eux ou fuient la ville. Ainsi les communistes, venus pour des raisons politiques, renient-ils leurs opinions emplies de revendications sociales. Que faire face à la cruauté portée à son paroxysme, avec la complicité de la loi (le shérif) et du pouvoir (le gouverneur) ? Pourquoi risquer sa position sociale pour défendre un « nègre » ? Pourquoi risquer sa propre vie ?
Mais la bête, quand elle a goûté au sang, elle en veut toujours plus. Alors elle cherche d’autres boucs émissaires. Quand il n’y a plus de noirs pour une bonne ratonnade, il y aura toujours bien un juif, un arabe, un homosexuel, un communiste, un journaliste, quelque part, en ville. La violence fait tache d’huile et se répand très lentement, en douceur dans les esprits et dans les cœurs.
Roman américain courageux, « How Sleeps the Beast » nous pose plusieurs questions, toujours très actuelles. Premièrement, comment réagirions-nous, nous, indignés par les actes de ces personnages de fiction, face à une telle démonstration de force aveugle ? Aurions-nous réellement le courage d’agir ou alors ferions-nous le dos rond ? Ensuite, à plusieurs reprises, Don Tracy fait tenir à ces gens-là des propos (valeurs de la suprématie blanche, minorités inutiles, profiteurs et assistés sociaux, justice lente et inefficace…) encore entendus, il y a peu, dans un reportage sur l’extrême-droite américaine. Mais ces affirmations ne sont pas propres aux Etats-Unis. Vivant dans un pays au passé colonial trouble (le Congo belge), j’entends encore ces paroles à propos des noirs (et de bien d’autres) dans la bouche de certaines personnes. Si bien que la bête immonde est toujours là, tapie dans l’ombre des consciences, n’attendant qu’un détonateur pour cracher à la figure de tous les humanistes, de tous les démocrates, de tous les hommes de bonne volonté.
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