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Chez Kleist, l'invention du roman, la construction des personnages, le nouement des intrigues, les formes des dénouements, plus ou moins impossibles, relancent un procès permanent. Les accusateurs sont partout. La défense est difficile ou risquée. La vraisemblance de ce que l'on appelait naguère des « caractères » est constamment menacée par des embûches, des obstacles invisibles ou colossaux, des renoncements et des aveuglements. Hombourg, Kohlhaas, la marquise d'O. expriment la « splendeur du sentiment », c'est-à-dire des manières d'agir et de réagir « selon le coeur ». Ils se battent aussi contre l'arrogance des puissants, de tous les importants sans importance.
Dans ce combat, Kleist n'attend aucun secours des philosophes. Il a conçu son oeuvre pour contester l'apparence raisonnable des mondes environnants, mais sans postuler une nouvelle reconstruction. Les maximes de Kant ont compté et comptent encore dans l'idée que l'on se fait de nos pensées personnelles et désassujetties. L'objectivité, les lois scientifiques, les fonctions de vérité, la logique sont-elles neutres et éternelles ou dépendent-elles de la vision du monde des hommes de savoir ? Les actes romanesques des personnages de Kleist parlent de la fin du monde unifié ; leurs rôles fictifs conservent en eux les mystères ou les énigmes de cette désunion. Kleist n'entre jamais dans la discussion philosophique de son époque, il oppose aux leçons de morale, aux palabres de toutes sortes que suscitent les directeurs de conscience, le dialogue non édifiant que portent son livre, son drame, son roman et toute sa prose poétique.
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