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Tout commence avec Paul Valéry, se moquant des conventions du roman, quand la littérature s´y prend les pieds : « La marquise sortit à cinq heures... » Depuis, c´est une phrase étendard : parce qu´il y en a tant, de livres et même de ceux qui se vendent et se vendent, qui prennent les recettes de l´illusion sans les remettre en chantier, les questionner. Non, « la marquise sortit à cinq heures » ne fait définitivement rien sortir de la langue. Sauf ici.
Disons d´abord que c´est un jeu, une jouissance. Pas un amoureux de Simenon qui ne connaisse Lognon, dit le mal gracieux. Mais d´autres personnages de Simenon, des lieux aussi (le Picratt´s, le boulevard Lenoir, vont surgir dans le récit). Parce que, si la marquise est sortie, c´est lié à des tas et tas de choses louches. Et qui n´a pas sommeillé devant un Nestor Burma à la télévision ? Mais qu´on gratte encore un peu plus les strates d´écriture sous Kill that marquise, on verra passer - comme Fellini qui fait danser Proust et Kafka -, ledit Marcel, Emma Bovary ou Victor Hugo et bien d´autres. Et ça se complique même un peu lorsque des auteurs réels de romans policiers utilisent eux-mêmes des pseudonymes tirés de Simenon, et qu´ils viennent croiser le texte avec extraits de livres pour de vrai.
Alors, exercice intellectuel où s´ennuyer et se perdre ? Que non. Voyez la Disparition de Perec : c´est pour de vrai un roman policier, et qui n´est pas prévenu tombera parfaitement dans le panneau tendu.
L´art du jeu, c´est de créer une machine plus forte que vous, qui vous emporte où vous n´avez pas prévu d´aller. Michel Brosseau a lancé le 4 janvier 2010 un feuilleton quotidien sur le web, où les personnages ci-dessus évoqués, et cette marquise qui sort à toutes les heures, se croisent avec des anecdotes sociétales réelles. C´est un blog, distinct de A chat perché, le blog principal de l´auteur. Mieux, la marquise aura elle-même sa page Face Book pour se défendre de tout ce monde-là.
L´expérience dure 150 jours, et autant d´épisode, et se clôt en juin dernier. La marquise est définitivement devenue roman Internet. Avec ce que ça comporte : on parle du tabac ou de la boule de fort, des liens vous embarqueront dans le monde réel. 150 épisodes qui se croisent et se décroisent, avec leurs galaxies baroques d´événements et de personnages : les liens dans le texte renvoient au blog (et ses images), on se promène dans le texte lui-même. Les commentaires se greffent et influent sur la marche du roman : les liens vous embarqueront vers l´intervention des lecteurs en cours d´écriture. Et puis les Vases communicants : le 1er vendredi de chaque mois, on va tous écrire les uns chez les autres, bonne façon de découvrir, faire connaissance. Alors, à plusieurs reprises, un épisode de Kill that marquise va être confié à un autre auteur...
Et on fait quoi quand ça finit ? Justement, c´est peut-être là que la Marquise invente l´édition numérique : là où le blog accompagne le chemin, l´édition numérique retransforme ce chemin en livre, mais un livre ouvert, multiple, neuf.
Ah, quand même, un petit détail : si nous avons déjà accueilli Michel Brosseau sur publie.net avec Mannish Boy, plus près de Julien Gracq (qui traverse réellement le texte), et le début de carrière d´un jeune enseignant au temps du rock´n roll, Michel est réellement auteur de romans policiers. C´est comme les prestidigitateurs ou les funambules : faire un vrai roman policier en jouant des ficelles du roman policier, ça ne s´improvise pas. Il faut déjà connaître un peu ses bases. Nous, ça va, on a nos bases de lecteurs : que Lognon ici (et le jeune Lapointe bien sûr) avec joie renverse.
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