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"Autant vous prévenir tout de suite, cet ouvrage est dangereux.
J'en décommande la lecture à qui veut raison garder. Raison, mais aussi protection d'un toit, chaleur d'un foyer, estime de ses collègues, toutes ces sécurités éphémères qui font qu'un homme parvient, tant bien que mal, en titubant parfois, à traverser cette existence, de bout en bout, jusqu'au bout. Ne commencez pas ce livre, vous risqueriez de le finir. Ces pages sont subversives. La censure aurait dû sévir.
Liberté d'expression, d'accord, mais où va la République si des énergumènes comme Raphaël Stainville contaminent, par leur fougue, leur foi, leurs pas ardents et leur plume allègre, d'autres jeunes ? S'ils les incitent à quitter les villes sédentaires, les existences somnolentes, les écrans loftisés, les conformismes aseptisés ? Où va-t-on, je vous le demande, lecteurs graves et sensés, si la jeunesse se lève dès potron-minet, quitte papa, maman, frères, soeurs, amis, veaux, vaches, télé, boulot, métro, dodo, et abandonne l'ordre installé de ses pas silencieux et pacifiques pour croiser vers une destination sacrée qui échappe à la tutelle des maîtres du soupçon ? Ces lignes véhiculent un virus méconnu, celui de la " pèlerinite aiguë ".
C'est un mal subtil et difficilement extirpable. Il naît d'une insatisfaction spirituelle, d'une inquiétude mystique. C'est le propre de l'homme que de vouloir oublier qu'il est fait pour l'Infini et tatoué par l'Absolu. Il y réussit assez bien depuis la Tour de Babel, le Veau d'or et cette interminable progéniture d'idoles qui se clonent depuis le premier péché. Or le poison de la pèlerinite réveille l'appel du coeur profond : " Quitte ! Pars vers la terre que je te donnerai ", l'ordre de Dieu à Abraham, le grand-père des croyants, résonne à l'intime de chaque être comme une loi de Vie, afin de le faire échapper à l'endormissement sédentaire et lui rappeler sa vocation de sainteté.
Chez certains plantigrades, cette démangeaison d'âme débouche, un jour ou l'autre, sur le départ fatal où les proches du malade l'accompagnent, dans l'aube blafarde, les traits tirés, la larme à l'oeil, l'inquiétude au coeur (" Mais qu'est-ce qui lui prend ? "), comme la famille d'un condamné à mort. Voilà ce qui est arrivé à Raphaël Stainville, le 10 juin 2000, au petit matin. Le pèlerin est un condamné à mort qui choisit de ressusciter par les pieds...
" (Luc Adrian)
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