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Lorsque deux frères se lancent dans l'ascension de la montagne sur laquelle leur père s'est tué quinze ans plus tôt, leur histoire les rattrape. Entre peur du vide, petite forme, mauvais temps et souvenirs douloureux, la randonnée tourne au chemin de croix. Mais pour le narrateur, dont le premier enfant naîtra dans quelques semaines, impossible de faire demi-tour : ce sommet est une obsession et un passage obligé avant de devenir père à son tour.
S’il y a bien quelque chose qui m’effraie, jusqu’à me donner la nausée, ce sont les espaces vides, les hauteurs vertigineuses, les précipices sans fond. J’aime aller en montagne, j’aime même m’y promener, mais je n’aventure pas plus haut que nécessaire. Je laisse à la montagne son monopole, sa hauteur et sa puissance, je laisse ceux qui y prennent du plaisir affronter ses parois rocheuses, parce que je ne suis pas taillée pour les affronter. MA l’est. Et il a toute mon admiration d’acrophobique. C’est cette passion qu’il partage ici, dans ses bons, et surtout ses pires moments, et son défunt père, Xavier Gauthey, cet instant d’inattention ou de hardiesse qui lui a enlevé son père, victime d’une chute mortelle en pleine ascension du Pic du Midi. Ceci est donc un roman à vocation autobiographique.
L'auteur nous emporte avec lui sur les versants escarpés, et j’estime que c’est un beau privilège puisque je n’aurai certainement jamais l’opportunité de les admirer par moi-même. Marc-Arthur Gauthey narre diverses ascensions, certaines couronnées de succès, d’autres qui tournent au calvaire, mais la plus importante semble-t-il est celle qui le mènera dans les pas de son père en même temps que l’assimilation de sa perte. Retrouver ses traces pour comprendre son état d’esprit, reconstituer la chute fatale et clore un chapitre, qui a laissé des blessures, invisibles mais encore vivaces, à son frère Pierre et à lui-même. D’autant que la famille paternelle, d’un zèle religieux qui frôle le bigotisme, n’a rien fait pour soulager la vie des deux jeunes garçons.
Moi, qui ne suis à l’aise que lorsque j’ai les deux pieds sur la plancher, j’ai particulièrement apprécié de vivre par procuration toutes les aventures de Marc-Arthur Gauthey, qui nous fait profiter autant de ses sensations d’alpinistes que de ses souffrances, qui font montre d’une ténacité et persévérances estimables. D’autant que son écriture si simple mais à la fois tellement éloquente et sans détour, comme il semble l’être lui-même, réussit à chaque fois à capturer les mots qui conviennent parfaitement. On ressent, sous-jacent, ce lien ambigu qui le lie à la montagne, qui apparaît comme une bouffée d’oxygène pour lui, indispensable, mais à la fois un ennemi redoutable, dont il faut se méfier. Le mal des montagnes, pour Marc-Arthur Gauthey, ce n’est pas vraiment cette perte progressive des sens mais cette peine sur laquelle il doit mettre un point final.
Pour Marc-Arthur Gauthey, tout est une question de raison.de limites et de bon sens. Que Xavier Gauthey n’a pas eu au jour critique. Tout est une question de vide. Les vertiges d’une perte absurde qui laisse un creux au corps, le mal des montagnes qui fait perdre toute raison, qui a emporté ce père, hermétique et exigeant, malaisé à comprendre, mais tant aimé, fracassé aux flancs de montagne.
Le pic du midi d’Oiseau, une merveille de nom, la chapelle du narrateur, de Pierre son frère, qui célèbrent la mémoire de ce père, qui a laissé son dernier souvenir à la montagne, haut lieu du silence absolu. Revivre, grimper, comprendre que la montagne est seule Dieu en son monde et que l’alpinisme est une religion, sans paradis ni enfer, une foi qui se partage. Roman de la perte, du deuil, du combat et de l’amour de la Montagne. Refaire, restituer les pas pour commencer à accepter et passer à autre chose: c’est une sorte de transition, passage à l’état adulte Marc-Arthur Gauthey parle lui-même de parcours initiatique, que cette ascension fraternelle. Afin de mieux laisser le passé derrière soi, et ses mauvais souvenirs, le décès d’un père, le rejet, les manigances et la bassesse d’une famille qui n’a de noble que son nom.
Et moi de même je me suis rattachée à la cordée que forme le narrateur et son frère, pour gravir la découverte de l’alpinisme. Cet air glacé nous frappe le visage, on ressent le souffle de la douleur mais du plaisir aussi, de l’effort, de la réussite, d’avoir réussi à dompter les pentes le temps d’une ascension. L’écriture représente la vie, ce flux de vie qui marche et grimpe inexorablement. C’est un roman qui a évolué au gré de l’écriture de l’auteur, dont la maison d’éditions donne une interview: il est passé du carnet de voyages, en Colombie, marqués par cette même passion de l’alpinisme, que j’ai particulièrement dégusté, car on se détache un peu de ce cadre préconçu d’un homme emmitouflé dans sa combinaison et surpassé par des sommets enneigés. On y goûte une autre vision de l’escalade, toute aussi hostile, ou inenvisageable en ce qui me concerne (je ne me suis pas encore remise de ma sortie de skis d’il y a quinze ans, c’est pour dire…) mais toute aussi savoureuse à la lecture. C’est un roman, plein d’humanité, d’un homme incapable d’une haine aveugle et sourde, d’une rancœur tenace, d’une aversion totale, d’un jeune homme qui devient un homme mesuré et ouvert. D’ailleurs le site des Éditions de la rémanence précisent qu’il occupe un poste clef dans une ONG de sauvetage en mer.
En sus de quelques traits d’autodérision – j’ai spécialement goûté les piques bien senties néanmoins méritées à la (détestable) famille paternelle et au nom à rallonge qu’il s’est évité – on assiste à une belle démonstration d’alpinisme et de sagesse. S’il y a bien deux leçons que Marc-Arthur Gauthey a appris, et nous transmet volontiers, à travers ses expériences dans des milieux difficiles pour les bipèdes que nous sommes, c’est d’apprendre à compter sur l’autre et la modestie face à la démesure des hauteurs alpestres, sur lesquelles finalement l’homme n’a que peu de prises. La fin du roman en est l’illustration
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