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Qu'on ne s'y trompe pas : cet ouvrage va bien au-delà de son sujet immédiat - la manière dont on parlait, dans les années 2000, au sein des familles allemandes, de l'époque nazie et de la Shoah. Il concerne, par ses méthodes, son cadre d'analyse, voire ses conclusions, tous ceux qui en France ou ailleurs - historiens professionnels, anthropologues, sociologues ou lecteurs en quête de compréhension de situations et d'époques particulières - ont à définir les mécanismes de la transmission de la conscience historique, donc à confronter la mémoire sociale et la mémoire familiale.
Au fil de quarante entretiens familiaux et cent quarante-deux interviews individuels sur les histoires vécues du passé national-socialiste et transmises entre les générations, il apparaît qu'à « la mémoire culturelle » (celle qu'une société institue à une époque donnée sur un certain passé à travers célébrations, discours officiels et enseignement) s'oppose « la mémoire communicative », non plus cognitive mais émotionnelle, ciment de l'entente des membres d'un groupe (parents et proches) sur ce qui fut leur passé vrai, et constamment réactivée dans le présent d'une loyauté et d'une identité collectives.
Ainsi se transmettent dans les familles d'autres images du passé national-socialiste que celles diffusées à l'école - avant tout relatives à la souffrance des proches, causée par le mouchardage, la terreur, la guerre, les bombes et la captivité. Cette transmission concurrentielle des idées et des images concernant le passé dans le contexte de la discussion familiale définit le cadre d'utilisation et d'interprétation du savoir historique enseigné : les programmes d'éducation ne peuvent rien contre la perpétuation de représentations romantiques et enjolivées. Paradoxalement, il semble que ce soit justement la réussite de l'information et de l'éducation sur les crimes du passé qui inspire aux enfants et petits-enfants le besoin de donner à leurs parents et leurs grands-parents, au sein de l'univers horrifique du national-socialisme, une place telle qu'aucun éclat de cette atrocité ne rejaillisse sur eux. Ces thèmes familiaux, transmis sous forme non pas de savoir mais de certitude, convainquent pour finir les gens qu'ils n'ont pas de « nazis » dans leurs propres familles : « Grand-père n'était pas un nazi. »
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