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Une des grandes constances de ma vie aura été de vouloir connaître Gainsbourg. Cette volonté m'est venue dès 1958 alors qu'écoutant Le poinçonneur des Lilas, je m'interrogeais : quel cerveau, quelle âme, quel homme cache cette voix nouvelle ?
Treize ans plus tard, à la suite d'une overdose d'héroïne - résultat d'une étourderie formidable doublée d'un défi semi-conscient-, je me trouvai paralysé, légume humain sans pensée, ni mémoire, dans une chambre carcérale de clinique de banlieue. Agonie et résurrection : une enfant de dix-sept ans eut l'idée d'offrir L'histoire de Melody Nelson à mes oreilles mortes. Le miracle eut lieu. Grâce au son gainsbourien, à la poésie de Gainsbourg, à la musique de Gainsbourg, ma machine mentale se remit en marche. Les ineffables sonnets de Melody ont précédé dans mon mémorial, Rimbaud, Mallarmé, Baudelaire, Aragon.
J'ai connu le provocateur en juin 1987. N'ayant rien de commun avec lui, hormis ce siècle et notre génération, je croyais n'avoir rien à partager avec ce non-semblable. C'était compter sans cet empire de la révélation qui rapproche les contraires. "Tout ce qui est atteint est détruit", écrit Montherlant dans une maxime fameuse. J'ai atteint Gainsbourg et -de moi à lui- rien n'a été détruit de mon admiration : ni dans l'artiste de génie ni dans l'homme singulier.
Yves Salgues
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