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Il y a un " cas " Lanceray, qui repose sur une double originalité.
L'une, qu'on pourrait appeler dynastique, et l'autre, artistique. Evgueni (Eugène) Lanceray, un des plus grands sculpteurs russes, est le descendant direct d'un Français arrivé en Russie en 1812, dans le sillage de Napoléon. Sérieusement blessé, il ne se joignit pas à la Grande Armée en retraite. Au contraire, resté sur place, il épousa une aristocrate balte, la baronne Olga Karlovna von Taube, qui lui donna un fils, Alexandre.
Simple ingénieur des travaux publics, celui-ci donna à son tour naissance, le 12 août 1848, au prodigieux sculpteur de chevaux que cet ouvrage va nous faire (re)découvrir, et premier rejeton d'une incroyable descendance d'artistes.
Depuis lors, en effet, et de génération en génération, l'aîné des garçons - toujours prénommé Evgueni - se révèle doué pour les arts. Du côté des filles et des femmes, la fertilité (artistique) est tout aussi impressionnante.
En 1874, Evgueni 1er épouse Catherine Nikolaïevna Benois, qui appartient à une grande famille d'architectes (d'où sera issu, plus tard, un des décorateurs préférés de Diaghilev). De ce mariage naîtront six enfants. L'aîné - Evgueni, bien sûr - deviendra un peintre fameux (1875-1946). Un autre fils, Nikolaï, sera un des principaux architectes du style dit " stalinien ". Enfin, une de leurs filles, Zinaïda (devenue par mariage Sérébriakova), fuira la révolution bolchevique pour se réfugier à Paris, où deux de ses enfants connaîtront à leur tour la célébrité comme peintres, illustrateurs ou décorateurs.
Qui dit mieux ? Sur le plan artistique, le " cas " Lanceray est un peu plus triste. Voila, en effet, un des plus grands sculpteurs russes, un des meilleurs portraitistes de chevaux du monde, un des artistes animaliers les plus inventifs presque totalement sinon inconnu, du moins ignoré en France, où l'on ne jure que par Antoine-Louis Barye (1795-1875), Pierre-Jules Mène (1810-1879), et quelques autres, bien loin, pourtant, d'avoir le talent et le brio du Russe, dont on orthographie d'ailleurs les nom et prénom de mille manières fantaisistes (levgenni, Eugen, Lanceré, Lanceret, Lansere etc.).
Phénomèned'autantplus incompréhensible que, de son vivant, Lanceray vint deux fois à Paris, et y exposa ses sculptures. Même ingratitude aux États Unis, où l'on ne jure que par Frédéric Remington (1861-1909), en oubliant que Lanceray fut son principal inspirateur. Mais le pire est qu'en Russie même, Evgueni Lanceray est sinon méprisé, du moins rabaissé au rang de simple sculpteur de genre, dont les oeuvres sont tout juste bonnes à orner les demeures bourgeoises.
Aucune étude, aucun ouvrage - ni en russe, ni en anglais, ni en français - n'a jamais été consacré à cet artiste majeur. Le présent album est le premier, et comble une grave lacune dans l'histoire de l'art du XIXe siècle. Depuis une quinzaine d'an- nées, le Britannique Geoffrey Walden Sudbury consacre tout son temps à l'établissement d'un catalogue raison- né de l'oeuvre de Lanceray. Sur les quatre cents pièces que l'artiste a (probablement) produites, il en a retrouvé une bonne moitié.
Nous lui avons demandé de présenter ici la cent cinquantaine dont le cheval est, à la fois, le sujet et l'objet. Lanceray avait une passion pour les chevaux. Cela se sent, cela se voit : les chevaux, en effet, sont toujours les personnages principaux de ses compositions. II en possédait une vingtaine en chair et en os. Dans sa maison-atelier de Neskoutchnoïe (dans l'Ukraine actuelle, détruite hélas en 1918), il vivait et travaillait parmi eux.
Lorsqu'à trente-sept ans seulement, il sentit sa mort prochaine, il fit venir à son chevet son cheval favori. Et s'éteignit alors, en paix, le 23 mars 1886. Jean-Louis Gouraud.
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