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Depuis toujours, ils forment un bloc. Un père à la Montand, aventurier à ses heures, solaire et flamboyant, engagé à gauche. Une fille, admirative, amoureuse des mots.
Ensemble, ils ont traversé les paysages riants de l'enfance mais aussi les pires épreuves : la perte du fils à 20 ans, de l'épouse, disparue à l'autre bout du monde. D'une famille de quatre, ils sont devenus deux et ont cherché leur équilibre. Lui dans la défense des plus faibles, elle dans son métier de journaliste et par la grâce d'une maternité triomphante.
Et puis survient une femme, amoureuse du père, qui l'apaise. Ce n'est pas la première mais la relation devient sérieuse. Pourtant, très vite, l'attitude d'Edith surprend. D'où viennent ces piques, ces malentendus, cette agressivité ? Entre une belle-mère et une belle-fille adulte, une certaine dose de jalousie est-elle inéluctable ? Lors d'un séjour en Provence, tout bascule et la folie s'invite. Jusqu'au vertige. Jusqu'à la violence morale et physique, aux injures puis aux menaces.
La guerre est déclarée.
Ariane Bois évoque l'emprise au féminin, la figure troublante d'une manipulatrice qui tente de faire table rase du passé d'un homme pour mieux se l'approprier. Alternant scènes d'amour filial et tension dramatique autour de cette relation toxique, un récit intime et bouleversant.
Hommage d'une fille à son père
_"Tu sais que je connais ton père depuis plus longtemps que toi ?
Je recule, l'impression subite d'avoir reçu un coup de griffes. Mais mon cerveau travaille à plein régime et la réponse fuse:
-J'ignorais qu'il s'agissait d'une compétition. "
La vie ne les a pas épargnés. Lui a perdu son fils, elle son frère , puis 7 ans plus tard, il a perdu sa femme, elle sa mère. Alors père et fille se sont épaulés, soutenus et leur lien déjà très fort s'est renforcé. Ils habitent sur le même palier, ils se voient fréquemment. Autant que la vie trépidante et aventureuse du père, médecin, chercheur, toujours en mission d'un bout à l'autre de la planète, le lui permet. Un homme solaire mélange de Yves Montand et Indiana Jones. Elle lui voue une admiration et un amour infini. Et il va lui falloir de l'amour à revendre quand son père tombera sous la coupe d'une femme toxique. Comme une araignée tissant sa toile, celle-ci va progressivement le couper de ses amis, de ses frères, tenter de le couper de sa propre fille et de ses petits enfants. Ariane va résister de toutes ses forces jusqu'au bout...
Dans ce récit, elle se livre avec pudeur et raconte la violence de cette emprise, la douleur inouïe de voir son père qui n'a jamais aimé les conflits, céder à cette femme et s'éloigner malgré tout... La plume fluide d'Ariane Bois que je découvre ici, imprime une tension qui m'a fait tourner les pages avec compassion. On ne parle pas souvent de l'emprise au féminin, et pourtant c'est bien de cela qu'il s'agit. C'est assez stupéfiant de voir cet homme à la forte personnalité devenir la victime de cette femme et s'éteindre...
La relation père fille, perturbée par une femme déséquilibrée, est au cœur de ce texte intime et bouleversant...
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Je lis très peu de récits habituellement et vous?
Connaissez-vous les romans d'Ariane Bois?
Il a fallu des années à Ariane Bois pour écrire sur son père. C’est chose faite avec ce récit poignant « Eteindre le soleil », où elle raconte sa relation particulière avec ce père tant aimé, dernier maillon d’une famille de 4 où la mère et le frère sont décédés prématurément. Cette relation est mise à mal par la nouvelle compagne de son père, Edith, qui s’avère être une sournoise mante religieuse, voulant par tous les moyens l’enlever à sa fille chérie pour le garder pour elle seule. En véritable prédatrice, elle va s’évertuer au fil du temps à détruire cette famille déjà fragilisée, même dans les derniers mois où la maladie va frapper si durement ce père. Elle fera en sorte de ne laisser aucune place à ses proches, fille, petits fils, frères, et meilleurs amis.
Alors qu’Ariane construit sa propre famille en faisant enfant sur enfant, son père s’enlise dans cette relation toxique. Il quitte l’appartement voisin de sa fille, s ‘éloigne géographiquement et moralement, pour vivre sa passion avec Edith, sans se rendre compte de l’emprise qu’elle a sur lui. Douleur d’autant plus vive pour Ariane qui voue un véritable culte à ce père qui ressemble tant à Yves Montand dans toute sa gloire, sa prestance, et son charisme, et qu’elle a mis sur un piédestal.
C’est par l’écriture que cette journaliste romancière a l’habitude d’exorciser ses peines les plus profondes. Elle s’est déjà essayée à l’exercice avec « Et le jour pour eux sera comme la nuit » où elle relate avec pudeur la mort de son frère, le suicide vécu par ceux qui restent, qui n’ont rien vu venir, rien pu faire. Ici aussi, le deuil et son acceptation, la résilience, sont omniprésents à travers la mort du frère, celle de la mère, puis enfin celle du père.
Dans ce récit poignant, si bien intitulé « Eteindre le soleil », Ariane Bois rend un bel hommage à son père, et nous parle de son désarroi face à lui, aux dernières années de sa vie, de son impuissance à combattre l’emprise au féminin d’Edith, de le sortir de cette spirale infernale, avec des mots forts, intimes, bouleversants, mais toujours justes, une belle réussite littéraire.
Deux mariages et deux enterrements
Avec ce nouveau récit, Ariane Bois rend hommage à son père douloureusement marqué par deux deuils successifs. Avant que sa relation privilégiée ne vienne s'interrompre avec l'arrivée d'une prédatrice. Fort émouvant, terriblement révoltant.
La belle histoire de la famille Bois va virer au drame. Avec un père ressemblant à Montand, une épouse aventurière et deux beaux enfants, la narratrice et son frère, la vie leur souriait pourtant. Mais le destin va frapper trois fois. D'abord par l'annonce de l'accident survenu sur la banquise où sa mère était partie en expédition. L'hélicoptère russe dans lequel elle avait pris place s'est écrasé. Un choc d'autant plus violent pour la narratrice qu'elle était enceinte de son premier enfant. Une douloureuse épreuve qui va se doubler d'un suicide, celui de son frère qui, pour son père, va creuser le sillon de la culpabilité. Pourquoi n'a-t-il rien vu? Comment a-t-il fait pour ignorer son mal-être? N'aurait-il pas pu éviter ce passage à l'acte?
"Le deuil connait sa propre grammaire, étrangère à celle du monde réel. Ceux qui s’y sont brûlés un jour reconnaîtront ce pas de deux dansé avec la folie."
Pour ne pas sombrer, il faut alors faire preuve de beaucoup de caractère et pouvoir s'attacher à une indéfectible solidarité familiale. Pour envisager de continuer à vivre, d'avancer, de construire une existence malgré ces deux trous béants, il faut tout à la fois se soutenir et s'ouvrir aux autres. Et se réconforter avec les livres. Après avoir entendu son père lui confier "C'est ça que j'aurais voulu écrire!" après avoir refermé Martin cet été de Bernard Chambaz "bijou de tact et de sensibilité" qu'elle lui avait offert, elle comprendra qu'il allait mieux, mais aussi qu'il l'encourageait à reprendre elle aussi la plume, à retrouver sa rédaction et l'écriture de reportages et de livres.
De son côté, il cherchera une nouvelle compagne. Qui va prendre les traits d'Édith. Et qui va l'entraîner, sous couvert d'amour, dans une nouvelle spirale infernale.
"Cette femme voulait mon père pour elle toute seule, refusait de le partager avec sa famille, ses petits-enfants, et surtout sa propre fille dont les liens privilégiés avec l'homme qu'elle aimait la dérangeaient et la rendaient même folle, la dernière année. Une affaire de jalousie féminine, mais aussi de grignotage progressif, d'isolement de la victime, de prise de territoire. D'emprise, donc, et de terreur."
On comprend qu'il ait fallu du temps à Ariane Bois pour écrire cet hommage à un père aujourd'hui disparu, car sa colère ne s'est pas apaisée. On voudrait croire à ce principe Nietzschéen et dire que tout ce qui ne te tue pas te rend plus fort. Mais on se consolera en se disant qu'à son tour, elle vient porter une pierre à ce bel édifice d'ouvrages qui aident les lecteurs à surmonter leurs propres épreuves. Merci Ariane!
https://urlz.fr/j8a0
Mon père, ce héros !
Exercice particulièrement périlleux que de décider de produire un récit autour d’un membre de sa famille, d’un proche… Encore que… Encore que lorsque le protagoniste décrit, suivi, observé, aimé, « critiqué » dans le sens le plus noble, s’inscrit dans un caractère digne de grands romans d’aventure, de films souvent devenus cultes, d’une vie pour le moins romanesque, on peut y trouver matière comme engouement. Le piège cependant est tentant : trop forcer le trait, se perdre dans les méandres de l’affect et tomber dans l’excès, dans le pathos même… Quant à s’embourber dans une hagiographie lourde et fastidieuse, ce serait par trop facile, on pourrait en citer des dizaines de récits de la sorte et qui paraissent à chaque rentrée littéraire. Entreprise risquée, disons les choses telles qu’elles sont ! Le récit biographique exige talent et virtuosité rédactionnels, des éléments précis, tangibles, anecdotiques et colorés, et un sens précis de la mise en scène qui offre du souffle au texte… qui entraîne le lecteur à se nourrir des pages et même parfois à s’y retrouver.
Et dans le domaine, Ariane Bois a souvent plus d’un tour dans son sac. Précisons de suite, qu’il est complexe et dangereux d’écrire une chronique à propos d’une complice, mais entre Ariane et moi, il n’y a pas de concessions quand il s’agit de travail, jamais, au risque même parfois de blesser car l’exigence est de mise. Et là, je demeure soufflé par la qualité du récit. On n’éteint pas le soleil ; non, souvent avec lui, on rallume des étoiles, de celles qu’on croyait perdues. « Soufflé » parce que ce récit est écrit et « soufflé » dans un sirocco passionné. Tout l’amour qu’Ariane Bois, pudeur élégante en bandoulière « souffle » à son père mais aussi à sa mère, son frère, son aimé, ses enfants !!! Elle déroule la trame de vie de son mentor, le docteur Bois, tout en émaillant sa réflexion humaniste d’épisodes épicés vécus avec son père ou par son père… On navigue de l’intime à l’universel dans une grande virtuosité. Et même sans connaître intimement le docteur Bois, on s’attache rapidement à ce grand type dégingandé, puissant, drôle, farceur, colérique parfois, entre Montand, Wayne et Indiana Jones, souvent insaisissable, toujours charmeur, charmant, jamais fade quand il part parcourir l’Afrique, certains pays d’Amérique du Sud, quand il descend le fleuve Maroni, cheveux au vent, saharienne ruisselante de sueur, la clope au bec pour soigner les Guyanais. Homme viril et tout autant hypersensible qui sait enfouir ses drames et ses douleurs pour donner le meilleur de soi, souvent derrière un sourire large et franc. Il y a du Clouzot, du Sautet, du Gavras dans ces regards-là…
Parce que ce géant aux allures indestructibles est aussi un colosse aux pieds d’argile. Parce que sept fois il a chuté ; parce que huit, il s’est relevé. Après la mort de son fils parti trop vite. Après la mort de sa femme. Parce qu’un homme ça souffre aussi et un homme ça souffle aussi, le meilleur pour sa fille…
Si l’existence de ce père un peu irréelle parce que totalement romanesque s’était refermée de manière classique comme le quidam du coin de la rue ou de l’appartement d’en face, le récit serait-il aussi singulier ? Probablement pas. Les quinze dernières de sa vie sont une très mauvaise farce. D’un extrême mauvais goût… D’une rare cruauté ! Une femme qu’il connaissait pourtant a tissé sa toile autour de lui pour mieux l’attraper, pour mieux l’annihiler, pour mieux l’isoler des siens, pour mieux le dévorer. Non par amour, par obsession de la possession. Parce que malade, violente, dangereuse et toxique. Et elle n’aura eu de cesse, à force d’énergie destructrice et perverse de l’empêcher, de l’épuiser, de le consumer, même au pire du cancer qui devait le dévorer. Fascination du pire.
Et quand il en prendra conscience, au bord de mourir, il sera trop tard.
Ariane Bois a vécu ses sales moments. Elle raconte sans ambages, sans virages, le calvaire de son père, le combat mené au nom de la dignité de son héros, ses relations violentes avec Édith., qui a toujours renié les uns comme les autres, qui s’est toujours montrée mauvaise avec les enfants, toujours empreinte d’ingéniosités malsaines. Ariane aurait souhaité autre chose pour son père, cette boussole essentielle.
C’est un récit touchant, juste, drôle parfois, léger aussi, grave souvent, humain toujours mais qui met l’accent sur la fragilité des uns comme des autres. Et qui nous interroge sur nos relations avec nos proches au moment de les quitter, de les laisser s’en aller. Éteindre le soleil, entre sourires et larmes, entre passion et drames, entre innocence et charme, entre humour et amour !
Christophe MARIS
© 10-novembre Productions – février 2022
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