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«Djamilia était vraiment très belle. Élancée, bien faite avec des cheveux raides tombant droit, de lourdes nattes drues, elle tortillait habilement son foulard blanc, le faisant descendre sur le front un rien de biais, et cela lui allait fort bien et mettait joliment en valeur la peau bronzée de son visage lisse. Quand Djamilia riait, ses yeux d'un noir tirant sur le bleu, en forme d'amande, s'allumaient... Et j'étais jaloux d'elle, comme les jeunes frères sont jaloux de leurs soeurs...»«Alors, sur le point de dire de Djamilia ce que j'en pense, j'hésite et pourtant, oui, pour moi, c'est la plus belle histoire d'amour du monde [...].Le récit de Djamilia, je l'ai dit, c'est un enfant qui nous le fait et pour lui la découverte de ce qui se passe dans l'âme d'un couple, le drame du couple qui s'ignore encore, c'est aussi la découverte du sentiment même, c'est l'oaristys de l'esprit, tout est pour cet enfant à réinventer et voilà pourquoi il nous montre l'amour, comme un métal très pur, à l'état naissant.»Louis Aragon.
Petite incursion dans la littérature kirghize aujourd’hui avec Djamilia de Tchinghiz Aïtmatov. Je n’avais jamais entendu parler de cette œuvre avant de chercher précisément une histoire se déroulant au Kirghizistan et écrite en langue kirghize, mais il s’avère que Djamilia est un véritable monument littéraire au Kirghizistan et que son auteur est considéré comme l’un des plus grands écrivains soviétiques.
C’est un très court roman de cent pages environ dont le narrateur est un adolescent travaillant dans un kolkhoze auprès des femmes de sa famille, tandis que les hommes sont partis à la guerre. Il s’éveille et s’émerveille aux côtés de la belle et forte Djamilia, l’épouse de son frère, et il assiste à la naissance du lien qui l’unira à Daïinar, un soldat revenu du front, peu loquace et mystérieux.
Louis Aragon a vu dans Djamilia « la plus belle histoire d’amour du monde », au point d’avoir envie de traduire l’œuvre du russe au français. Sa préface est touchante et je recommande plutôt de la lire après avoir lu l’œuvre de Tchinghiz Aïtmatov. Pour ma part, je me souviendrai de ce texte comme d’une ode à la nature et à la liberté. L’histoire d’amour, en effet, est relativement longue à se mettre en place, elle suit le rythme lent et répétitif du travail dans les champs et du transport du blé, destiné à nourrir les troupes, jusqu’à la gare la plus proche. Cette histoire d’amour est surtout très discrète : tout est suggéré, esquissé, deviné même, à travers le regard d’un adolescent qui a à la fois pleinement conscience de certaines situations et du mal à saisir les signes. De fait, plus que l’amour d’un homme pour une femme, et inversement, c’est l’amour de l’écrivain pour sa terre qui m’a subjuguée dans ce roman. Certains passages sont de véritables tableaux poétiques, et le fait que le narrateur ait une appétence particulière pour la peinture n’y est sans doute pas pour rien. Je ne sais pas si j’aurais apprécié autant cette œuvre si je l’avais lue chez moi, tranquillement installée dans mon fauteuil, et je mesure, en écrivant ce billet, la chance que j’ai eue de pouvoir tourner cette centaine de pages en ce mois de juillet 2022 à l’endroit même où Seït, Djamilia et Daïinar ont joué leur partition, dans les merveilleuses steppes kirghizes.
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