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« Lorsque j'ai reçu votre première lettre, chère amie, je vous ai répondu immédiatement. Avoir de vos nouvelles plus de trente ans après m'a procuré une telle émotion que ma réaction ne pouvait être qu'un cri instantané.
Votre deuxième lettre, que j'ai sous les yeux, je l'ai gardée longtemps avec moi, c'est seulement aujourd'hui que je tente de vous donner une réponse.
La raison de ce retard, vous l'avez sans doute devinée, puisque votre missive contient une singulière requête : « Parlez-moi de l'âme »...
Votre phrase : «Sur le tard, je me découvre une âme », je crois l'avoir dite à maintes reprises moi-même.
Mais je l'avais aussitôt étouffée en moi, de peur de paraître ridicule. Tout au plus, dans quelquesuns de mes textes et poèmes, j'avais osé user de ce vocable désuet, ce qui sûrement vous a autorisée à m'interpeller. Sous votre injonction, je comprends que le temps m'est venu de relever le défi... »
En 7 lettres, François Cheng nous décrit ce que pourrait être l'âme, celle que l'on connait au fond de soi, que l'on découvre avec l'âge mais que l'on a bien du mal à définir.
7 façons de la décrire selon les courants spirituels, la psychologie, les cultures, le ressenti... A travers des souvenirs ou des références philosophiques, on se laisse porter par la voix de Diner Sandre qui porte magnifiquement ce texte.
La langue est belle, précise, fine et intelligente. On rêverait tous d'être pour cette "chère Amie" à qui Monsieur François Cheng écrit.
« A l’intérieur des murs et au-dehors des haies
Le printemps déchainé ne nous protège plus.
Au fin fond de la terre en exil, nos mains nues
Font sortir de l’oubli toutes nos roseraies »
(FC « Enfin le royaume » p.12)
François Cheng confie dans cette œuvre « De l’âme » être transporté par la Beauté de certaines œuvres de musique classique.
Il est de fait que le lecteur peut éprouver au fil de la parution des livres de cet auteur (en particulier « Cinq méditations sur la Beauté », « Cinq méditations sur la Mort » et « Oeil ouvert et coeur battant : Comment envisager et dévisager la beauté ») une sensation proche de celle que l’on ressent à l’écoute de certaines suites pour instrument de J. S. Bach, des variations identiques déclinées mais qui, dans leur nouvel écrin de beauté et de pureté, malgré tout surprennent, charment et subjuguent.
On retrouve en particulier cette étonnante synthèse entre le taoïsme et le message christique, l’eau et le feu en une alchimie (p.152 et 153 septième lettre)
Pour la forme, le texte se veut épistolaire, des lettres à une amie très chère, retrouvée incidemment et qui l’interpelle sur la nature de l’âme. Un peu comme pour Sénèque et ses « lettres à Lucilius », ces lettres unilatérales semblent être mises en scène dans un vrai faux dialogue, mais cela ne retire rien à leurs qualités.
Notre académicien disserte par conséquent sur l’âme en la distinguant de l’esprit. L’esprit est le centre névralgique qui régule la pensée, la raison (p.40 à 42 troisième lettre) tandis que l’âme est désir de vie, désir de beau (p.16 seconde lettre), élan pour s’élever même au plus profond de la nuit, de la souffrance (p.26 et 27 seconde lettre, p.96 et 97 cinquième lettre). L’âme est révélation suprême, de la Vie, de la Voie, la vibration originelle AUM (p.149 septième lettre)
L’homme « moderne » ne sait plus accéder à la voix, la voie de l’âme, asservi par sa quête infinie de puissance matérielle, de pouvoir de l’ego (p. 130 et 131 sixième lettre).
Quelle que soit la singularité de François Cheng, difficile de ne pas avoir présent à l’esprit d’autres œuvres comme « L’âme et la vie » de Jung, « Ecoute petit homme » de Reich, plus récemment « Les irremplaçables » de Cynthia Fleury. De même, le concept de l’âme comme source privilégiée d’accès à l’intériorité (p. 115 cinquième lettre) n’est pas sans rappeler Platon et son mythe de la réminiscence.
Le rythme du livre renvoie aussi aux méditations métaphysiques de Descartes, séquencées en six essais qui permettent au philosophe de conclure en l’existence d’un Dieu (parfait). La septième lettre de l’académicien rassemble tous ses éléments de réflexion et les consolide dans cette foi vibrante.
Mais dans cet essai, l’auteur exprime aussi à petites touches de pinceau avec pudeur mais non sans une émotion sismique intense, des séquences très personnelles des souffrances vécues dans sa vie, en particulier lors de son enfance dans la tourmente de la guerre sino japonaise que peut-être un jour l’histoire officielle occidentale reconnaitra comme événement majeur de la guerre mondiale qui a ensanglanté le monde entre 1914 et 1945. Le Mal absolu existe, François Cheng l’a éprouvé dans son corps et son âme, mais en dépit de cela il ne retient que les élans de vie, élans vers la Beauté.
La Voie universelle.
Dans cette sensibilité il consacre des développements vibrants à Simone Weil notamment à son « Enracinement ».
Un livre magnifique, un livre de François Cheng
« Des mots projetés dans la nuit
Pour traverser à gué la Voie.
Pour retrouver, jadis entrevue
Depuis longtemps perdue, l’Etoile »
(« Enfin le royaume » p.42)
Doit-on parler de l’âme ? Comment définir l’âme sans y ajouter l’esprit ? Est-ce un sujet désuet que d’évoquer l’âme ? Quelle est la place de l’âme dans les traditions spirituelles ? L’âme est-elle la vrai vie ? Peut-elle renaître ?
Des questions que l’on se pose, parfois, souvent sans jamais pouvoir y répondre. Une énigmatique amie de François Cheng lui écrit car elle vient « de se découvrir sur le tard une âme » et elle s’interroge. L’auteur académicien, héritier du taoïsme, lui répond par la voie de 7 lettres, dont une entièrement consacrée à la pensée de la philosophe et humaniste Simone Weil, apportant un éclairage somptueux sur la « part la plus cachée et la plus secrète de chaque être ».
Si l’âme a un élan pour s’élever et qu’elle transparaît dans un regard, elle est sans aucun doute dans la plume de François Cheng qui, sans angélisme, délivre un hymne à l’amour de l’humanité et à la beauté de la vie « combien la beauté de la vie est un don précieux qui demande à être chéri, révélé, transfiguré, porté au plus haut degré de sa capacité de communion ». Et ce même même sous un ciel sombre car une lumière veille dans l’espoir « au plus noir de la nuit, la moindre lueur est signe de vie ».
Mais la beauté et la bonté ne se réduisent pas à quelques bons sentiments. La bonté est d’une extrême rigueur car la nature humaine est le lieu de « cohabitation d’un ange et d’un démon en constante interaction ». L’humain peut s’élever mais aussi succomber... Et pourtant à quoi bon chercher à briller, à « scruter les failles de l’autre pour mieux le faire chuter ». Si le désir est de porter la vie, se ressaisir, diriger son regard vers un coucher, un lever de soleil ou le reflet de la lune et ainsi rencontrer l’univers dans sa magnificence.
L’un des miracles de ce livre est de dépeindre l’âme sans aucune trace de prosélytisme. Le lecteur est laissé libre de ses choix, de sa spiritualité (ou non spiritualité). Une grande tolérance envers celui qui y croit ou qui n’y croit pas comme aurait dit Aragon, un souci d’honnêteté présente à chaque paragraphe, le philosophe laissant souffler ainsi un air pur dans l’harmonie de ses réflexions et désirant « nouer un dialogue positif même avec ceux qui nient l’existence de l’âme ».
François Cheng nous emmène également faire un tour au sein des traditions spirituelles : pensée chinoise (tradition taoïste), pensée hindoue (avec la sublime métaphore de l’âme comme oiseau migrateur), pensée bouddhiste (la plus radicale dans son agnosticisme face à l’âme), la pensée grecque dont celle d’Aristote et son concept des 3 âmes (âme nutritive pour les animaux et les plantes, âme sensitive pour les animaux et âme pensante pour l’humain) et enfin les pensées monothéistes : judaïque, musulmane et chrétienne. De quoi vous donner envie de plonger de toute votre âme dans cette sagesse de ces philosophies éternelles et une délicieuse surprise que de voir être mis en exemple la référence du soufisme avec le poète persan Farîd-ud-Dîn Attâr et sa « Conférence des oiseaux » qui est devenue le livre de chevet de votre serviteur.
Cet essai renferme tout ce que l’on attend d’un livre : réflexion, évasion, positivisme, curiosité (la lecture entraîne la lecture), beauté, poésie. Une triade entre noblesse du sentiment, élégance de l’écriture, tolérance de l’esprit... où les mots transcrivent la hauteur d’âme de son auteur. Ouvrage que l’on peut qualifier de manuel d’espoir et de consolation, un recueil pour les jours lumineux, un recueil pour les jours obscurs, une compilation pour continuer sa route sur le chemin de la vie malgré les larmes qui arrosent votre parcours « si la mort creuse un immense chant de désolation, elle ouvre en même temps une immense aire de communion aussi réelle que le ciel est étoilé ».
En refermant cet écrin littéraire où les mots sont des pierres précieuses, j’entends les vers de Paul Verlaine mis en musique par Reynaldo Hahn :
« Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l’astre irise
C’est l’heure exquise »
et pourquoi pas avec la voix de Dietrich Fisher Dieskau, baryton allemand cité à la fin de l’œuvre de François Cheng pour ses interprétations de Beethoven... et pour sa fraîcheur d’âme ».
L’âme est la vie. Ce livre aussi... « Un immense réservoir de gisements inexplorés ».
http://squirelito.blogspot.fr/2017/04/une-noisette-un-livre-delame.html
Très beau livre, de beaux moments de poésie...
un embellissement pour notre propre âme !!!
A lire absolument, plaisir assuré....
« Sur le tard, je me découvre une âme. Non que j’ignorais son existence, mais je ne sentais pas sa réalité… Cependant, à force de vivre, de me délester de pas mal de choses, s’impose à moi cette entité irréductible, à la fois intangible et charnellement réelle. A présent je suis tout ouïe : acceptez-vous de me parler de l’âme ? »
Ainsi interpellé par une amie perdue de vue depuis une trentaine d’années, François Cheng, éminent auteur et poète, va apporter, ou du moins, tenter d’apporter une réponse, en sept lettres , chacune d’une intensité, d’une sensibilité, d'une force et d’une culture extraordinaires.
Au fil de cette correspondance, François Cheng va définir la frontière entre l’âme et l’esprit et réhabiliter la notion même d'âme.
L’âme, ce mot aujourd’hui en voie de disparition, ce mot désappris, est l’entité qui anime notre corps, elle est reliée au souffle vital. C’est la part intime de notre être , et elle régit les sentiments, la sensibilité, l’affect, les émotions, l’amour sous toutes ses formes et la création artistique. Elle est en chacun de nous de la naissance jusqu’à la mort.
Elle est liée, entrelacée même à l'esprit, qui lui apparaît comme la faculté qui permet de raisonner. Prendre l'esprit comme seul critère de valeurs,est, pour l'auteur, une voie bien dangereuse. En effet, que penser dès lors des personnes dont "l'esprit", ainsi défini, est altéré? Ils n'auraient donc point d'âme ?
« L’âme animant le corps relève du principe de la Vie. A part les cas où par perversion ou par pulsion de destruction elle agit en sens contraire, elle est, en toutes circonstances, aspiration à la vie. Son élan est naturellement ardent lorsqu’elle est exaltée par l’amour. Sa flamme n’en demeure pas moins vive au cœur de l’effroi, de la souffrance, ou quand menace la mort. Toutes ces épreuves, au contraire, l’enrichissent, la rehaussent, l’obligent à s’élever vers la dimension transcendantale ».
François Cheng, au fil des sept lettres qu’il adresse à sa correspondante, entraîne le lecteur avec lui , dans un voyage à travers les temps, à travers les continents, à travers les grandes spiritualités. Un voyage au cœur de l’Ame. Il fait aussi référence à des expériences de vie personnelles, et livre d’émouvantes confessions.
« Je me rappelle les nuits d’amour. L’état suprême d’extase charnelle dépasse le corps. Les chinois le désignent par l’expression « âme fondue » ou « fondre en âme » ».
C’est une douce errance, une promenade riche , parsemée d’étapes au cours desquelles on croise avec un immense bonheur, Victor Hugo, Descartes, Simone Weil, Pascal, Kierkegaard et bien d’autres compagnons de route.
François Cheng est un sage (enfin selon moi) est ce fut un immense plaisir de retrouver, une fois encore, ses mots. La forme du livre (épistolaire) en fait une lecture qui fait du bien, tout en incitant à la réflexion. J’ai, vous l’aurez compris, beaucoup, beaucoup aimé, prendre ces chemins de traverse spirituels et si enrichissants… Merci Monsieur Cheng !
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