La correspondance croisée de René Daumal (1908-1944) et Roger Gilbert-Lecomte (1907-1943), les deux bâtisseurs et principales têtes chercheuses du Grand Jeu (1928-1932), est un document de premier ordre. Ces quelques 150 lettres échangées entre 1924 et 1933 - ici pour la première fois rassemblées, publiées dans leur intégralité et richement annotées - retracent au plus près l'évolution des deux poètes, en leur amitié vive jusqu'à la rupture. Automne 1927, Daumal écrit à Lecomte :
« tu me ressembles si peu que ce qu'il y a de commun entre nous ne peut être que sublime. » Aussi des premiers pas du Simplisme et ses expériences-limites à la création du groupe du Grand Jeu tenant tête au surréalisme glouton, des séjours répétés en clinique de Lecomte pour désintoxication à la rencontre de Daumal avec Alexandre de Salzmann, c'est bien de conserve, coude à coude et contre la Grosse Machine occidentale qu'ils vont traverser, tant ensemble que séparément, les steppes de grand'peur, la peur de la conscience claire, effroyablement claire comme du soleil, Lecomte se sachant définitivement ceci : « grouillement vivant de projets et de notes extraordinaires et splendides - mais un sépulchre de réalisations », et Daumal ayant très tôt réalisé cela : « je sais que je me tromperai toute ma vie. Ce n'est pas gai. » Après la publication de leur respective correspondance avec Léon Pierre-Quint, réunir celle de Roger Gilbert-Lecomte et René Daumal, jusqu'à maintenant dispersée et mutilée, permet de fermer un cercle, de constituer un noyau, de fixer un cadre où il est possible de parcourir et fouiller leur spirale (symbole du Grand Jeu dessinée par Sima pour la couverture de la revue). Mieux qu'un roman épistolaire ou de formation, ce livre, qu'on pourrait intituler Les années d'apprentissage de Roger Gilbert- Lecomte & René Daumal, ne rélève d'aucun genre littéraire mais tous y sont pratiqués en les faisant sauter en éclats.
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