Il y a des sensations qui n'aiment pas qu'on s'occupe d'elles.
Saurons-nous jamais ce qu'elles savent sur nous ? Parler, penser, répandent autour d'elles un écran de fumée. On ne traverse pas, on est repoussé. Une certaine heure, le jour, un simple bruit, la nuit font franchir d'invisibles frontières. Sur moins qu'un confetti, dans un grain de poussière, vivent, souffrent, meurent des mondes, des êtres, mais toutes les cartes, toutes les radios restent muettes. L'apuien, par exemple, vous ne le trouverez pas abandonné, vagissant dans un panier. La naissance en pays d'Apu, est très surveillée. On l'appelle : la grande chute. Aux premières douleurs, on entoure la mère. Un chaman récite les textes sacrés. Leurs sons guident l'enfant qui va
naître dans le tunnel des sensations obscures. Toboggans de sons,
rhapsodies tourmentées, sans cesse reprises, brisées, glissades vertigineuses, les mots en réchappent broyés, réduits à quelque primitif noyau, tels ces galets qu'au milieu des précipices roulent les torrents des montagnes d'Apu. La tête s'engage enfin, le chaman masse les oreilles du nouveau-né qui se penche, le coeur sur les lèvres, au bord de sa propre bouche. Son vertige lui plante un cri en plein ventre. Le voilà armé, armé en plein ventre contre lui-même.. Entre Lautréamont et Henri Michaux, voici l'un des plus grands textes poétiques de ces dernières décennies. L'archéologie de l'intime rejoint ici l'universel, nous
touche, où l'on n'attendait plus rien, nous propulse, en les éclairant d'une lumière neuve (celle des mots), dans les recoins ignorés de l'être.
Chroniques d'Apu, est un livre inépuisable.
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