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Ayant dépassé l'Antan d'enfance, abandonné l'activité de suceur de tétée, le négrillon, lancé dans l'infini de la maison, en éplucha toutes les ressources. Bientôt, il se mit à buter contre l'unique obsession : aller !
Aller.
Nouvelle traversée. Le Maître comme capitaine «voguant immatériel sur les cimes du savoir universel», grand pourfendeur de sabir créole, négateur des fastes de la culture dominée. «Ô vertige mi ! Tête perdue !» Le négrillon aura «des temps de blonde enfance, rouge aux joues et yeux bleus». Retour à la langue-manman quand il fallait lâcher l'émotion, balancer un senti, s'exprimer longtemps. Retour au pays natal et à la parole de Gros-Lombric, un petit bougre, noir bleuté, maître-force en magie créole qui, jour après jour, ramène des confins de l'en-ville des contes de zombis, des Chouval-trois-pattes, les bels passages de l'oiseau glanglan, les vertus des poules-frisées, les coups-de-cervelles de Ti-Jean-Lorizon. Gros-Lombric, le double, écolier marron de l'École coloniale.
De la confrontation de ces deux trajectoires, le négrillon tirera la substance de son écriture.
Je n'imaginais pas, avant de lire ce livre, comment pouvait se dérouler l'apprentissage scolaire à la Martinique. C'est donc avec une grande curiosité que j'ai ouvert "Chemin d'école", et j'ai découvert ce petit bonhomme qui rêvait "d'aller", de s'envoler et d'emprunter la même direction que ses soeurs et frères, avec une impatience certaine.
La première étape, ce qui équivaut sans doute à notre maternelle, se passe plutôt bien. Bien qu'affaibli par l'abandon provisoire pour quelques heures de sa "Manman", cela lui plaît. Une maîtresse très maternelle, justement, des activités plaisantes, que l'enfant aime à reproduire à la maison, une espèce de cocon bienveillant, tout cela n'effraie nullement sa jeune âme.
Et puis un jour, il prend enfin le chemin des "grands". Là, tout change... Et la partie "survie" commence...
C'est à ce moment que j'ai été surprise.
L'apprentissage de la langue française assuré par un Maître qui, bien que Créole lui-même, utilise de drôles de moyens pour apprendre ce langage qu'ignorent la majorité de ses élèves, les mots blessants qui fusent, les punitions physiques, tout ceci m'a laissé un goût amer.
On a peut-être connu la règle en fer sur le bout des doigts, pour avoir commis tel ou tel méfait, ou la position à genoux sur cette même règle, au coin... Mais là on bat les enfants, certains enfants surtout, ceux qui ne semblent presque rien et qui ne deviendront rien, très probablement ! Et tout cela pourquoi ? Parce qu'on exige d'eux de renier leur culture, de prononcer les "U" et de marquer les "R", c'est tout aussi difficile que d'apprendre une langue étrangère, et pourtant le français devrait être la leur et ils devraient l'acquérir de façon innée...
Tout cela m'a bien désappointée, je n'imaginais pas, je l'ai déjà dit, de tels agissements.
Patrick Chamoiseau nous décrit son enfance de façon poignante, avec cette écriture si particulière, usant de vocabulaire créole. Des images enfouies qui ont dû ressurgir douloureusement à la rédaction de ce livre, certaines révèlent toutefois une certaine poésie et appuient le regard de l'enfant qu'il était.
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