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Julie, quarante-six ans, a fait son lit et rangé sa cuisine équipée après le départ de ses enfants pour l'école. Elle est écrivain et musicienne et, aujourd'hui, elle a rendez-vous avec Julie, treize ans, avec sa jeunesse. Sur les photos d'époque, ses enfants ne la reconnaissent pas. Leur mère, crâne rasé, joint au bec, violon dans la nuit du Berlin d'après le Mur, leur mère enroulée dans un camion qui traverse les nouvelles frontières et mène aux scènes underground d'Europe de l'Est ? Inimaginable. Et la gamine survoltée qui a la rage et hurle dans le micro, est-ce qu'elle reconnaîtrait la femme mûre qu'elle ne pensait jamais devenir ? Julie est restée fidèle, somme toute. À son amour pour Nic, aux membres de leur groupe, son autre famille dysfonctionnelle, au désir de créer. Mais l'énergie de ces années-là lui manque, la boule de feu qu'elle couvait et qui brûlait tout sur son passage a disparu. Ce livre, c'est le groupe qu'elles forment à elles deux. Sa musique est pugnace, douce-amère, entêtante. Dans sa lucidité, elle nous berce tous.
Je n’avais pas sollicité ce roman des éditions Globe, il me semble avoir juste commenté une publication Instagram à son sujet, mais je suis ravie de l’avoir reçu ! Je suis en effet tombée amoureuse du catalogue de cette maison d’édition l’an dernier, quand j’ai découvert La note américaine de David Grann (ma chronique). J’ai eu un coup de cœur pour ce titre, et à la découverte des publications précédentes, j’avais envie de presque tout lire ! J’ai depuis découvert Nomadland de Jessica Bruder (ma chronique), qui a été une claque monumentale. Le titre dont on va parler aujourd’hui m’avait intrigué, car il racontait l’adolescence, la musique, la route, les concerts, à une époque qui est aussi celle de mon adolescence. Je me suis d’ailleurs rendu compte, en cherchant à écouter le groupe dont il est question, que je les avais entendus en concert à Rennes, en marge des Transmusicales, dans les années 1990 !!!
Julie Bonnie choisit de raconter son adolescence, chose assez rare. En général, on découvre des récits autobiographiques sur l’enfance, et quand ça concerne une vie entière, les auteurs ont tendance à zapper assez vite cette période de la vie qui est pourtant celle de la construction du futur adulte que l’ado sera. On teste, on fait des erreurs, on choisit le/les chemin(s) qu’on veut emprunter. On en change parfois souvent, de chemin. C’est une période pas évidente, souvent parsemée d’embûches, d’erreurs… C’est un passage de la vie que je trouve passionnant, justement par les errements que l’adolescence engendre parfois.
Ici, l’autrice se rebelle contre ses parents et sa vie de bonne élève rangée. Elle veut partir, aller à l’aventure, découvrir. Elle veut jouer de la musique, du rock, à l’opposé de la musique classique écoutée à la maison par ses parents. J’ai aussi eu une adolescence compliquée, mais je n’ai jamais osé aller au bout des choses. Je n’ai pas quitté mes parents avant ma majorité. Je n’ai pas pris la route avec un groupe de rock alternatif, j’ai simplement fait des concerts à l’étranger avec un orchestre moins underground. Mais, comme Julie, j’ai erré dans ma vie, je me suis cherchée, j’ai laissé, à cette époque là, mes études de côté avant d’y revenir plus tard, une fois adulte. Bref, j’ai été très touchée par le parcours de cette adolescente, avec qui je partage un certain nombre de points communs déjà énumérés, sans compter les cheveux rouges (sans les dreadlocks pour moi^^). En fait, en tout elle a osé quelques pas plus loin que moi… Le plus fort a quand même été quand j’ai percuté sur le vrai nom de son groupe et que je me suis souvenu l’avoir vue sur scène !
Julie a vécu des années folles, sur la route, alors qu’elle était très jeune. Elle a fait des erreurs, beaucoup de ses rêves se sont écrasés contre le mur de la réalité, mais au moins, elle a été au bout de ses envies, de ses rêves. Ce livre a énormément résonné en moi. On a été ado à la même période, on a vécu de grands bouleversements historiques, comme la chute du mur de Berlin. Au cœur de l’Histoire. Elle en Yougoslavie, moi en Pologne. Toutes les deux dans l’ex RDA. Mais là où j’étais consciente de ce que je vivais, où j’ai été touchée de mes rencontres et des échanges, notamment avec les jeunes allemands, elle planait, et vivait uniquement pour son groupe, ses amis et son amour. Son amour incroyable pour Nicolas, qui a résisté à toutes ses aventures, tous ses errements. Vingt-cinq ans plus tard, il est toujours à ses côtés ! Mais si ce livre contient des histoires d’amour, elles ne sont jamais mièvres. Comme les amitiés très fortes, fusionnelles entre les membres du groupe et tout particulièrement avec l’autre fille, dont elle ne révélera pas le vrai nom, ni le vrai nom du groupe. Elle a souhaité respecter les volontés de certains de ne pas apparaître, de ne pas être reconnus. Vous pourrez trouver le nom du groupe, et de fait le nom des autres protagonistes si vous le souhaitez et si vous en faites la recherche. Mais je ne les citerai pas ici, par respect pour le choix de l’autrice.
Je suis consciente de ne pas rédiger une chronique conventionnelle, mais ça n’a pas été une lecture conventionnelle. Ça a été une plongée dans l’adolescence tourmentée de Julie tout autant que dans la mienne. Ce livre m’a permis de me retourner vers mes expériences de jeunesse. J’ai très envie de le faire lire à mes parents pour leur montrer que, finalement, mon adolescence a été assez « tranquille » comparée à d’autres^^ Je crois bien n’avoir jamais autant parlé de moi que dans cet article. Ce livre m’a touchée profondément par identification, et parce que ce sont les années de mon adolescence. Mais je pense que cette autobiographie romancée peut toucher au-delà de ma génération, car les affres de l’adolescence sont universelles. On a tous (ou quasiment tous) à un moment ou à un autre fait des erreurs, vécu des expériences plus ou moins heureuses. C’est ce qui fait les adultes que nous sommes devenus.
J’ai souvent dit à ma fille que mon adolescence était un exemple parfait de ce qu’il ne faut pas faire, mais avec le temps je m’aperçois que c’est le cahot de ces années là, les rencontres et les erreurs, qui ont forgés ma vie d’adulte. Et comme Julie, je ne renie en rien cette période, même si comme elle le dit dans une interview, elle ne referait sans doute pas la même chose, car « la vie était dure, trop dure. Maintenant que j’écris, ça va mieux, mais après ces aventures musicales, je me suis retrouvée auxiliaire de puériculture pendant dix ans, je n’étais pas à ma place, je n’étais à ma place nulle part dans la société. Rien de fixe, rien de sérieux. Pas d’études, pas de diplômes, pas de formation. » (dans La gazette des éditions Globe de mai 2019). J’ai eu la chance d’être poussée à passer mon bac, même si sur le coup c’était l’enfer. Ça m’a permis de revenir à des études quelques années plus tard. Mais comme Julie, si c’était à refaire, je changerais bien des choses…
J’ai parlé du fond, mais pas de la forme… C’est Julie la narratrice, on vit son histoire au plus près, et ça renforce l’identification, ou au moins l’empathie pour cette jeune fille paumée. Le style est direct, sans fioriture, mais pas vulgaire, à l’exception d’un peu d’argot, toujours en italique. Sur la deuxième partie du livre, l’autrice a ajouté quelques extraits du journal de Ben, un de ses complices de l’époque, qui nous donne un petit bout d’une autre perspective sur son histoire. Ben qui lui a fourni des cartons d’archives du groupe, et l’a aidé à se replonger dans leur vie commune, dans leur vie communautaire, dans leur camion sur les routes de France et d’Europe.
Vous l’aurez compris, cette lecture a une fois de plus été un coup de cœur aux éditions Globe. Pour des raisons particulièrement personnelles, mais je suis persuadée que ce livre est à même de toucher nombre de lecteurs, par ses sujets, l’adolescence, la musique, les voyages, l’apprentissage de la vie, même si on est dans tous les cas loin du conventionnel.
J’ai reçu la version papier de ce livre de la part des éditions Globe. Merci à eux pour la découverte, et à Julie Bonnie pour la gentille dédicace.
https://leslecturesdesophieblog.wordpress.com/2019/05/15/cest-toi-maman-sur-la-photo-julie-bonnie/
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