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Après United Colors of crime, salué par la critique, Richard Morgiève poursuit avec Boy l'exploration des thèmes qui le hantent : l'amour, l'honneur, le courage, la rencontre avec l'autre.
« Une panne d'électricité éteint la ville devant eux. À chaque mètre qu'ils font, la lumière recule. Les rues s'enlisent lentement dans l'obscurité, les passants semblent sortir de rien. De temps en temps une enseigne lumineuse résiste, notamment cet Oasis Kaboul jaune et orange, vert. Les phares des voitures entretiennent une illusion, celle d'un monde à la merci de l'homme, un monde sécurisé. Mais le monde n'existe pas, songe Boy. On l'invente pour ne pas crier, ne pas se percer les tympans. » Une histoire d'amour, comme toujours chez Morgiève : amour-haine pour un père-voyou, amour-haine pour la lâcheté, amour-haine pour soi-même - mais quoi de plus proche de l'amour que la haine ? L'amour de Boy est à la hauteur de ses impossibilités. Elle ne sait pas qui elle est. Elle cherche désespérément l'amour d'un, d'une autre. Roman tragique aux allures de thriller, roman épique sur décor sanglant du monde d'aujourd'hui. Roman sexuel, noir, où les fantasmes se disent à chaque page.
Boy est un roman noir. C'est aussi le nom de l'héroïne, jeune femme qui se cherche. Elle a à charge son père écrivain devenu légume. Elle recrée les histoires de son père en les vivant pour de vrai. Son père écrit sur l'Indochine, elle va combattre dans la jungle de Fontainebleau. Elle se retrouve mêlée à une sorte de thriller où un tueur en série s'attaque à des joueurs. Elle est la prochaine cible.
La police des nouvelles technologies s'en mêle. Ils essaient de protéger Boy.
L'histoire ne peut pas vraiment se raconter en fait. J'ai eu l'impression que l'auteur ne savait pas trop où il allait, du coup certains passages apparaissent décousus. C'est souvent foutraque. Normalement, j'aime bien quand c'est comme ça mais là, je suis passé totalement à côté. C'est peut-être à cause des va-et-vient quasi-incessants entre la réalité (qui n’apparaît pourtant pas toujours vraiment réelle) et la fiction.
Laborieux.
"Vivre pour quoi ? Pour écrire des histoires. Pour écrire des histoires tant qu'on peut."
Le roman s'ouvre sur une scène de guerre au Tonkin, en 1951. Boy, le héros, est blessé. Il recoud lui-même sa plaie. Scène d'horreur. Deux combattants le rejoignent qui découvrent que Boy est une fille. Le lecteur, lui, se rend compte que la scène ne se déroule pas au Tonkin en 1951 mais en banlieue parisienne, aujourd'hui. Seule la blessure de Boy est bien réelle, ainsi que son auto-opération "comme une auto-fiction". Quelque chose a dérapé et Boy "est triste. Les histoires lui échappent. Elle ne parvient pas à les tenir. À les faire marcher droit."
Boy est le nom que donnait son écrivain de père à ses personnages inaboutis. Alors qu’il est réduit à un état végétatif par un accident cérébral, sa fille tente de continuer son travail et de donner corps à ses histoires au point de les vivre. "Elle ne peut pas expliquer son rapport aux histoires. Et surtout aux histoires de son père. Elle les joue pour qu'elles existent et qu'en existant elles viennent au secours du père, que les héros du père le tirent de là. Ce sont des êtres violents et courageux. Des êtres de parole..."
Boy joue pour sauver son père et pour exister, au risque de se perdre.
"Boy marche, elle vit. Mais elle n'arrive pas à se dire qu'elle vit. Elle survit, s'adapte. Si elle vivait... Au fond, elle ne sait pas ce qu'elle ferait si elle vivait. Elle a peur d'être dans une histoire. D'avoir quitté la réalité. D'être le personnage d'une histoire, sans le savoir. Ça fait peur. Très peur. Ce n'est pas la première fois. Elle lutte contre la panique. Elle se récite la check-list : « Je m'appelle Boy. Je suis une fille. Je suis la fille de mon père. Mon père existe. Je m'appelle Boy.»"
Boy ne sait pas qui elle est, ni où elle va. Elle cherche l'amour – d'un homme ? D'une femme ?... – et une raison de vivre. "Vivre sans être, ce serait une solution." Mais ce n'est pas possible. "Quand la vie est jeu, il suffit de vivre." Mais "la vie défile, bien plus complexe que les jeux."
Et les histoires s'échappent. Elles entraînent auteur, personnages et lecteur dans un tourbillon infernal. Impossible de les faire tenir, de les faire marcher droit.
Cette manière unique de faire marcher l'histoire de travers permet à Richard Morgiève de nous amener au cœur des pensées et de l'intime de personnes bousculées par la vie, disloquées par le violence du monde (symbolisée dans le récit par Bill, "la réincarnation du mal", "l'au-delà dans le présent"...). En transportant le lecteur dans un univers hyperréaliste quoique – parce que – baroque et fantasmagorique, en mettant en scène une symphonie fantastique pessimiste, l'auteur met en lumière, par contraste avec la noirceur du décor, les exclus magnifiques, combattants et finalement debout.
C'est un monde en miettes qui nous est présenté, "un monde d'images où il n'y a plus de place pour les souvenirs." Où "il faut tweeter pour exister". Où les gens ne sont plus perçus pour ce qu'ils sont mais par ce qu'ils donnent à voir d'eux-mêmes. Le virtuel envahit, contamine le réel, "les images se mêlent à nos existences et les modifient." Les avatars se confondent avec leurs créateurs, le cliché devient vérité. On pourrait lire entre les lignes la métaphore critique des réseaux dits "sociaux" et qui engendrent davantage de cynisme, de cruauté et de mensonge que de relations et de partages. Les personnages sont à la fois hyper-modernes, connectés, perdus entre virtuel et réalité, et symboles, comme l'ont été en leur temps les héros de Zola ou Victor Hugo, de leur époque malade et insensée. "Les questions, on n'y répond jamais. Il n'y a pas de réponse. La vie est absurde."
Boy porte à elle seule toutes les blessures du siècle. Elle "se sent encore plus morcelée qu'avant, elle est un patchwork." Elle "essaye de se souvenir de sa vie. Tout lui paraît non pas factice mais absurde, impossible, irréel." Elle ne sourit pas, ne sait pas comment vivre. " - Pas sûr que la vie existe. - La vie existe mais elle ment tout le temps." Flottant entre réel et virtuel, entre hommes et femmes, Boy est mouvante, protéiforme, elle "s’invente au fur et à mesure qu’elle vit". Vite. Les phrases sont acérées, tranchantes, nerveuses, habitées de peur et de désir mêlés.
Boy ne sourit pas, est toujours sur la défensive, est hantée par des cauchemars qui "fabriquent la réalité". Sans cesse, elle tente de survivre, de s'adapter, trop occupée à soigner son père grabataire et absent, trop débordée par cette colère intérieure qu'elle s'efforce de canaliser, trop accaparée par la recherche d'un amour total, absolu, trop grand et trop fort, qu'elle espère autant qu'elle redoute, mais qui, elle en est sûre au fond d'elle, la sauverait de tout et comblerait "la joie furieuse qu'elle a de vivre".
Car ce roman tragique et sombre aux allures de thriller, "roman épique sur décor sanglant" est avant tout un roman d'amour, déroutant, déstabilisant, incertain, éprouvant et par là même intense, passionné, incendiaire, magnifique.
Un livre haletant : Un roman que je n'ai pas lâché.Une héroïne attachante, une écriture qui laisse de la place au lecteur. Des accélérations et du temps, nécessaire parfois. Un monde à la fois ressemblant au nôtre, mais en "plus". Une envie folle de foncer, aller plus vite. Une envie de vivre fort.
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