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L'écriture de Beast est née de deux éléments : l'envie de mettre en scène un personnage de chanteur et la vision (par hasard) d'un reportage sur le véhicule présidentiel de Barack Obama, une Cadillac blindée et suréquipée dénommée, pour cette raison, The Beast. Ces deux points ont insisté et fi ni par trouver une forme plus nette à travers un récit articulé autour d'un président véhiculé de show en show, ou de meeting en meeting, qui use de sa voix, d'images, de déhanchements aussi, pour frapper les coeurs et crânes de ses auditeurs. Le livre ne suit pas une carrière politique mais l'épuisement du corps réduit au spectacle et aux effets qu'ils produisent sur les sondages, les statistiques. Le seul corps qui ne fi nit pas brisé ou épuisé dans cette fi ction est celui de la voiture.
Cette dernière devient non pas humaine - « Beast » souhaiterait éviter l'anthropomorphisme - mais plutôt un automate : elle se conduit seule, suit ses propres programmes, le cuir de ses sièges produit l'impression d'une peau synthétique. Les autres personnages du récit se situent également sur des lignes de fuite non humaines :
Le président et la première dame apparaissent comme des robots déréglés, les hommes de main du président répondent à des surnoms animaux et portent des masques, les services secrets sont quant à eux du côté de la mutation.
Cet ouvrage voudrait opérer des raccords mouvement entre les différents fragments, enchaîner le mouvement de Beast, du président, avec celui du rat, du cheval (les hommes de main du président) ou de la première dame, et produire ainsi un effet de glissement continu.
L'action, le temps, les situations ne se mettent jamais tout à fait en place. Le livre cherche à reproduire en littérature les effets spéciaux d'un fi lm d'action en accentuant le rôle du véhicule, les gestes et les situations critiques ou de crise dans lesquelles la psychologie, les affects des personnages n'ont pas le temps de se développer. La déroute de la psychologie et de l'intériorité des personnages poursuit la ligne tracée dans les trois précédents romans d'Elsa Boyer.
« Beast » reprend aussi les scénarios, récits, ou « narrative » comme disent les Américains, que met en place une présidence pour faire face aux événements et mettre en scène, voire surjouer, son action, ses prises de position. Il s'agit donc de reprendre les techniques du « storytelling » et de les confronter à la fi ction. Ce livre se demande fi nalement ce que l'on peut raconter, et comment, quand la police de Boston, par exemple, publiait après les attentats d'avril 2013 ce tweet sur les réseaux sociaux : « CAPTURED !!! The hunt is over. The search is done. The terror is over. And justice has won. Suspect in custody » ? De même, que peut raconter la fi ction, et encore une fois sous quelle forme, quand une photographie comme celle prise dans la Situation Room lors de l'attaque contre le refuge de Ben Laden dramatise et met en scène à ce point l'action politique en jouant sur le hors-champ de l'image ? « Beast » explore une possibilité à la fois minimaliste et outrée : une ligne narrative qui se dissout à travers les enchaînements et revirements de l'action, le déplacement d'un véhicule et des personnages aussi difformes que déréglés.
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