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Certains en possèdent déjà : les animaux de compagnie, les espèces protégées et les animaux d'élevage. Mais les droits que nous leur avons consentis sont minimaux et incohérents. Nous traitons différemment les chiens, que nous considérons comme des membres de la famille, et les cochons, réduits au rang d'objets produits en masse et abattus dans d'indignes conditions. Pourtant cochons et chiens présentent une sensibilité et une intelligence similaires.
Comment en sommes-nous venus à les classer dans des catégories si différentes ? C'est que nous sommes spécistes. Le terme, peu connu en France, fera bientôt partie de notre vocabulaire. A l'instar du racisme et du sexisme, dont il poursuit la logique. Le spécisme consiste à traiter différemment, et sans la moindre raison valable, deux espèces qui présentent les mêmes caractéristiques. Tout comme nous avons longtemps dénié aux femmes les mêmes droits que les hommes.
L'affirmation de l'antispécisme sera celle de l'animalisme, un mouvement philosophique qui promeut la nécessité d'accorder des droits à tous les animaux, en raison de leur capacité à souffrir. Loin d'être anecdotique, l'animalisme incarne le mouvement idéologique le plus révolutionnaire ; pour la première fois depuis 2000 ans, il entend sortir nos systèmes de pensée occidentaux de leur logique anthropocentriste et reconnaître que nous, qui sommes des animaux, avons des obligations morales à l'égard de nos cousins.
Surtout, l'animalisme s'inscrit dans une logique d'écologie politique, éloignée de celle incarnée dans les élections. Non plus une écologie superficielle, qui se soucie seulement de préserver les écosystèmes, les ressources et quelques espèces en péril, mais une écologie profonde, qui repense complètement la place de l'homme dans le monde. Pour que ce dernier ne vive plus en parasite, mais en symbiose avec toutes les formes de vivant.
Cela oblige à une refonte de nos institutions et à briser la vision à court-terme du temps politique. Cela nous oblige aussi à une réforme intellectuelle qui remette en question la notion de " profit ". Le capitalisme, le socialisme, le communisme, le néo-libéralisme sont aujourd'hui discrédités, si ce n'est dépassés.
http://www.leslecturesdumouton.com/archives/2016/04/17/33679529.html
Je lis principalement des romans : il m'arrive évidemment de lire des essais mais, en général, ce sont des témoignages. Cependant, dès que j'ai appris la sortie de ce livre, j'ai eu l'envie immédiate de le lire. Pourquoi ? Pour de « bonnes » et « mauvaises » raisons. Premièrement, j'avais toujours aimé les interventions d'Aymeric Caron sur ONPC. Sa manière de mettre les invités face à leurs contradictions, de démonter des arguments fallacieux avec preuves à l'appui, de vouloir montrer la face cachée des gens avec pugnacité (même si parfois je le trouvais un peu rude) m'avait toujours plu. Ensuite, cela faisait des mois que je réfléchissais au végétarisme – pour des raisons égoïstes de santé au départ – et je cherchais un livre qui aborde la question d'une façon claire et complète... je n'ai pas été déçue !
Avec Antispéciste, on a plus qu'un essai, on a tout un système de pensée développé, argumenté, sourcé sur les animaux au sens large du terme (animaux humains et non humains), l'éthique animale (nos devoirs envers les animaux non en tant qu'espèces mais en tant qu'individus), l'aberration morale, écologique mais aussi économique de l'exploitation animale. Aymeric Caron pousse même la réflexion sur le domaine politique, prônant une écologie essentielle là où il n'y a actuellement qu'une écologie molle, une écologie politique souvent plus soucieuse de pouvoir que d'actes.
Avant de vous fournir en détail le contenu de ce fabuleux livre, expliquons tout d'abord le titre du livre. Qu'est-ce que l'antispécisme ? C'est le contraire du spécisme qui consiste à traiter de manière différenciée les animaux selon leurs espèces même si leur sensibilité et leur intelligence sont comparables. On catégorise ainsi les espèces au sommet duquel trônerait l'Homme « forcément » plus important que les autres animaux. Ainsi, la souffrance de l'Homme serait plus importante que celle du chien ou du chat qui eux-même seraient plus importants que les cochons etc. Ce spécisme qui concerne plus de 90 % des personnes vivant dans nos sociétés occidentales est le terreau qui permet l'exploitation animale industrialisée dans un contexte de capitalisme et de consumérisme à outrance.
À partir de ce vocable quasi-inconnu en France, Aymeric Caron pose les jalons d'une réflexion faisant appel à plusieurs disciplines (philosophie, génétique, cosmologie, droit...) pour que nous prenions conscience de l'importance d'élargir notre sphère de considération morale, de nous repositionner à notre juste place dans le monde des vivants et de projeter un nouveau modèle économique et politique où la biodémocratie serait maîtresse.
La première partie intitulée L'animal que je suis donc, explique scientifiquement, notamment à partir de la génétique, que l'humain est un animal et qu'il n'y a entre les animaux non-humains et nous qu'une simple différence de degré, et non de nature. Il pointe ainsi le fait que les animaux non-humains possèdent des caractéristiques communes avec les humains notamment une conscience et une capacité à ressentir les émotions comme le plaisir, la douleur, la tristesse. Malheureusement, beaucoup de personnes sont animalosceptiques ce qui favorise l'exploitation animale. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à la déclaration récente de Cristina Cordula sur la fourrure : le port de la fourrure ne serait ainsi pas condamnable si elle provient d'animaux d'élevage car ils seraient faits pour ça... bel exemple de spécisme ordinaire.
Dans une deuxième partie – L'animal assassiné – Aymeric Caron met l'accent sur la désinformation faite sur l'exploitation animale et notamment sur les conditions dans les abattoirs. Il nous donne l'exemple d'un documentaire TV sur une ferme où vivent paisiblement des animaux, choyés par leur éleveur qui leur donne d'ailleurs des prénoms comme des enfants. Mais quel humain envoie ses enfants à l'abattoir ? La question ne se pose même pas dans le documentaire car elle est occultée complètement et sciemment. C'est comme si on faisait un documentaire sur les camps de concentration et d'extermination en ne parlant pas des millions de morts... car qu'on le veuille ou non, l'exploitation animale est un génocide ininterrompu.
Dans une troisième partie – Pour la fin de l'exploitation animale – l'auteur aborde la philosophie morale en présentant une expérience de 1967 du philosophe Philippa Foot, le « dilemme du tramway » : serait-on prêt à sacrifier une personne pour en sauver cinq ? Par extension, est-on prêt à sacrifier plusieurs animaux pour sauver un homme ? Si le trait est poussé, il invite à réfléchir sur les notions de « morale », d' « éthique ». C'est aussi une introduction pour parler de manière plus approfondie de l'éthique animale, définie plus haut dans cette chronique, et notamment des différents courants la composant : le welfarisme et l'abolitionnisme. Les welfaristes ne sont pas opposés par principe à l'exploitation animale si les animaux sont dans des conditions d'élevage répondant à leur bien-être. Les abolitionnistes eux estiment qu'il n'existe pas d' « élevage heureux » et revendiquent donc la fin de toute exploitation. Aymeric Caron en profite pour expliquer que ces courants ne sont pas hermétiques et qu'il est possible ainsi d'être dans un entre-deux. Il exprime aussi les quatre droits fondamentaux qui devraient aujourd'hui être accordés à tous les animaux sensibles :
Le droit de vivre, donc de pas être tué ;
Le droit de ne pas être emprisonné ;
Le droit de ne pas être torturé ;
Le droit de ne pas être une propriété.
Dans la quatrième partie – L'antispécisme est un nouvel humanisme – Aymeric Caron démonte les arguments de ceux qui disent qu'il faut d'abord penser à s'occuper des humains avant de penser à la cause animale en montrant qu'être antispéciste c'est combattre toutes les discriminations aussi bien humaines que non-humaines. C'est ainsi une lutte universelle pour les opprimés, les plus faibles, les humiliés. Les défenseurs des animaux sont traditionnellement et par essence des humanistes. L'antispéciste est donc aussi contre le racisme, le sexisme et toute forme de discrimination envers les hommes. L'antispéciste a ainsi une sphère de considération morale très élargie car il conçoit le monde des vivants comme un tout : il est donc plus qu'un humaniste, il est anumaniste. Et si on doute qu'on puisse voir un jour les droits des animaux défendus par tous, l'auteur rappelle comment l'humanité a su faire évoluer sa pensée au fil des siècles (avec difficultés et des phases de régression il est vrai)... l'esclave est devenu un homme libre comme un autre, la femme est devenue un être humain comme un autre, l'homosexuel est devenu un humain considéré comme normal et non malade... Ce qui pour l'instant bloque pour reconnaître le droit des animaux et abolir l'exploitation, c'est le profit économique qu'on en tire. On souligne aussi l'impact négatif en terme d'emplois alors que les éleveurs sont devenus des esclaves de l'industrie agricole et qu'on consacre un budget faramineux pour soutenir une agriculture qui produit bien plus que nécessaire.
Dans la cinquième partie – Antispéciste comme Superman – l'auteur montre l'absurdité du modèle économique et politique dans lequel nous vivons : un monde capitaliste, consumériste mais qui n'a de cesse de creuser les inégalités et que pour autant nous acceptons. Il reprend ainsi le terme de « consentement à l'inégalité » de l'historien Pierre Rosanvallon. Les empires capitalistes et les hommes politiques qui soutiennent ce type d'économie font régner en maîtres la triche, le mensonge, l'arnaque. Il suffit de voir toutes les affaires telles que les Panama Papers pour admettre cet état de fait. Nous sommes dans un monde où le hold-up règne et avec le consentement servile de la population qui n'en profite pas. Pourtant, pour Aymeric Caron, l'entraide est « plus bénéfique que la compétition » d'autant plus que l'argent ne vaccine pas du malheur. Il convient donc aux humains de se révolter, de refuser de suivre les ordres sans morale : faire de la désobéissance civile.
Dans une cinquième partie – Pour une écologie essentielle – Aymeric Caron aborde véritablement l'aspect politique de l'antispécisme. Il montre tout d'abord que l'écologie telle qu'elle est défendue actuellement par nos partis écologistes est une écologie superficielle – ou une écologie environnementale – qui ne s'intéresse qu'à la pollution ou à l'épuisement des ressources. L'objectif est uniquement de limiter les dégâts alors qu'il convient de tout réformer. C'est finalement le succès de ce qu'on appelle le développement durable : exploiter de manière « raisonnée » les ressources naturelles pour laisser de quoi se développer à nos générations futures. Ce développement durable est d'ailleurs enseigné en géographie dans nos écoles (je le sais d'autant plus que j'étais prof d'histoire-géo il y a encore moins de quatre ans). Pour Aymeric Caron, on ne peut pas de limiter à atténuer les effets néfastes. De plus, cette écologie est anthropocentrée alors qu'elle doit être biocentrée c'est-à-dire ayant une réflexion morale sur tous les êtres vivants basée sur trois préceptes : « moins produire, moins se reproduire, mieux se conduire ». Pour cela, il convient donc de faire une révolution politique et démocratique ce qui nous amène à la dernière partie.
Dans Pour une biodémocratie, Aymeric Caron pose les jalons d'une nouvelle vision de la démocratie étendue à l'ensemble des vivants : la République du Vivant. Cette république doit notamment s'appuyer sur une assemblée parlementaire qui doit prendre en compte les intérêts de tous les vivants et des représentants pour les animaux non-humains. Exit également le Président de la République. Évidemment, vu que les enjeux sont mondiaux, la biodémocratie ne peut se limiter à la France ou aux pays européens : elle doit dépasser les frontières, s'internationaliser.
J'espère avoir résumé avec la plus grande fidélité possible les propos de ce livre extrêmement riche et exigeant. Il peut évidemment apparaître comme radical ou prétentieux mais les propos sont cependant plus nuancés qu'on ne pourrait le croire. Personnellement, je partage beaucoup de choses avec ce qu'Aymeric Caron développe, aussi bien sur les animaux que sur ce modèle économique et politique aberrant. Peut-être est-ce parce que j'ai également une sensibilité de gauche. La dernière partie sur les prémices d'une biodémocratie me semble cependant très utopique (Aymeric Caron affirme d'ailleurs que ce « programme » a un côté utopiste) mais surtout parce qu'elle n'est pas suffisamment développée. Cette partie a au moins le mérite de proposer des solutions – même très parcellaires– là où beaucoup de gens se limitent à sortir des constats de grande banalité sans propositions (je peux classer dedans la plupart des livres agaçants des hommes politiques). Aymeric Caron a t-il des projets politiques dans le futur ?
J'ai pris en tout cas un immense plaisir à lire cet ouvrage qui non seulement m'a apporté intellectuellement (en même temps je n'ai pas une culture de dingue au départ lol) mais qui a en plus fait mûrir mes réflexions sur les animaux et le végétarisme : au moment où j'achève cette chronique (17 avril 2016), je suis depuis une semaine végétarienne et je compte bien le rester et aller plus loin par la suite mais chaque chose en son temps...
Je termine cette chronique par les dernières lignes du livre avant l'épilogue et que j'aime beaucoup : « Contrairement à l'idée communément répandue, nous ne naissons pas libres. L'existence est un long parcours pour acquérir la liberté. Celui qui a réussi sa vie est celui qui meurt affranchi. »
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