« Une brume s’accroche à la nuit, le Grand Canal se distingue à peine. Un vaporetto blanc s’approche, heurte le bois de l’embarcadère,… Alice ne parle pas, ne nomme par les lieux, elle me laisse seule face à l’inconnu. Je ne demande rien, j’accueille ce qui m’est offert, cette succession...
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« Une brume s’accroche à la nuit, le Grand Canal se distingue à peine. Un vaporetto blanc s’approche, heurte le bois de l’embarcadère,… Alice ne parle pas, ne nomme par les lieux, elle me laisse seule face à l’inconnu. Je ne demande rien, j’accueille ce qui m’est offert, cette succession d’apparitions fantasmagoriques, vagues palais, fenêtre en ogives éclairées, statues montant la garde des des jardins invisibles, toute une ville naissant peu à peu de l’eau noire. »
Ce paragraphe résume l’atmosphère que j’ai ressentie en lisant ce livre.
Aude et Alice, Alice et Aude, deux contraires qui s’attirent.
Aude, fille de la bourgeoisie, timide, un peu renfermée, studieuse est, depuis la primaire, amie avec Alice, fille d’ouvriers, libre d’esprit et entreprenante « J’admirais Alice de toute ma petite âme. J’avais grandi dans un milieu favorisé, elle allait au dispensaire faire soigner ses dents et n’avait pas peur, elle portait des vieux pulls de ses frères, elle disait putain ta gueule va te faire foutre, elle regardait tomber la pluie de printemps avec une expression secrète qui me fascinait ».
Le coup dur arrive lorsque, en 1974, Alice décide de tout plaquer pour « suivre les cours d’un certain Emilio Vedova, star du courant informel italien. Le maître venait d’une famille ouvrière, était communiste, autodidacte, son œuvre puisait au désespoir de l’homme exploité et tentait de donner sens à l’infime de toute vie. ». Exactement dans la mouvance de Aude qui, auparavant, a tenté l’expérience de travailler à l’usine tout en continuant ses études d’art plastique.
Il a fallu un malaise lors de la présentation de son mémoire pour que Aude laisse tout tomber et parte à Venise rejoindre Alice.
Venise, dans ces années, ce sont les brigades, l’après 68, la liberté et, surtout, l’odeur de Venise, le brouillard hivernal, le vieil appartement délabré dans un palais tout autant délabré. Mais, c’était l’odeur de leur jeunesse.
Dans cet appartement vénitien vit une communauté cosmopolite d’étudiants à la fois bohème, fêtards, gauchistes dont certains vont s’impliquer de plus en plus dans la lutte armée révolutionnaire
Alice suit des cours à l’école des Beaux-Arts, se lancent dans des performances artistiques et ou politiques, Aude se laisse ballotter « Jour après jour je me perds dans son dédale, je déplie les chemins au hasard, je vais d’image en image » Aude, telle la feuille poussée par le vent, se perd physiquement et mentalement, l’impression d’un vide que rien ne peut remplir. « Je ne suis l’élève de personne, juste une passante, je glane sans engranger... »
Un jour, Alice disparaît soudainement et ne sera jamais retrouvée. Aude retourne à Lyon dans une vie terne et ennuyeuse car toujours, elle refuse de s’ouvrir aux autres.
La soixantaine, Aude quitte mari et boulot, part à la recherche de son amie Alice, perdue de vue en 1976. Elle prend le train direction Venise et, là, arrivée, tout revient avec l’odeur spécifique de Venise.
La rencontre avec les souvenirs, la réalité que Aude cherche lui permet de découvrir une Alice qu’elle ne connaît pas ou n’a pas voulu voir « Elle voulait mieux que l’amour. Elle voulait un accord parfait, musical, du monde », tout occupée qu’elle était à gribouiller des mots, des phrases sur le mur du couloir. La quête de la narratrice a pour effet bénéfique de la sortir de la léthargie, ouvrir le rideau de brume qui l’entourait. Elle sort de l’eau matricielle «Venise nous ramenait à l’origine, à l’eau matricielle ».
Le livre alterne entre deux villes, Venise et Lyon ; entre deux périodes, la fin des années soixante-dix et maintenant mais dans une même saison hivernale ; entre deux caractères, Aude et Alice.
Le tout baigne dans l’atmosphère ouatée par le brouillard.
Et puis, Venise, Venise, Venise , non, pas celle des touristes, mais la vraie, sans fard, sale et belle, embrumée, loin des clichés.
Un livre où l’atmosphère est omniprésente, atmosphère qui me rappelle le livre de Stéphane Héaume « Dernière valse à Venise » publié également chez Serge Safran.
Merci Monsieur Safran pour l’envoi de ce livre vénitien dont j’ai apprécié l’écriture, l’ambiance que Dominique Paravel déploie pour mieux me retenir entre ses mots. Il me reste à lire « Giratoire » que je viens de commander.
« Si Alice et moi nous nous croisions dans la foule, nous ne nous reconnaîtrions pas, nous nous frôlerions mais ce bref contact ne susciterait rien. Il faudrait une puissante volonté, indépendante de nous, pour que les yeux de l‘autre se rencontrent enfin. »
J'ai relu votre chronique qui est beaucoup mieux que la mienne! Si effectivement certains adjectifs décrivant les deux amies sont les mêmes parce qu'ils sont probablement justes, ma chronique ressemble peu à la votre... sauf que nous racontons la même histoire avec des sensibilités proches. J'ai enlevé l'adjectif solaire qui était directement inspiré de vous mais fantasque et imprévisible pour décrire Alice me semblent trop justes, prenez cela comme un hommage, loin de moi l'idée de vous blesser ou de vous spoiler... Veuillez m'en excuser si tel a été le cas ! Bien à vous