"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
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Anny Romand retrace le parcours d’une fille qui fait la connaissance de son père une fois adulte. L’occasion de revenir sur une histoire familiale marquée par l’absence d’hommes.
Annie a rédigé une lettre pour Ebel, qu’elle s’est enfin décidée à rencontrer. Accompagnée de son amie Angelica – sans doute pour qu’elle ne flanche pas en route – elle sonne à la porte cet appartement, au quatrième étage d’un immeuble ordinaire. L’homme qui habite là est son père. Un père qu’elle n’a pas connu, qui a disparu de sa vie avant même qu’elle ne voie le jour. Un vide, une absence dont on ne guérit pas. Mais peut-être pourrait-elle comprendre? La femme qui vient lui ouvrir ne semble pas surprise de la voir et ne met pas en doute son lien de filiation, la ressemblance semblant frappante.
Ebel, en revanche, ne comprend pas qui est cette jolie femme qui lui rend visite.
«Le regard vide raconte la maladie, l'échange impossible, la mémoire perdue. L'épouse, oui sans aucun doute, prend le relais, sourit un peu, déconcertée par cette affirmation directe qui ne lui donne pas le temps de réfléchir sur la conduite à tenir. Le temps en profite, il entre en coup de vent dans l'appartement. Le paillasson, lui, est las de leur piétinement, il le lui fait savoir, elle transmet: Peut-on discuter ailleurs que sur le pas de la porte? La femme se ressaisit, comme prise en faute.
Bien sûr, entrez.» Et alors qu’un semblant de dialogue s’installe, ce sont les souvenirs qui affluent, c’est une histoire de femmes qui se déroule.
Il y a d’abord eu la grand-mère qui a fui l’Arménie, «survivante d’un génocide, d’un exil, d'une vie précaire dans un pays étranger, veuve avec un fils à élever» et qui va se retrouver en France pour prendre un nouveau départ, alors que les difficultés s’amoncellent. Sans argent et sans père, elle va élever sa fille Rosy, souffrir mais ne rien lâcher.
Pour Rosy, la mère d’Annie, l’histoire va se répéter, mais dans un contexte très différent. Car Rosy ne veut pas supporter seule le poids de sa maternité et entend veut que le père de son enfant assume ses responsabilités. Elle n’imagine pas d’autre alternative, sinon d’abandonner leur progéniture dès la naissance.
On imagine le choc lorsqu’elle annonce cette décision à sa famille, qui elle s’est battue «jusqu’à la pointe de la mort pour amener leurs gamètes à survivre, à créer un autre humain. Ils n’ont pas lâché, ils ont souffert toute leur vie pour assurer leur descendance.» Mais la vie va finir par avoir le dernier mot et Rosy va garder sa fille.
Anny Romand, en jouant avec les temporalités et en passant d’une histoire à l’autre, tisse un lien entre ces femmes sans hommes, unies par leur souffrance et leurs difficultés, mais qui toutes vont faire de leur fille une force. Entre les lignes, on voit bien émerger un féminisme latent, ou bien plutôt la lâcheté et l’irresponsabilité des hommes qui préfèrent la fuite, qui nient la réalité ou qui ne se rendent compte bien trop tard du mal qu’ils ont fait. Une écriture délicate donne à ces drames une lumière teintée d’humour. Et ce n’est pas là la moindre de ses qualités.
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« Pourquoi vouloir aller voir son père qui n’a pas voulu, lui, quand elle était une toute petite enfant, la prendre dans ses bras, la cajoler, la consoler, la faire rire La voir quoi ! Non, il n’a pas voulu. Alors pourquoi aujourd’hui, à quarante ans passés, va-t-elle frapper à sa porte ? C’est trop tard. Le temps s’est opacifié. »
Oui, Annie veut mettre un visage sur ses rêves, savoir pourquoi, bref, le rencontrer, elle lui a donné tant de visages, de vies à ce géniteur inconnu.
Anny Romand remonte à la genèse de la vie d’Annie, soit le jour où sa mère annonce la « bonne nouvelle » au futur père « Qui me dit que cet enfant est de moi ? » Quelle belle réponse de ce jeune homme à la carrière prometteuse. Elle, la future mère attend, espère puis quitte le bureau. Que va t-elle faire ? « Je n’en veux ps, je l’abandonnerai à la naissance. Ma décision est prise ». Volte-face, Annie naît, vit entourée de sa mère et sa grand-mère. Rosy est elle-même une fille élevée sans père… Le génocide arménien, la fuite en furent les causes.
Alors, « Elle frappe à cette porte, la porte sur laquelle elle aurait dû frapper toute sa vie, une porte qu’elle aurait dû ouvrir des milliers de fois pour retrouver des visages familiers. C’est étrange d’avoir rêvé de cette porte et de la voir pour de vrai ». Elle ose, elle franchit le pas, il a fallu le décès de sa mère pour oser le faire. Rosy ne voulait pas en entendre parler « Tu vas souffrir, ma fille » lui assenait-elle à chaque velléité de retrouver ce père, elle qui avait été rejetée, ne voulait pas de ça pour sa fille. « ma chère maman aujourd’hui disparue. Toi qui n’as pas su ou pu t’imposer avec cette enfant tombée du ciel, plutôt remontée de l’enfer, en ces temps difficiles pour les mères sans mari, où la virginité était respectable, honorée comme signe de sagesse, d’éducation et de bon goût ».
Les chapitres du roman alternent entre la vie de sa mère, sa grand-mère, son enfance et l’actualité à savoir sa rencontre avec son père et sa famille.
Aucune lamentation, une écriture alerte, vive. Pas de tremolos, des mots justes, des dialogues vivants… j’ai lu ce livre d’une seule traite.
« Elle avait toujours su le nom de son père, sa mère le lui répétait souvent : Ebel. Et pour être à la hauteur de son père elle s’était efforcée d’être belle pour porter le nom refusé, d’être enfin son nom. Eh, Bel ! Être belle ! »
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