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Jeannette, elle rêve de rencontrer Eleonore. Une crocodile recueillie par le zoo de Vannes, après un sauvetage des égouts de Paris. Sauvetage ou évacuation, question de point de vue.
Pour ses dix ans, sa mère lui a promis. Cette fois, c'est la bonne. On se lèvera tôt, on se préparera un pique-nique, on se racontera où c'est qu'on va aller, quand on aura vu Eleonore, et puis l'océan, et puis. Et puis la mère noyée dans sa bouteille de vodka. Vide.
On ira une autre fois.
C'est pas la mer à boire.
Onze ans.
Douze ans.
Treize...
Elle en fête, des anniversaires, Jeannette. Entre sa mère qui boit trop, puis qui boit moins. Et puis un peu trop à nouveau. Son oncle autiste, et toute cette tendresse qui déborde de partout, des sourires, des mots, des pages. de l'établissement où il a été placé. Son meilleur ami. Les parents de son meilleur ami.
Rien que la vie, finalement.
Tu vois, Jeannette. Rien que la vie. Qui passe. Reprend tout. L'usine qui ferme. le bled qui crève, d'économie, d'ennui.
Et Eleonore alors ?
On la verra quand ?
Un roman d'une tendresse folle, qui oublie de se lamenter, de pleurer sur ses personnages. Même quand ça secoue méchamment. On sourit, on rit, on picole trop, on se fait licencier, on batit des rêves avec trois bâtons ou trois brindilles trouvés sur le chemin. On en fera des histoires ! On a peur du temps qui passe. Et puis tout le reste.
"Qu'est-ce qui reste"
Un coup de coeur
Pour le titre. Pour l'histoire. Pour cette putain de belle écriture, absolument réaliste, absolument rythmique. Vous savez, quand il n'y a rien à retrancher. Plus rien à ajouter. Puisque tout est là.
Jeannette a un rêve, rencontrer Eléonore, un crocodile sauvé des égouts parisiens et installé au zoo de Vannes. C'est son cadeau pour ses 10 ans. Elle est prête ce matin-là : pique nique préparé, sac à dos dans l'entrée, elle attend assise dans la cuisine que sa maman se réveille... Mais la journée ne se déroule pas comme prévu... Les anniversaires suivants non plus. Alors Jeannette gardera Eléonore dans un coin de sa tête, comme un petit bout d'espoir auquel se raccrocher, au milieu de toutes ses désillusions, car la vie, elle s'en rend compte, est bien décevante...
Elle s'en rend compte, tout va mal autour d'elle : sa mère, qui boit, soutenue dans son ivresse par Dirk, son compagnon, menteur, manipulateur et malhonnête, le manque d'argent, les adultes malheureux entre peur du licenciement et désir de famille inassouvi...
Alors elle essaie de rendre sa vie plus belle avec son ami, Robinson. Ils passent beaucoup de temps ensemble, à rêver, à discuter, à imaginer un monde différent, à respirer. Il y a Claude aussi, son oncle autiste, placé en institut spécialisé, rempli d'amour et de sensibilité pour sa nièce, qui lui aussi ne comprend pas comment tourne le monde...
Jeannette s'accroche à ses idées pour éviter le gris de cette existence... Pauvre Jeannette, trop naïve...
Magnifique!! Quelle galerie de personnages tous plus cabossés les uns que les autres!
Et au milieu, Jeannette, petite fille qui grandit avec des attentes, des espoirs et une envie de mieux, dans un milieu triste et sordide. C'est bien simple, j'ai tout aimé de ce roman, que ce soit la plume magnifique de l'autrice, réaliste, pleine de finesse et de tendresse, les personnages abîmés, mais surtout, ces deux marginaux que sont Claude et Jeannette, tellement sensibles, humains et étrangers au monde qui les entoure...
C'est un roman social très réussi, triste et touchant... vraiment très beau!
Je le referme le cœur serré mais rempli de tendresse pour cette inoubliable Jeannette.
« Il faut bien que les choses se soient passées, d’une certain façon » Leitmotiv que je retrouve au fil des pages de ce livre. Et c’est ainsi que les choses se sont passées.
Presque envie de parodier la chanson de Brel « Ces gens-là » pour parler de cette famille.
D’abord, il y a l’aine, Karl, parti pour l’Océan, qui revient après vingt ans d’absence, avec pour tout viatique une dette de jeu et une fille muette
Et puis, il y a Pierre, surnommé l’Indien, frère puîné de Karl et, par là-même son souffre-douleur. Petite chose quasi obèse dans son enfance, devenu taiseux, vivant dans sa cabane, chassant à l’arc (d’où son surnom).
Et puis, il y a le père, le Doc comme on l’appelle au village. Docteur, il l’est. Méchant, aussi. Mais bon, ce n’est pas seulement de sa faute. Son propre père a tout fait pour. Cet homme n’a jamais connu l’amour, alors, comment voulez-vous qu’il en donne à ses propres garçons.
La mère, quant à elle, s’est perdue dans le sentier chimique des médicaments que lui fourgent son doc de mari pour oublier le départ de Karl, « pour flouter un peu le réel ».
Et puis, il y a la vieille, la mère, celle qui est à l’hospice, perdue par la grâce d’un alzeimeur et Joël le frère du Doc avec son chien Tak. Ah, j’allais oublié Henri Des Courts, père du Doc, sa belle gueule de salaud dans son cadre en bois
Et puis, il y a Angèle, la petite, la muette qui regarde et écoute, qui a compris que l’amour, la tendresse, la sécurité elle les trouve chez Pierre et non chez Karl
Et la nature omniprésente, la forêt enneigée où vivent les animaux sauvages que le Doc aime tuer comme des trophées avec son équipe de chasse. Pierre aussi les chasse, mais lui, préempte, les pistent avec son arc et sa patience. Le père et le fils pistent un vieux sanglier, un solitaire que chacun voudrait ajouter à son tableau de chasse.
Karl, au café, retrouve son ancienne amoureuse, Mariline, qui vit avec Serge, son vieux copain, revenu cassé de l’Afghanistan.
La narratrice est la fille de Karl « J’ai cinq ans et je suis seule, dans la forêt. J’ai froid aux pieds. Je tiens à la mais un arc en plastique rouge rafistolé avec du scotch. Il y a du blanc et des arbres noirs, puis, deux détonations, au loin. Deux en une. C’est tout ».
Il y a beaucoup d’images lorsque je lis ce livre.
La blancheur de la neige dans la forêt, les arbres noirs, les sapins, le silence.
Le Doc qui le jour de Noël, alors que les garçons étaient petits, tirent deux coups de fusil en l’air pour tuer le Père Noël « Comme ça il viendra plus nous faire chier, le Père Noël… Le Doc se rassoit et leur sourit »
Angèle qui, lors des obsèques de la grand-mère, quitte la main de son père pour prendre celle de son oncle.
Karl a genoux, quasi à plat ventre devant son père pour lui soutirer l’argent et régler sa dette de jeu et le père assis dans son fauteuil imperturbable, dédaigneux sous le portrait de son propre père.
La mère qui refuse ce nouveau Karl et qui enlève toutes les photos de SON Karl qu’elle pose sur la neige, tout comme elle le fera plus tard avec ses habits.
Le sanglier, le solitaire qui déambule entre les pages du livre traqué
Karl à la recherche d’un viatique qui va même tenter de voler les bijoux de la grand-mère agonisante.
Il y a le décalage entre la violence, la brusquerie qui sourd des personnages et la dentelle de l’écriture de Séverine Chevalier qui raconte tout ceci. Pourtant, les mots sont durs, bruts qui diffusent une atmosphère de malaise, comme un brouillard épais qui vous tombe sur les épaules. Rien n’est net et tout est soupesé à l’aune de la haine familiale. Pourtant, les mots se font légers comme la neige qui tombe et se dépose en un épais tapis. La noirceur est contrebalancée par la blancheur de la neige, Angèle, si angélique, qui traverse l‘histoire.
Une histoire qui ne se laisse pas oublier facilement, le sortilège marche encore même plusieurs semaines après avoir fermé le livre. « Il faut bien que les choses se soient passées, d’une certain façon »
Excellente idée de la part de la maison d'édition La Manufacture de livres que de rééditer ce Clouer l'Ouest ( initialement paru en 2015 ), dans le cadre de l'opération 10 ans / 10 livres. Ce livre s'inscrit avec bonheur dans la lignée du roman rural noir à la nature writing.
C'est l'histoire d'un retour : celui de Karl, plus de 20 ans après avoir fui sa famille et son village limousin. Il va bousculer l'équilibre fragile qui s'est établi chez lui, entre son père, intransigeant et craint, sa mère bouffée par les cachetons, son frère qui s'est exilé à sa façon en vivant dans les bois au contact de la nature, son ex Maryline, son ami d'enfance Serge.
Les chapitres sont très courts, alternant classiquement passé / présent. Ils instaurent d'emblée une tension, sourde, menaçante, omniprésente , qui ne semble avancer que vers une fatalité terrible. Comme si le drame qui est en train de se construire à partir de ce retour n'était en fait que celui qui avait commencé 20 ans auparavant et qui devait s'achever là, maintenant que tous les protagonistes sont à nouveau réunis.
Le plus formidable dans ce roman, c'est l'écriture de Séverine Chevalier, ciselée, chaque mot sonnant juste, placé juste pour s'insérer dans une prose poétique et terrienne qui dévoile les âmes de façon évidente. Cette écriture superbe transcende le banal drame familial, le hisse au niveau d'un drame shakespearien qui convoquerait le poids des haines recuites. C'est violent et beau à la fois.
Voilà comment elle raconte les retrouvailles entre le père et le fils :
" Une bête au fond de l'eau lui bouffe les pieds et l'attire vers le bas, dans la tourbière, et il n'y a rien à faire, il s'enfonce inexorablement. Il ne peut rien faire d'autre que de s'entendre aligner des mots stupides et vains tant qu'il peut encore respirer, tant qu'il a encore une langue qui se débat, une limace folle dans la bouche, une langue qui glougloute et qui déballe tout. Plus de boulot, le jeu, la séparation, les dettes, les emprunts occultes à 30%, les menaces, la petite fille qui ne parle pas, la vie nouvelle, les rideaux, ce qui va changer, ce qui changera si ... Il en appelle à la miséricorde, la bondé, l'infinie sagesse de Dieu son Père, caché derrière l'ordinateur. Il s'aplatit, pauvre pêcheur, il rampe, il lui baiserait les pieds pour un geste, une parole. Il est le grand Coupable qui expie et qui se vautre, s'étale encore, ne peut plus s'arrêter de se vautrer, et là, précisément l'abjection, dans tous ces amas spongieux dans lesquels pourtant il se brise ( amas spongieux de la supplique au père.
Si ça se trouve, de la mousse s'est agglutinée aux commissures, mais quajnd il les touche avec le pouce et l'index écartés pour se sentir, c'est sec et fenfillé comme du bois.
Le Doc se lève, contourne le bureau, ouvre la porte qu'il laisse grande ouverte et sort d'un pas mesuré, lent et égal, sans un mot. Et Karl, désossé, ventre ouvert, tête cassée, si piteusement risible qu'il en pleurerait de rire, s'il continuait à s'observer de haut, comme un insecte."
Ce sens du tragique s'appuie également sur une très belle idée, celle de faire traverser le roman par deux « personnages » singuliers : Angèle et la Bête. Angèle, la fille de Karl, 5 ans, dérangeante par son mutisme et le regard insondable qu'elle porte sur la folie qui couve, c'est elle la narratrice, celle qui raconte son père. Et la Bête, un sanglier à la dimension quasi mythique qui est traqué sans fin par le village, comme une métaphore.
Un roman concis et intense que j'ai lu comme hypnotisée. Il ne m'a juste manqué que de vibrer d'émotions autant que j'ai vibré de plaisir esthétique en découvrant l'écriture de Séverine Chevalier.
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