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Livre en 3 parties. 1ere partie : Sa version à elle. Elle, c'est Ilonka. Femme divorcée qui relate à une amie, son histoire. Sa rencontre avec Peter, leur mariage, leur divorce. Elle lui explique les années de doute, la mort de leur fils, le caractère distant de Peter et sa trahison.
2eme partie : Sa version à lui, Peter. Comme Ilonka, il discute avec un de ses amis et lui explique son premier mariage avec Ilonka, leur divorce, son deuxième mariage et son deuxième divorce.
3ème partie : La version de l'autre. L'autre c'est judit. La deuxième épouse de Peter. Celle pour qui il a divorcé d'Ilonka. Elle, elle discute avec son amant et lui explique comment elle est entrée dans cette famille riche. Petite fille très pauvre, elle est entrée au service de la maman de Peter comme femme de ménage. Elle raconte comment elle a rencontré Peter, comment elle a assisté à son divorce pour se remarier immédiatement avec lui.
A travers ces 3 personnages et cette idée de roman "confession", l'auteur décrit parfaitement les sentiments de chacun par rapport à la classe sociale dont il fait partie. Mais aussi, il dépeint à merveilles (un peu cynique parfois) la bourgeoisie hongroise de l'entre-deux-guerres.
J'ai beaucoup aimé la structure du roman. Très intéressante cette façon de donner à chacun la parole ! Je sais qu'aujourd'hui encore la vision du monde dépend totalement de la classe sociale dans laquelle tu grandis ... mais même si c'est vrai, même si c'est intéressant ça me gonfle !! Pour moi, que tu sois riche ou pauvre... si t'es con, même avec de l'instruction que ton statut social a pu te permettre d'acquérir, tu restes un con ! A l'inverse, si tu as envie de "grandir", qu'importe ta fortune, tu trouveras toujours un moyen de devenir quelqu'un ! C'est beaucoup plus facile, certes, quand tu as les moyens mais c'est trop facile de s'arrêter sur ton nom de famille ! Biensuuuur, comme à chaque fois, ce n'est que mon humble avis que j'aime partager avec vous !
De la même veine que Stefan Zweig. Aussi fin et subtil dans cette fin de l'empire austro-hongrois.
Je lis "Les braises" après "Les métamorphoses d'un mariage". Il semble plus fade. Peut-être est-ce la traduction (ce n'est pas le même professionnel pour ces deux oeuvres). Cette traduction manque de mordant, d'image et de précision.
L'histoire des Braises c'est un face à face entre deux vieux militaires de carrière en Hongrie, alors royaume d'Autriche avant les deux grandes guerres mondiales. Ils n'ont jamais su communiquer ensemble, l'un étant persuadé de tout comprendre, de tout savoir et de tout maîtriser (Henri) et l'autre qui s'enferme dans le silence, les secrets, la fuite (Conrad). Quarante et un an sont passés avant que Conrad ne revienne voir Henri pour décider ensemble de ce qu'ils doivent faire des ses "braises" du passé : les éteindre, les raviver, s'en servir pour brûler l'autre (se venger)?
Un tiers du roman dresse le portrait de la déchéance : le château silencieux, la Hongrie qui n'a plus d'identité, la vieillesse des deux protagonistes. Nous sommes dans le marasme et quand bien même l'action se situe en été, on ressent comme une humidité, à la limite de la moisissure.
Le deuxième tiers entre dans le vif des "braises" : Conrad est un lâche, un fuyard, un homme "différent" des classes sociales élevées, un artiste (musique). Aujourd'hui, on parlerait probablement d'un transfuge de classe. Qu'est-ce que la loyauté envers un pays ? Qu'est-ce que l'amitié ? Qu'est-ce que l'origine sociale et la lutte des classes ? Qu'est-ce que vivre dans un pays qui n'est pas vraiment le sien (la mère d'Henri et la famille de Conrad) ? Henri représente la haute société hongroise d'avant guerre, la tradition alors que Conrad est celui qui a voulu s'affranchir de son milieu pauvre d'abord puis élevé sans jamais avoir pu y adhérer. La liberté individuelle est-elle possible ou la fidélité au système est-elle une nécessité impérieuse ?
Henri tient toute la place, comme toujours, comme pour tout : en amitié, en amour, en soirée, par le discours, etc. "Les Braises" sont avant tout son monologue face à Conrad, son ami d'enfance qui garde le silence dans une immobilité parfaite, face à ce vieillard gesticulant et déroulant sa "vérité". Alors oui, Henri comprend que Conrad en est arrivé à le haïr, qu'il a même eu envie de le tuer, qu'il a hésité à le faire, qu'il a aimé la femme d'Henri. Arrivée là, je me suis demandée comment Sandor Marai allait encore pouvoir écrire.
Le dernier tiers est un trio et donne une autre façon de voir les choses : Henri, Christine la morte - la femme d'Henri mais surtout l'amour de jeunesse de Conrad - et Conrad lui-même. Tout prend un autre sens, il n'y a pas d'amour pour les pauvres qui veulent quitter leurs conditions. Conrad et Christine se sont sacrifiés, le premier en facilitant la rencontre d'Henri avec Christine, et Christine en le séduisant. Pourtant, ils n'ont jamais oublié leurs rêves et leur amour. Henri n'a pas pu comprendre jusque là. Il s'approche de la "vérité" mais sans pouvoir jamais la concevoir. Pour lui, Conrad aurait dû être reconnaissant d'être l'ami d'un homme aussi puissant et influent que lui. Le portrait de Christine est beau, doux, subtile et sûrement courageux à l'époque où écrit Sandor Marai : une femme adultère et manipulatrice qui est pourtant aussi une femme qui a voulu être libre, une femme qui a su aimer, une femme qui a été au bout de ses convictions.
Finalement, je referme les pages avec une tristesse infinie pour ces quatre-là (Henri, Conrad, Christine et Nini). Mais c'est aussi un livre qui parle de la musique comme peu d'auteurs savent le faire (cf. p44-45 par exemple, édiction broché Albin Michel de 1995)
Quelle écriture ! Quel sens des non-dits, de ce qui doit être socialement, des sentiments que l'on tait, de cette si grande solitude finalement. C'est aussi l'évocation du poids de l'éducation qui façonne les classes sociales, le cloisonnement de celles-ci (quand Peter épouse Judit, ils sont rejetés par la société), les réflexions sur le couple, l'amour, la littérature, la culture, le travail, la politique en filigrane.
Ce livre n'est pas un essai mais bien un roman. La structure narrative m'a fait pensé à Molly dans Ulysse de Joyce. Cette oralité, mais en rien sexuelle par rapport au monologue de Molly, est fluide, elle nous parle, à nous qui sommes là, incarnés. Les relances de notre attention par les interpellations comme "tu crois que...?", "Je t'ennuie n'est-ce pas ?" donnent du rythme à chaque partie.
Le style permet de cheminer avec les personnages et la construction du roman nous permet d'être comme assis en face de celui qui parle. On a envie de dire à Ilonka, la 1ère épouse "ne culpabilise pas, Ilonka. Tu es une belle personne". Les personnages secondaires sont très important et on s'en fait une image précise : la belle-mère qui semble si gentille est celle qui a permis le marasme et le malheur de son fils (et de sa belle-fille) en maintenant Judit sous ses yeux pendant près de 15-20 ans ; le curé odieux qui enfonce Ilonka quant à la mort de son enfant (gardé par la belle-mère !), etc. Peter est un doux rêveur qui veut s'échapper de son carcan sans en avoir la possibilité mentale. Les parties évoquant la lutte des classes et la bourgeoisie sont anthologiques pour comprendre le monde de cette époque. Judit est imbuvable mais déterminée. Aujourd'hui on dirait que c'est une femme forte et libérée. Il y a aussi l'écrivain qui ne croit plus en rien, pas même en la culture (ce qui me fait penser à Bernhard Schlink qui se pose les mêmes questions en voulant y croire) et c'est lui le fil conducteur des 4 récits.
En effet, il n'y a pas 3 récits mais bien 4, le 4e étant narré par l'amant de Judit. Pour reconstituer la vie et le cheminement de chacun (personnages secondaires inclus) il faut être sensible et attentif. Rien n'est descriptif, tout est dit dans la conversation, au fil de l'eau au travers des quatre récits.
C'est vraiment un très beau roman !
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