Une plongée au plus profond du sentiment filial et de la construction de l’image du père
Une plongée au plus profond du sentiment filial et de la construction de l’image du père
Merci à Jean-Paul pour ses impressions, ses rencontres, ses Correspondances
Et cette semaine, qu'allez vous lire ? Ne cherchez plus !
Jauffret s’amuse, le lecteur trinque !
Un peu comme essayer les montagnes russes ou le saut à l’élastique, lire le roman Clémence Picot paru initialement en 1999 chez Verticales est une expérience à faire une fois dans sa vie. On est assuré de s’en rappeler, et de ne jamais y revenir. Dans près de 600 pages, pour l’édition poche, Régis Jauffret se joue du lecteur, l’emporte dans un tourbillon d’éventualités qui n’en finissent jamais. Il faut subir les lubies et scenarii d’une héroïne malsaine, malade et dangereuse, derrière laquelle on n’ose imaginer que ce soit Jauffret qui se cache. Pourtant, y a-t-il vraiment un doute ? Le romancier ne fait ici qu’expérimenter ces futures Microfictions (2007 puis 2018), dans lesquelles il semble bien là aussi se mettre dans la peau de personnages systématiquement infâmes.
Reste l’écriture, tout à fait magistrale, et unique. Des colloques ont déjà eu lieu sur l’écriture du romancier. Tout a déjà été dit : le flottement des repères temporels qui génère l’inconfort du lecteur, les fameuses intrusions de tirets cadratins pour ponctuer le récit, le conditionnel poussé ici à son paroxysme, etc…
Vous aurez envie de jeter le livre une bonne cinquantaine de fois, mais vous le reprendrez toujours, car la nausée ne supprime pas l’envie de découvrir le fin mot de l’histoire.
« C'est toujours la faute des mères ». Cette affirmation péremptoire qui ne supporte aucune contestation, on peut encore l'entendre ici ou là pour justifier le handicap (on peut penser à l'autisme, trouble dont on a longtemps imputé la responsabilité aux femmes) ou le comportement de leur progéniture.
En s'attachant à la figure de la génitrice de celui qui fut le plus grand génocidaire de tous les temps, à savoir Adolf Hitler, Régis Jauffret a composé un huis clos asphyxiant et extrêmement bien documenté sur la famille du chancelier du Troisième Reich.
Même si son nom n'est jamais prononcé...
« En juillet 1888, aux alentours de la Saint-Jacques, Oncle me fit grosse ». C'est par cette phrase laconique que commence le récit. Klara, qui subit sans cesse les assauts d'Alois, est bien la nièce de celui-ci. Adolf serait donc né d'un inceste et d'un viol, même si les mots ne sont jamais cités.
Vingt-trois ans séparent les deux parents qui se sont mariés en 1885 alors que Klara était enceinte de son premier enfant qui mourut en bas âge ainsi que le deuxième. Au total, le couple eut six enfants dont quatre succombèrent de la diphtérie. Seuls Adolf et Paula survécurent. Si le seul rescapé était décédé, la face du monde aurait été changée...
Confite dans la religion catholique, Klara se rend constamment à l'église pour recevoir la confession d'un prêtre qu'elle craint, de même qu'elle redoute les réactions de son mari.
Elle trouve une forme de réconfort dans l'écriture, un dérivatif qu'elle cache à son entourage parce que, selon elle, formatée par la morale punitive qui prévaut, c'est un péché. Dans le système patriarcal triomphant, la femme n'est qu'un ventre et la gardienne du foyer.
En utilisant le subterfuge de suivre la grossesse de la mère, l'auteur échappe à la quasi-impossibilité d'affronter directement la description de la Shoah.
En racontant le quotidien de Klara à la première personne et en faisant parler Alois Hitler dont les propos préfigurent les délires de son fils, Régis Jauffret a truffé son récit de flashes fulgurants sur l'extermination des Juifs.
Un exemple : « La joie des SS à peine sortis de l'adolescence de courser ces enfants nus échappés du bunker pour leur fracasser le crâne et ils éprouvent un plaisir redoublé à enfourner leurs corps sans vie et leurs parents les rejoindront quand ils auront fini de mourir asphyxiés et elle rhabilla le bébé qu'elle berça ensuite et qui se rendormit ».
C'est vertigineux et dérangeant et l'écriture, qui m'a fait penser à Elfriede Jellinek, est virtuose.
EXTRAITS
Pour nous châtier, Dieu nous inflige de nous reproduire à la manière des animaux.
Une femme grosse porte en son ventre le péché charnel.
http://papivore.net/litterature-francophone/critique-dans-le-ventre-de-klara-regis-jauffret-editions-recamier/
« Les femmes sont grosses de l’avenir du monde. » Un avenir parfois funeste, comme dans le cas de Klara Hitler, lorsque de juillet 1888 à avril 1889 elle porte dans son ventre celui qui s’avèrera la « bête immonde ». Comblant par la fiction les pointillés dessinés par une riche documentation historique, Régis Jauffret raconte cette gestation que, certes ignorante du mal qu’elle porte en germe, il nous présente traversée de sombres fulgurances extralucides, en une implacable superposition d’un présent mortifère, asphyxié par l’obscurantisme religieux et par l’autorité violente du mari, et de visions subreptices d’un futur innommable que lui et nous connaissons.
L’auteur que, depuis son livre Papa consacré à son père emmené par la Gestapo, l’on sait douloureusement marqué par cette époque, a rassemblé tout ce que l’on sait des parents d’Hitler avant de choisir de donner la parole à la mère. Il imagine qu’elle avait pour habitude de se confier à un tableau noir, sitôt couvert de ses mots fiévreux, sitôt effacé dans un réflexe craintif de silence et de soumission. Cette femme dont le récit ne donne jamais le nom, d’abord servante puis épouse, après dispense ecclésiastique, de son oncle, vit terrifiée sous la double emprise de cet homme mesquin, rigide et autoritaire, et d’un curé obscurantiste qui la renvoie à un coupable et inférieur statut féminin justifiant toutes les tyrannies.
Son récit plante le décor cauchemardesque d’une histoire familiale trouble, entre naissances illégitimes et origines incertaines, inceste et consanguinité, le tout confit dans les mentalités arriérées d’une petite ville d’Autriche-Hongrie tolérant toutes les turpitudes pourvu qu’elles portent le masque d’une bienséance bigote et fondamentaliste. Viennent s’y imprimer les terrifiantes confessions intimes d’une femme asservie par la peur et la maltraitance, convaincue jusqu’à la folie de sa coupable infériorité féminine et donc entièrement soumise à l’entreprise de châtiment et d’expiation qui la poursuit dans tous ses gestes et dans le moindre recoin de ses pensées. Tandis qu’elle s’efforce de se conformer au rôle que ses tortionnaires lui assignent – celui d’un ventre répugnant mais muettement soumis aux pulsions de son mari et aux besoins de la reproduction –, se glissent dans son esprit déjà halluciné les flashes de visions qu’elle a toutes les raisons de croire nées de sa diabolique mauvaiseté, mais qui parlent tout autrement au lecteur post-Shoah.
Certes un tantinet répétitif à la longue et imputant sans doute un peu trop le nazisme à la naissance d’un seul homme, ce texte, mûri par des années de préparation – l’auteur l’a remanié après une première édition italienne début 2023, sous le titre 1889 – et porté par la virtuosité d’une plume merveilleusement travaillée, a la puissance d’un grand livre, terriblement noir et douloureux, construit à partir d’obsessions personnelles profondes sur cette aberration : qu’un fœtus incarnant tous les espoirs d’avenir d’une mère se transforme en plus grand génocidaire de l’histoire.
Dément, démentiel, démoniaque... Quel adjectif sied le mieux à ce roman ? Je ne saurais le dire !!
Nous suivons la vie d'Hitler avant sa naissance: ses ancêtres, sa conception, la grossesse jusqu'à sa naissance. Il est question des doutes de Klara, la future maman, du rôle de l'entourage, de la culpabilité....
Habituellement on parle d'un heureux événement, ici la monstruosité et la souffrance transpirent dans toutes les lignes.
Klara me semble d'une sensibilité et d'une intelligence supérieure aux autres personnages mais elle est soumise aux hommes, à son entourage, à son époque, à sa religion. Accompagnée (si on peut dire) par le futur père nommé Oncle , un homme plus qu'abject. Viol à répétition, violence psychologique. Comment construire une famille et mettre un enfant équilibré dans un tel environnement?
Peu convaincue par la généalogie du début, je me suis laissée emporter par la plume de Régis Jauffret. Néanmoins certains débats théologiques m'ont paru un peu longuets.
Les allusions aux futurs actes de ce bébé sur l'humanité sont insérées de manière"originale ". Pas de double temporalité comme le veut l'expression à la mode mais des incursions, des prémonitions. Et c'est dans ces moments-là que j'ai trouvé l'auteur très fort.
Le construction est additive même s'il n'y a pas une once de clarté dans cette histoire. Tout est sombre, étouffant, violent à vous provoquer la nausée.
"On devrait envoyer une mère de ma sorte traverser l'avenir et à son retour elle se précipiterait par la fenêtre pour que le fruit éclate sur le macadam." (p.171)
Un roman à lire assurément !
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