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Ami, entends-tu … Ils étaient 4 000 à avoir entendu et à être montés au maquis du Vercors quand, le 21 juillet 1944, l’opération Bettina réduisit à néant ce fief de la Résistance, cette forteresse naturelle qu’ils croyaient imprenable devenue souricière. C’est cet épisode dramatique que revisitent chez Albin Michel le scénariste Jean-David Morvan, le dessinateur Facundo Percio et le coloriste Patricio Delpeche dans La ferme de l’enfant-loup, à travers le destin de 7 résistants, témoins actifs de cette sombre époque qui transforma un agneau en loup.
De la Forteresse à la souricière
Ferme du loup, Maquis du Vercors, 8 juin 1944
Une traction noire dans laquelle ont pris place trois hommes et deux femmes encadrée par deux cyclistes fusil à l’épaule gravit le sentier escarpé menant à une ferme abandonnée qui fut le théâtre d’un évènement tragique survenu 4 ans auparavant dans la nuit du 22 juin 1940. Leur mission ? Depuis là-haut surveiller le pont de la Goule Noire, l’un des rares accès au massif du Vercors afin de prévenir toute pénétration allemande de ce côté et éviter de se faire surprendre comme cela a été le cas le mois précédent au village devenu martyr de Vassieux-en-Vercors.
Alors il y a Keren la cheffe de groupe, Eudes, Joran l’enfant du pays, Celestino le républicain espagnol, Szlama le juif polonais, Oumar le tirailleur sénégalais et Jeannette, à la fois opératrice radio et soignante. Tout ce petit monde très hétéroclite, tout comme l’étaient les maquisards venant d’horizons extrêmement différents, va s’installer dans cette ferme où personne n’était monté depuis cette funeste nuit de juin 40. Mais des évènements étranges se produisent. La nuit, des aliments disparaissent. Quel est donc le rôdeur ? Homme ? Animal ? Stupeur quand ils découvrent qu’il s’agit d’un enfant, un enfant revêtu d’une peau de loup … Alors évidemment on fait le lien : la scène de chasse qui ouvre le récit, le drame survenu en juin 40, l’enfant sauvage …
21 juillet, la Wehrmacht appuyée par la Milice donne l’assaut. Certains s’en sortiront, d’autres non.
« Les montagnards doivent continuer à gravir les cimes. »
Si les 8 protagonistes de cette histoire sont pure fiction, les évènements retraçant les derniers jour du maquis du Vercors en revanche sont rigoureusement fidèles à la réalité historique. Quatre dates rythment le récit. La première le 8 juin n’est autre que celle du déclenchement du plan « Montagnards » avec le verrouillage des accès au Vercors par le maquis. La deuxième, le 3 juillet, la date de proclamation de la République en Vercors avec abrogation des lois de Vichy. La troisième, le 21 juillet marque le début de l’assaut allemand. Enfin, la dernière, le 23 juillet, correspond au jour de diffusion de l‘ordre de dispersion du maquis. On retrouve aussi les lieux emblématiques tels Saint-Martin-en-Vercors, la ferme de la Britière, relais des transmissions, la grotte de la Luire... Véracité des dates, des lieux mais des personnages aussi avec notamment la séquence où Jeannette expose à ses compagnons le plan « Montagnards » dont elle prit connaissance par la voix même de Pierre Dalloz, l’un des instigateurs dudit plan. .
JD Morvan, un témoin de l’Histoire conteur d’histoires
Ce n’est pas la première fois que JD Morvan s’attaque au sujet de la Résistance.
L’importance du devoir de mémoire pour ce scénariste prolixe et le besoin de témoigner l’ont amené à se pencher également sur deux grandes résistantes : Irena Sendlerowa et Madeleine Riffaud. Aux Éditions Glénat, il fit de la première, résistante et militante polonaise qui figurera parmi les justes pour avoir sauvé plus de 2 500 enfants juifs du ghetto de Varsovie l’héroïne de la série jeunesse Irena (2017-2020) co-scénarisée par Séverine Tréfouël, illustrée par David Evrard et actuellement en lice pour les Eisner Awards 2021 dans la catégorie Meilleure édition américaine d’une publication internationale. La narration de la vie de la seconde est en cours dans Madeleine, résistante sous le pinceau de Dominique Bertail. Sont déjà parus 3 cahiers chez Aire Libre dont le dernier vient tout juste de sortir. L’album, quant à lui, sortira le 20 aout prochain.
Dans La ferme de l’enfant-loup, l’auteur utilise un autre angle d’approche et passe de la biographie historique de Madeleine et Irina à la fictionnalisation d’un évènement historique. Avec le talent qu’on lui connaît il va entremêler l’histoire du maquis et celle de cet enfant victime de la barbarie nazie. Peu à peu, faisant ressurgir des bribes de leur vécu, les personnages acquièrent de l’épaisseur et des liens se tissent. Nous prenons le temps de les regarder vivre, se préparer avec de beaux moments de quiétude alternant avec des flashs de violence surgissant du passé rappelant le danger imminent. Une narration magistrale où les dialogues sont réduits à l’essentiel et place est faite à l’image, aux images et quelles images !
Facundo Percio, le trait qui relie deux guerres
Pour la partie graphique, on retrouve l’Argentin Facundo Percio avec qui JD Morvan avait déjà collaboré lors du tout premier album marquant en 2020 le retour à la BD des Éditions Albin Michel : Les croix de bois. Les deux albums semblent jumeaux tellement ils offrent de similitudes : finition soignée, très grand format, couvertures percutantes mariant bleu, rouge et noir... Et puis, surtout il y a le trait charbonneux du dessinateur qui déploie ici toute sa force et souligne la noirceur du propos. Il se dégage de ses planches une puissance, une énergie folle. La mise en cases est extrêmement variée collant au plus près des ambiances. On passe de splendides illustrations pleines pages envahissant tout l’espace recréant à merveille le relief de ce massif torturé aux crêtes déchiquetées, falaises vertigineuses et gorges profondes aux gaufriers classiques de 9 cases muettes soulignant l’attente et l’imminence du drame à venir. Et puis, tout s’accélère, s’entrechoque dans les violentes scènes de combats et autres exactions. Quelle maestria !
Patricio Delpeche, le peintre des atmosphères
Cette véritable narration par l’image n’aurait pas atteint ce degré de réussite sans la sublime mise en couleurs d’un autre illustrateur argentin, Patricio Delpeche qui, par la richesse de sa palette, rend parfaitement compte des différentes atmosphères et fait surgir l’émotion. Chose suffisamment rare pour être soulignée, son nom figure sur la première de couverture au même titre que le scénariste et le dessinateur et ce n’est que justice.
L‘alliance parfaite de trois artistes. Une terrible histoire émouvante qui prend aux tripes en nous faisant revivre les derniers jours du maquis du Vercors. Une histoire que l’on croit connaître mais dont on garde souvent une image erronée et qui nous donne envie de plonger dans les livres ou surfer sur les sites Internet dont on trouve la liste en fin d’ouvrage. Une histoire où malgré tout l’humanité parvient encore à se frayer un petit bout de chemin. Magistral !
Le duo des Croix de bois est de retour avec cet album relatant les derniers jours du maquis du Vercors en juin 1944. On y suit un groupe de résistants plutôt varié (une allemande, un juif polonais, un tirailleur sénégalais, un espagnol, un habitant du Vercors et une infirmière-radio.) chargé de surveiller le passage d’un pont depuis une ferme lieu de tragiques évènements. Une famille entière y a été décimée par les Nazis… à moins que…
C’est fort, poignant, émouvant et brillamment brossé par le trait épais, brut, grave de Facundo Percio (fusain, pastel) et par les couleurs de Patricio Delpeche qui installent une atmosphère lourde et chargée.
On suit bien sûr les évènements de ce mois de juin 44 mais des flash-backs permettent également de mieux connaître les différents personnages ainsi que l’importance stratégique de ce massif. On s’attache à ces femmes et ces hommes prêt à sacrifier de leur vie ce combat pour la liberté, contre la barbarie.
Une lecture utile, forte, un album qui marque.
Moins d’un an après avoir ouvert le ban de la collection « bd » chez Albin Michel avec l’adaptation des « Croix de bois » de Dorgelès, Morvan et Percio nous proposent un nouvel opus chez le même éditeur. Il s’agit cette fois d’un scénario – ô combien ! - original qui prend comme arrière-plan les derniers jours du maquis du Vercors.
Le 8 juin 1944, un groupe de sept résistants, deux femmes et cinq hommes, avance péniblement sur un chemin escarpé qui mène à une ferme abandonnée sur le plateau du Vercors d’où ils doivent surveiller l’un des accès au massif : le pont de la Goule noire. Cette « ferme du loup » où ils s’installent a été le lieu d’un événement tragique quatre ans plus tôt. Une famille entière, les Aguettaz, y a été massacrée par les Nazis. Entière ? pas si sûr …
Les protagonistes de ce récit sont inventés mais le cadre et les événements relatés sont bien réels. Si la Résistance est souvent source d’inspiration pour les auteurs de bande dessinée (à commencer par JD Morvan lui -même scénariste de la série jeunesse « Irena » nommée aux Eisner Awards ou de la biographie de Madeleine Riffaud à sortir en août), étonnamment l’épopée du Vercors n’avait guère été abordée. C’est désormais chose faite et ce de façon très habile.
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Le groupe de résistants est un assemblage à la fois hétéroclite et emblématique : on y trouve une cheffe de groupe opposante allemande au régime, un juif polonais qui a fui le nazisme, un Espagnol qui a combattu durant la guerre civile, un tirailleur sénégalais, un habitant du Vercors, une jeune femme à la fois radio et infirmière, tous venus d’horizons différents et unis par la même soif de liberté et de justice.
Chacun d’eux va être l’occasion de flash-backs qui permettent de leur donner une épaisseur et un vécu mais surtout d’effectuer un rappel de l’Histoire de façon dynamique et non pas didactique. On va ainsi apprendre de la bouche de Jeannette par exemple à qui Dalloz lui-même l’avait raconté comment est née l’idée du « plan montagnard ». On revient également dans les conversations sur le martyre du village de Vassieux en Vercors.
Cela crée un suspense : on comprend que ce qui avait été considéré comme une forteresse naturelle imprenable est devenu une souricière. L’épisode de Vassieux prend le rôle du prologue tragique : tout est joué d’avance et l’Histoire se répète…
En dehors de ces flash-backs, le lecteur assiste alors au déroulement du plan « montagnard » avec le verrouillage des points d’entrée (dont le pont de la goule noire) le 8 juin, puis à la proclamation de la République en Vercors le 3 juillet et au début de l’assaut de la Wermarcht le 21 juillet. Ce dernier occupe le dernier tiers de l’album : le temps s’étire, le rythme lent crée une dramatisation comme un « ralenti » cinématographique pour souligner l’horreur et la violence dont l’épisode quasi insoutenable de la grotte de la Luire. L’horreur culmine dans une ellipse : le bilan des exactions et des pertes dans une simple page sur fond noir p.116, factuelle et glaçante … L’horreur liée à ces terribles faits historiques est soulignée aussi par la puissance de l’allégorie : grâce au destin fictif de l’enfant (l’innocence) devenu loup en ces temps particuliers à cause de la cruauté des hommes.
Le tout est secondé - ou plutôt accompagné comme un musicien qui interprète et sublime une partition- par le puissant dessin de Facundo Percio. Il utilise le fusain et le pastel ce qui donne un aspect brut et viscéral. L’artiste vient des comics et a collaboré avec Warren Ellis et Alan Moore … la noirceur, il connaît ! Il a un trait jeté et charbonneux. Il croque aussi bien des trognes expressives en gros plan que les reliefs tourmentés des montagnes dans des pleines pages ou des scènes de massacre en plan d’ensemble. Il conviendrait d’adjoindre au duo Morvan-Percio le coloriste Delpeche. Souvent considéré comme un « homme de l’ombre » il est ici cité sur un pied d’égalité avec les deux autres sur la couverture de l’album tant il est vrai que ses couleurs un peu délavées participent intégralement à l’établissement de l’atmosphère.
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On a souvent tendance à réduire la Résistance à De Gaulle. Avec un tel album Morvan, Percio et Delpeche rendent hommage aux Résistants de l’intérieur, montrent leurs sacrifices et les dommages collatéraux … Si Vassieux en Vercors fait partie des cinq communes élevées au rang de compagnon de la Libération (avec Lyon, Grenoble, Paris et L’ile de Sein), c’est ainsi la mémoire de toute une région qui est honorée grâce à cet album. Une lecture passionnante, enrichissante, salutaire et marquante... Indispensable !
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