Les rentrées des Éditions Métailié font partie de celles que j'attends le plus à chaque fois, et celle que je lis toujours avec plaisir : voici l'un des trois titres en lice, le premier roman du mozambicain Antônio Emílio Leite Couto, Mia Couto, que j'avais découvert il y a deux ans, à travers...
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Les rentrées des Éditions Métailié font partie de celles que j'attends le plus à chaque fois, et celle que je lis toujours avec plaisir : voici l'un des trois titres en lice, le premier roman du mozambicain Antônio Emílio Leite Couto, Mia Couto, que j'avais découvert il y a deux ans, à travers le Cartographe des absences. Il ne s'agit pas d'une première publication, le titre a initialement été publié par Albin Michel en 1994, et traduit par Maryvonne Lapouge-Petorelli. En revanche l'oeuvre a fait l'objet d'une nouvelle traduction de la part d'Élisabeth Monteiro Rodrigues, qui explique sa démarche dans un avant-propos nécessaire. C'est une nouvelle exploration du prisme complexe du monde mozambicain, que l'auteur assimile par le fond du récit aux contes africains, et qui par sa forme est illustré par une langue nouvelle, hybride, métissée du portugais et de langues africaines.
hez Mia Couto, dans cette langue nouvelle, il y a une autre forme de réalité : le rêve, l'onirisme, cette zone intermédiaire et sans frontière qui permet de dépasser la consistance d'un monde tangible, d'y trouver que ce que la simple réalité n'a pas la capacité d'offrir, des possibilités à l'infini. Guerre et route, au milieu desquelles errent « un vieux et un gosse », Tuahir et Muidinga, sans but. Les deux qui fuient un camp de réfugiés, le second adopté par le premier, suivent un chemin sans destination entre vivants et morts, lorsqu'ils tombent sur les lettres cachées dans l'épave d'un véhicule brûlé. Un tas de lettres qui constituent les cahiers de Kindzu, fils de raconteur, où il relate sa propre vie depuis l'avant-guerre, qui a poussé les deux personnages a parcourir les chemins ravagés d'un pays mis en pièces par le conflit.
Au-delà de l'histoire de Kindzu ou de Muidinga, c'est surtout l'histoire de cette terre mozambicaine qui accueille les rêves de ses habitants, mais qui au coeur de la guerre rend surtout les gens fous, une terre, des routes sans destination, où l'important n'est que le voyage, le détachement des ancêtres, suivre son propre chemin. La terre somnambule, c'est celle des esprits qui les accompagnent ces vivants le long du chemin de leur vie, ces traditions, et folklore, du mauvais oeil le chissila, des fantômes, des psipocos, où les nuits peuplées de rêves font partie intégrantes des aventures de Kindzu, qui se rêve en guerrier pour apaiser sa terre tourmentée, aux familles éclatées, où chacun recherche inlassablement l'un des siens le long de ces route qui n'amènent personne dont le seul moteur reste cette esperance encore intacte.
La guerre civile est toujours là en toile de fond, Mia Couto se sert de ses ruines pour raconter la saveur du pays qui s'est perdu, représenté métonymiquement par sa terre qui ne trouve plus le repos, piétinée par les uns, parcourus inlassablement par les autres, nos personnages, qui tentent bien de renaître à la vie. le réalisme magique porte les deux récits, qui alternent l'un à l'autre, au-dessus des considérations matérielles, la poésie est là malgré les morts et les abandons.
C'est une langue décidément magnifique portée par les néologismes que la traductrice a su créer, les formulations archaïques qu'elle a dépoussiérées, qui participent à la beauté des associations des images, et des mots, de cette vie aux côtés des esprits, des êtres oniriques, parfois un peu déroutant si l'on est très cartésien. Une langue nouvelle, plus précise, pour évoquer les superstitions qui enveloppent le peuple mozambicain, là où la frontière entre le mort et le vivant est poreuse. Une fable des renaissances pour mener au temps de la reconstruction, quitter le temps présent définitivement perverti, pour laisser de nouveau place à l'homme d'avant la sauvagerie de la guerre.