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Trois femmes ballotées par l’Histoire
Anne, Inge et Patricia ont toutes été victimes des soubresauts de l’histoire, des frontières qui bougent. En nous racontant leurs histoires Maxime Gillio réussit un formidable roman historique, qui entre aussi en résonnance avec l’actualité la plus brûlante.
L'histoire commence en 1944, à Priesten, en Bohême, dans l'ex-Tchécoslovaquie. Anna, qui est Allemande, sudète, est prise à partie par les villageois. La mère de famille est proche d'être lynchée avant qu'un professeur ne s'interpose et ne parvienne à la sauver des griffes des villageois en furie.
Puis le roman bascule en 2006, à Heidenau, en Basse-Saxe, quand Patricia Sammer, une journaliste au Tageszeitung vient proposer à madame Lamprecht de raconter son histoire, ayant découvert dans les archives de la BStU, le bureau en charge des archives de la Stasi, qu'elle s'appelle en fait Inge Oelze et qu'après avoir réussi à fuir à l'ouest, elle était revenue en ex-RDA. Très méfiante, Inge finit par confier son histoire à la journaliste, faisant le lien avec le chapitre initial. «Mes parents, Josef et Anna Fierlinger, étaient des Allemands sudètes, qui habitaient à Priesten, un petit village de Bohême, dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Leurs familles respectives y étaient implantées depuis plusieurs générations. Aujourd'hui, il s'appelle Pfestanov, mais à l'époque de mes parents, c'était Priesten, à l’allemande.… Je n’ai pas connu mon père, qui était soldat dans la Wehrmacht. J'ai été conçue pendant une de ses permissions, mais il est mort dans les bombardements de Berlin, quelques semaines avant la capitulation... Comme vous le savez, sitôt la guerre terminée, les Sudètes ont été expulsés des territoires où ils habitaient depuis plusieurs années. Ce fut le cas de ma mère qui est partie sur les routes enceinte de moi, avec mes deux frères. Je vous passe les conditions de vie qui furent les leurs durant cet exode.»
Si Patricia s’intéresse de si près à cette histoire, c’est que son propre destin n’est pas étranger à celui de son interlocutrice. Cette part d’ombre va nous conduire dans l’Allemagne des 70 à 90, au moment où la Fraction armée rouge de Baader-Meinhof faisait régner la terreur dans la République fédérale.
Maxime Gillio s’est inspiré de faits réels pour ce livre. Son beau-frère, qui a grandi en Allemagne de l’est jusqu’à la chute du Mur, lui a raconté l’histoire de sa mère, réfugiée sudète contrainte à l’exode. C’est à partir de son témoignage qu’il est parti sur les lieux et s’est abondamment documenté pour nous offrir cet émouvant récit, ces trois portraits de femmes victimes du redécoupage des frontières comme tant de leurs compatriotes.
Mais ce qui fait l’intérêt de ce fort roman, c’est aussi son absence de manichéisme. En le lisant, on comprend que la chute du mur a aussi pu être vécue comme un drame, un choc. «Cette plongée soudaine dans un nouveau monde tellement agressif, si plein de doutes et d’angoisses» peut faire regretter un système où régnait la Stasi et où les contrôles et le manque de libertés, car «ce régime apportait des repères».
L’auteur s’est aussi servi de son sens de l’intrigue et du suspense, acquis avec l’écriture de romans policiers, pour entraîner le lecteur d’un destin à l’autre, attisant sa curiosité au fil des pages. Avec Anna, Inge et Patricia, il nous montre aussi que l’émigration est rarement un choix volontaire et que la remise en cause de l’intangibilité des frontières s’accompagne souvent de drames humains. C’est dire combien ce roman résonne avec l’actualité le plus brûlante.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024».Enfin, en vous y abonnant, vous serez par ailleurs informé de la parution de toutes mes chroniques.
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Journaliste pour le Tageszeitung, Patricia Sammer prépare un livre sur les personnes qui ont fui l’Allemagne de l’Est au cours des années 1960 mais qui y sont finalement revenues. Parmi ces personnes, elle a identifié Inge Oelze. Les archives qui ont été ouvertes et sont consultables lui ont déjà donné quelques informations. Elle part donc à la rencontre d’Inge pour recueillir sa version de l’histoire. Mais Patricia a, elle aussi, un secret et son intérêt pour Inge n’est peut-être pas le fruit du hasard.
Ce roman passionnant se lit quasiment d’une traite. Il entrecroise trois époques - 2006, les années 1960 et l’immédiate après-guerre – et trois destins de femmes – ceux de Patricia et d’Inge mais aussi celui d’Anna.
En réalité, le personnage d’Anna est à la genèse du récit. La jeune femme, dont la famille vit depuis des générations dans un petit village de Bohême, sera contrainte de fuir avec ses deux jeunes enfants. L’heure de la vengeance a en effet sonné dans ce village, comme dans beaucoup d’autres, alors que la fin du 3ème Reich s’annonce. Anna, une Sudète, se retrouve alors considérée comme une ennemie allemande, de ceux qui ont spolié les habitants de leurs biens. Commence alors une longue période d’errance, d’emprisonnement, de répression pour Anna qui donnera naissance à Inge durant cet exil.
Inge justement, ce personnage qui fascine Patricia. Agée d’un peu plus de soixante ans quand le récit nous la présente en 2006 et qui a passé sa jeunesse en Allemagne de l’Est avant de s’enfuir à l’ouest pour finalement revenir sur les lieux de sa jeunesse. Et c’est ce revirement sur lequel Patricia souhaite faire la lumière.
Le dialogue va alors lentement s’instaurer entre les deux femmes et une succession de sentiments apparaître entre elles au cours de leurs rendez-vous. De la méfiance, de l’animosité, des doutes puis une certaine estime, voire de l’amitié.
De secrets de famille en révélations surprenantes, les destins de ces trois femmes vont peu à peu tisser l'histoire de l’Allemagne, de la fin de la seconde guerre mondiale au début du XXIème siècle. Les conséquences de la fin de la guerre sur les populations allemandes, les exactions qui ont suivi, le partage de l’Allemagne et les répercussions sur les familles... tout est minutieusement examiné par le prisme des trois personnages féminins.
C’est historiquement passionnant, car très richement documenté, et émotionnellement dense et prenant. D’autant que ces femmes sont toutes les trois blessées, porteuses de douloureux secrets et d’une histoire difficile qui se font écho à travers les années. Une excellente lecture.
Très intéressant le parcours de ses 3 femmes de pays différents, leurs parcours , un plaisir de le découvrir, avec plaisir
C'est au départ d'une histoire vraie que Maxime Gillio a construit ce très beau roman. Une très belle découverte de la rentrée dans le cadre de la présélection du Prix du roman Fnac.
On va suivre le destin de trois femmes à des périodes différentes.
- Anna Fierlinger fin 1944 vit à Priesten en Tchécoslovaquie, c'est là qu'elle est née mais elle est allemande d'origine. Son père qui avait oeuvré pour la paix entre la communauté tchèque et allemande fut d'ailleurs lâchement abattu en 40.
- Patricia Sammer en 2006 vit à Berlin. Elle est journaliste au Tageszeitung. Elle écrit un livre sur la période du mur et cherche des témoignages de fugitifs qui passés à l'Ouest au prix de leur vie sont revenus à l'Est.
- Inge Oelze, la soixantaine vit à Heideneau en 2006 va nous raconter sa vie à l'est, ce qui l'a motivée à passer à l'ouest et à revenir.
Le récit est passionnant, peu à peu des liens se tissent, on s'accroche aux personnages. L'écriture est vraiment prenante tout comme ces voyages dans le temps qui donnent du rythme au récit. Un livre qu'on dévore.
J'aime quand un livre me donne envie de faire des recherches en parallèle, de découvrir des choses et c'est le cas ici. On parle en effet peu souvent des Sudètes, ces allemands déplacés, intégrés dans des villages comme ici en Tchécoslovaquie. De véritables pogroms, un déferlement de haine contre eux à la fin de la guerre résonne tellement avec notre époque. Je suis toujours sidérée par le peu d'humanité de notre société.
On apprend aussi sur les camps qui les rassemblaient en Tchécoslovaquie et ailleurs - j'ai pensé au camp des milles décrit dans le dernier roman d'Ariane Bois "Ce pays qu'on appelle vivre" . On ressent la haine, l'humiliation, il décrit les mauvais traitements subis, la torture uniquement sur des personnes de part leur origine sans faire la part des choses avec la réalité.
L'auteur décrit la RDA, ses valeurs au niveau du peuple, la solidarité, les privations de liberté imposées au nom d'une idéologie, j'ai pris conscience que ces gens devaient parfois attendre plus de 10 ans pour avoir le téléphone ou une Trabant, que l'orientation de leurs antennes de télé était consignée et utilisée pour les surveiller.
Un autre aspect évoqué dans ce foisonnant roman est la période activiste de la RAF, la fraction d'armée rouge vers 1977. C'est passionnant, bien rédigé. On le dévore.
Un excellent roman de la rentrée qui a tous les attraits pour plaire.
Ma note : 9.5/10
Une jolie phrase
J'ai toujours détesté les dictons populaires. S'il y en a un que j'exécre par-dessus tout, c'est celui qui dit le temps atténue les douleurs et que même les chagrins les plus forts finissent par s'estomper;
https://nathavh49.blogspot.com/2023/09/post-frontiere-maxime-gillio.html
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