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Au printemps 1936, Micheline et Pierre Lenoir, jeunes mariés de retour d’un voyage de noces en Egypte, sont invités à déjeuner dans la famille de Micheline, les Lasquin, propriétaires d’une petite usine. À la fin du repas, le père s’effondre sur son assiette. Il ne se relèvera pas. Quelques jours plus tard, sa veuve a la mauvaise surprise de trouver parmi les mots de condoléances, une lettre anonyme lui annonçant que son mari avait une liaison qui durait depuis fort longtemps. Elle décide de garder le secret vis-à-vis de sa fille et de son gendre qui travaille déjà dans l’usine familiale. Très accaparé par son travail, Pierre propose à Micheline d’accepter que Bernard Ancelot, son meilleur ami, l’emmène jouer au tennis, sans imaginer une seconde les risques pour son couple… Certaines responsabilités importantes à la direction de l’usine ont été confiées à Chauvieux qui a bien conscience qu’il n’est pas à la hauteur de la tâche. Le voilà qui rencontre par hasard sur les Champs-Elysées un certain Malevrier, ami qu’il a connu au temps où ils étaient tous deux militaires en Syrie. Ils discutent de l’affrontement qui vient de se produire entre les révolutionnaires du Front populaire et les anciens combattants de 14, les premiers braillant l’Internationale et les seconds la Marseillaise. L’époque est assez troublée. L’agitation sociale gagne déjà l’usine Lasquin menacée d’une grève illimitée…
« Travelingue » est un roman difficile à classer dans un genre particulier. C’est à la fois un roman social, d’ambiance, humoristique et même policier (vu qu’il y a un crime avec une rapide enquête) voire sentimental avec des couples qui se font et défont et toutes sortes de chassés-croisés et quiproquos amoureux. Cet opus plein d’intelligence, de finesse et d’humour donne une idée intéressante de l’ambiance qui pouvait régner dans notre pays dans la période tumultueuse et pleine d’illusions de l’avant-guerre. Marcel Aymé se veut un observateur impartial de la société de son temps. Il décrit, ne prend pas parti et le résultat n’est pas loin de la fable ou du conte philosophique. Le lecteur a droit à la découverte d’une galerie de personnages hauts en couleurs comme Milou, le jeune prolo boxeur bisexuel accompagné du vieil inverti Johnny qui veut en faire un écrivain sous le nom improbable d'Evariste Milou alors qu’il préférerait se lancer dans le cinéma. Ou comme Pontdebois, véritable caricature d’écrivain engagé, obsédé par la notoriété et prêt à tout pour décrocher une Légion d’honneur. Sans oublier le coiffeur conseiller secret de tous les ministres d’un gouvernement qui a besoin de prendre le pouls du peuple. Encore un excellent titre du grand Marcel Aymé à lire ou à relire.
Dans une petite ville de province, Buquanant et quelques camarades ont l’habitude de se retrouver à la sortie de l’école pour jouer quelque temps avant de rentrer chez eux. Il les incite à venir dans son quartier, un brin mal famé, à l’autre bout de la ville pour leur faire découvrir d’autres terrains de jeux et surtout une mystérieuse rivière souterraine, appelée La Sourdine qui doit être passionnante à explorer pour cette petite bande de gamins d’une douzaine d’années. De son côté, Maître Marguet, notaire de son état, voudrait convaincre le vieux Burtillat de vendre son terrain pour permettre l’extension de TDC, la petite usine locale. Sans y parvenir. Passant par là, Troussequin, pauvre hère peu gâté par la nature, demande aux deux hommes de lui accorder quelques heures de travail. Le notaire accepte de l’embaucher à repeindre sa cabane de jardin. Quelques jours plus tard, la jeune servante du notaire est retrouvée dans sa chambre, poignardée de bien vilaine manière. Le coupable est tout trouvé, ce sera Troussequin qui a déjà tâté de la prison pour tentative de viol. Mais c’est sans compter sur le témoignage des gamins juchés en haut du clocher de l’église…
« Le moulin de la Sourdine » n’est pas vraiment un roman policier dans la mesure où il n’y a pas d’enquête au sens classique du terme. Le lecteur devine le nom du coupable dès le début. C’est plutôt un roman noir ou un roman social et même une fable avec une morale du genre : « selon que vous serez puissants et respectables ou pauvres et peu recommandables, vous serez jugés de bien différente manière ! » La petite ville de province, que l’on peut supposer franc-comtoise, est un microcosme assez figé avec sa partie respectable et son quartier populaire, ses notables, le maire, le notaire, le juge d’instruction et ses gueux, tous bien pétris d’humanité. L’ironie teintée de mansuétude de Marcel Aymé s’en donne à cœur joie dans cette histoire sur la culpabilité, les préjugés et la facilité avec laquelle l’opinion se fait et se défait. Même si ce texte date de 1936, il est encore très agréable à lire aujourd’hui, ne serait-ce que pour le style élégant de Marcel Aymé, pour la description de personnages assez hauts en couleurs et pour le sujet intemporel, celui de l’erreur judiciaire.
À Paris, pendant l’occupation allemande, Michaud, et toute sa famille subissent avec patience les restrictions alimentaires. Pourtant, un matin, au petit déjeuner, lui et ses deux fils mangent sans le faire exprès, une tartine beurrée de plus que leur part. Du coup, son épouse souffrante et sa fille s’en retrouvent privées d’autant. Avec son associé Lolivier, Michaud s’occupe d’un cabinet de gestion immobilière, affaire devenue nettement moins rentable qu’avant-guerre, en raison des loyers impayés et des appartements inoccupés des Juifs enfuis à l’étranger ou déportés en Allemagne, sans oublier le million de prisonniers de guerre retenus dans des camps. Un des fils, Antoine, à quelques semaines de passer son bac, est devenu l’amant d’Yvette, femme mariée dont le conjoint est détenu en Allemagne. Trafiquant sur le marché noir de tout et de n’importe quoi comme d’une quantité phénoménale de cercueils, le jeune homme gagne déjà fort bien sa vie. Tout comme le fils de Lolivier qui lui, fait déjà partie de la pègre. Michaud a des doutes sur les fréquentations de son fils, alors que Lolivier ne se doute de rien…
« Le chemin des écoliers » est un roman social, basée sur une galerie de portraits de gens plus ou moins modestes, plus ou moins compromis avec l’occupant et plus souvent collaborateurs que résistants. Le regard malicieux de Marcel Aymé sur ses personnages est toujours détaché, mais non sans une certaine et juste sévérité. « Qui aime bien châtie bien », dit-on. Il raconte, mais ne juge pas. Le lecteur trouvera dans cet ouvrage des femmes de prisonniers qui trompent leur ennui et leur frustration entre les bras de petits jeunes ou de blonds guerriers teutons, des fortunes obtenues en un temps record grâce à des affaires louches et de petites gens en être réduits quasiment à la misère à cause des privations. Une période particulièrement difficile de notre histoire décrite avec intelligence, finesse et humanité. Le style est toujours parfait et agréable à lire avec une originalité : des notes de bas de page (parfois assez longues) pour décrire le destin, la plupart du temps tragique, de personnages complètement secondaires. Les amateurs d’Histoire, d’humour et de beau langage ne pourront qu’aimer ce charmant opus du grand Marcel !
Nouvelles de l’arrière du front
Publié en 1943 au plus fort de l’occupation allemande pendant la seconde guerre mondiale, ce recueil de dix nouvelles dépeint, tantôt par le biais du fantastique, tantôt par celui du surréalisme, la France des années 40, celle de la province et celle de Paris, et les français, des pauvres, des bourgeois, leurs grandeurs et leurs bassesses.
Le recueil s’ouvre sur la nouvelle éponyme « Le Passe-Muraille » cet homme ordinaire doué du pouvoir de passer à travers les murs, pouvoir dont il va user et abuser pour le plus grand plaisir du lecteur ! Suit « Les Sabines » l’histoire d’une femme prénommée Sabine qui possède l’extraordinaire don d’ubiquité ; et deux nouvelles que j’ai adorées, La Carte du Temps et Le Décret dans lesquelles Marcel Aymé joue avec la notion du temps… Les suivantes Le Proverbe, Légende Poldève, Le Percepteur d’épouses, sont un peu moins fantastiques mais le « message » philosophique de l’auteur est habillé par un humour grinçant ! Dans Les Bottes de Sept Lieues qui est sans doute la nouvelle la plus aboutie du recueil, Marcel Aymé décrit à merveille les aventures de cinq garçons dans le Paris des années 30. Enfin, pour conclure, L’huissier (celle que j’ai le moins apprécié) et En attendant, la rencontre poignante de quatorze personnes dans la queue devant une épicerie de la rue Caulaincourt, quatorze personnes qui racontent leurs petites et grandes misères dues à la guerre évidemment, une nouvelle qui résonne étonnamment aujourd’hui…
Il y a bien longtemps, j’avais lu La Vouivre et, il y a plus longtemps encore, les Contes du Chat Perché, je n’avais donc qu’un lointain souvenir de la plume de Marcel Aymé… Et je suis ravie d’être revenue dans son univers par l’intermédiaire de ces nouvelles dont la lecture s’est révélée on ne peut plus distrayante !
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