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M. Kjell Westö nous en apprend beaucoup sur l’histoire de la Finlande grâce à ce roman situé dans ce pays, à Helsinki, juste avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale. J’avoue que, intéressé par l’histoire de ce pays, c’est un peu pour cela que j’ai emprunté et lu ce livre. De ce point de vue, j’ai été comblé.
Malheureusement, l’intrigue m’a semblé un peu faible. Les personnages sont pourtant pour nombre d’entre eux intéressants psychologiquement, mais l’auteur ne parvient que trop peu à nous concerner pour les enjeux des histoires qu’ils vivent. Même le trauma subi par Mme Wiik a du mal à nous émouvoir. Peut-être est-ce la multiplicité des intrigues secondaires qui m’a donné cette impression ? Avec le frère musicien, la séparation de Claes Thune, le succès ou non de son association dans son cabinet d’avocats, les divergences politiques au sein de son Club du mercredi, la maladie mentale d’un des membres de ce club, au final j’ai eu cette impression d’une dispersion préjudiciable à la construction du livre.
Je ne retiendrai donc que la peinture de la Finlande, exceptionnelle, pays donc je savais peu les tourments et les contradictions, tiraillé par son histoire houleuse avec ses voisins suédois et russes, traumatisé par sa guerre civile en 1918, entre Blancs et Rouges, dont les séquelles seront longues à effacer, et dont le récit nous offre de belles et terribles visions, même s’ils se déroule 20 ans après.
Chef d’orchestre de renommée internationale, Thomas Brander a sacrifié sa vie privée sur l’autel de la musique. Toujours entre deux tournées, il n’a jamais pris le temps de trouver son port d’attache, un chez-lui où il pourrait se resourcer entre deux concerts. Aussi voit-il les choses en grand quand il se décide enfin à faire construire une maison. En trop grand même pourrait dire son voisin Reinar Lindell quand il observe l’avancée des travaux de la Casa Triton, une villa, voire un château, en tout cas une construction incongrue sur cette petite île de l’archipel d’Helsinki. A priori Brander et Lindell n’ont rien en commun. Le premier est froid, distant, égoïste, il collectionne les femmes, le second est psychologue scolaire, aime aider son prochain et pleure sa femme trop tôt décédée. Brander est chef d’orchestre et aussi un clarinettiste de talent, Lindell joue de la guitare -mal- dans un groupe amateur, principalement du rock et de la pop. Et pourtant, une amitié va naître entre ces deux hommes si différents. Car si dissemblables soient-ils, ils ont en commun leur solitude et leur recherche désespérée d’un bonheur qui semble vouloir leur échapper.
Deux hommes, une maison, la musique et une multitude de thèmes. Certains universels comme la solitude, l’amour, le deuil, la paternité, le pardon, le racisme, le succès, la vie et d’autres actuels comme l’écologie, les migrants, #MeToo ou le Covid.
En fond sonore, la musique, Ravel ou Brahms, les Beatles ou ABBA, sans oublier la mélodie de Kjell Westö, sensible, mélancolique, tourmentée, parfois discordante comme le triton, cette note du diable qui donne son nom à la maison de Thomas Brander. Un séjour cathédrale pour que la musique s’y épanouisse, un ascenseur pour rejoindre l’étage, une modernité aseptisée devaient faire de cette maison le lieu de rendez-vous à la fois cosy et impressionnant des amis du chef d’orchestre. Mais cette maison de vacances pourrait bien devenir son lieu de vie. Sa carrière périclite en même temps que de plus jeunes chefs d’orchestre prennent leur envol, son nom est éclaboussé par des accusations à caractère sexuel, sa dernière maîtresse le quitte et Brander refuse de voir qu’il n’a plus la flamme. Contrairement à son voisin qui se plie en quatre pour faire durer son groupe amateur. Il n’a pas le talent mais il a le feu de la passion. Même si la musique n’est pas toute sa vie. Il est impliqué dans la vie du village, s’intéresse à l’écologie, au sort des migrants et fait son possible pour aider ses amis.
Ces deux hommes vont se lier d’une amitié qui hésite, se cherche mais finit par être sincère et profonde. Chacun à leur manière, ils sont touchants. Brander qui tente de renouer avec son fils après l’avoir délaissé au profit d’une carrière où chaque jour est un combat pour rester sur le devant de la scène et Lindell qui entretient le souvenir de la femme aimée en niant tout ce qui n’allait pas dans son couple.
Après Nos souvenirs sont des fragments de rêve, roman auquel il fait une petite référence d’ailleurs, Kjell Westö signe avec Casa Triton le roman de la musique qui estompe les frontières. Une exploration touchante du cœur des hommes dans leurs fragilités, leurs doutes, leurs espoirs.
Et petit clin d’œil à la pandémie mondiale. Dans le roman, la vie a repris son cours et masques, gel hydroalcoolique et gestes barrières ne sont plus en vigueur que lors des déplacements en avion. Puisse l’auteur avoir vu juste…
Si vous aimez les romans d'introspection, alors, vous y êtes et croyez-moi, vous allez vous faire plaisir. Il y a beaucoup de nostalgie dans cette oeuvre de Kjell Westö construite sur un vaste retour en arrière d'une cinquantaine d'années développé sur plus de cinq cents pages. Le personnage que l'on découvre au début du roman, narrateur qui restera sans nom, a une soixantaine d'années : il rédige un article sur les liens entre deux écrivains sud-américains, Borgès et Bolanõ. C'est un homme empreint de doute et d'incertitude qui s'interroge sur ce qu'il a été, ce que fut sa vie, le sens de ses relations aux autres : sa famille et surtout ses amis. « Je lisais et j'écrivais (ce que j'avais fait toute ma vie) et pourtant je savais peu de choses, tout comme j'avais peu de choses à dire. Dans le fond je ne savais pas qui j'étais, je ne savais même pas si mes souvenirs étaient vraiment les miens. »
Alors qu'il est plongé dans ses pensées, il se sent observé et voit un inconnu fuir en emportant un objet posé au sol. Quelques jours plus tard, son ami d'enfance est poignardé par ce même inconnu.
Cet événement joue le rôle de la petite madeleine proustienne. En effet, le narrateur comprend alors que tout s'explique par ce qu'ils ont été, lui et ses amis : « j'étais lié à tout ce qui s'était passé, pas seulement à cet incident et aux événements actuels, mais aussi aux faits et gestes du passé, qui s'étaient produits au fil de plusieurs décennies et conduisaient au point où je me tenais actuellement.»
Et le premier chapitre s'ouvre sur l'évocation de la rencontre avec l'ami en question alors qu'ils n'avaient qu'une dizaine d'années : Alex Rabell, garçon appartenant à une grande famille bourgeoise, vivant dans le magnifique manoir de Ramsvick au bout d'une presqu'île plongeant dans le golfe de Finlande : un large corps de logis peint en blanc, des dépendances, un ponton, un hangar à bateaux, un sauna, le tout entouré de forêts de sapins. Je vous sens rêveur… sachez que les paysages et les lumières sont quasiment des personnages de cette histoire. A peine le roman terminé, on n'a qu'une envie : prendre un billet d'avion pour Helsinki (mieux vaut attendre encore un peu, il y fait moins six degrés…) Le père d'Alex, Jakob, est un homme d'affaires qui passe son temps à l'étranger. Le patriarche à la tête de cette dynastie d'entrepreneurs se nomme Per-Olf Rabell dit Poa : il vit au manoir et ne voit pas d'un très bon œil cette amitié naissante entre ce garçon issu d'une famille modeste et son petit-fils.
On touche finalement ici au coeur du roman : les relations du narrateur avec son ami Alex et la sœur de ce dernier, Stella, dont il tombera éperdument amoureux (ce que clame le bandeau avant même la lecture).
On est dans les années 1970 à Helsinki, ces trois jeunes sont beaux, pleins de vie, tout est encore possible, encore permis. Ils profitent des belles journées d'été, se baignent et s'aiment. Ils découvrent la sexualité et se laissent aller au plaisir. Tout semble leur sourire...
Mais c'est sans compter sur le poids des secrets familiaux, de la réussite sociale, des tensions, des jalousies, des trahisons, et des compromis qui viendront gangrener l'âge adulte, sans effacer le souvenir lumineux de ces belles années pleines d'insouciance et de passion.
Le roman est épais et l'auteur prend le temps d'analyser dans le détail la dimension psychologique de chacun de ses personnages : apparaissant ainsi dans toute leur complexité, luttant contre des décisions qu'ils regrettent souvent, s'interrogeant sur la place qu'ils doivent occuper dans ce monde moderne fait de dominations économiques, de violence, de migrations, où tout se mélange sur des réseaux sociaux qui font la pluie et le beau temps, ils se demandent, sans trouver de réponse, si la mémoire est fiable ou si chacun reconstruit le passé, souvent d'ailleurs, de façon inconsciente.
J'ai beaucoup aimé le fait que l'auteur ne donne finalement pas de réponse à tous ces questionnements. C'est à chacun de trouver SA réponse au fond de soi, avec ce que nous sommes, notre sensibilité, notre rapport aux autres et au passé.
L'auteur nous invite à plonger dans le passé des personnages pour tenter de comprendre ce qu'ils sont devenus un demi-siècle plus tard, alors que la société a tellement changé. La place est désormais ouverte à la nouvelle génération : comment s'appropriera-t-elle le monde ? Comment se situera-t-elle par rapport à ses aînés ? Comment jugera-t-elle leurs prises de position ? Saura-t-elle mieux gérer un monde en pleine mutation sociale, économique et politique ?
Un roman qui incite à une belle introspection, une plongée en soi-même… pas toujours facile mais souvent nécessaire pour avancer...
LIREAULIT http://lireaulit.blogspot.fr/
Un homme qui se faufile nuitamment dans son jardin et qui quelques jours plus tard tente de poignarder l'homme d'affaires Alex Rabell, il n'en faut pas plus au narrateur pour se plonger dans les souvenirs d'une vie qu'il a partagée avec Alex et sa sœur Stella, une amitié née au cœur de l'enfance, au bord de la mer de Finlande et qui a perduré des décennies durant. Du début des années 70 jusqu'à nos jours, il a donc côtoyé la famille Rabell, une ''dynastie d'entrepreneurs'' dirigée par le grand-père Poa, des gens riches, conscients de leur position, arrogants de fait, soucieux de préserver leur intimité et de garder leurs secrets. Moins privilégié, le narrateur voue une admiration sans faille à Alex et tombe éperdument amoureux de Stella. Le temps passant, son regard change sur son ami d'enfance, il s'en éloigne sans pour autant le renier. Stella, quant à elle, reste son grand amour. Malgré les séparations, les trahisons, les rancoeurs, la passion tempétueuse se transforme en amitié tranquille mais les liens restent forts. A presque 60 ans, il peut dérouler ses souvenirs depuis l'époque lointaine où sa renconre avec les enfants Rabell a changé sa vie.
Jouant les Nick Carraway, humble devant les puissants, pauvre devant les riches, le narrateur raconte les Rabell, Poa, le patriarche fier et volontiers méprisant, Clara, la mère altière et un brin guindée, Jacob, le père invisible, le sujet tabou, Alex, enfant autoritaire, adulte prêt à tout pour toujours amasser plus d'argent et Stella, l'apprentie comédienne avec qui il joue à ''je t'aime, moi non plus'' pendant près de cinquante années. Autour d'eux, d'autres garçons, brutes épaisses ou souffre-douleur, d'autres filles, bonnes à baiser ou à épouser selon leur milieu d'origine, d'autres parents, falots, trop prolétaires pour qu'on en fasse grand cas. Et le monde qui continue de tourner : la bande à Baader qui terrorise l'Allemagne, Olav Palme assassiné, le mur de Berlin qui tombe, l'attaque de Charlie Hebdo, etc. Tous ces évènements brièvement évoqués, le narrateur y reste imperméable, tout préoccupé qu'il est des Rabell. Attirance et répulsion, amour et haine, partages et trahisons semblent rythmer son existence dans l'ombre de cette famille en vue. Lui-même tente de faire son chemin. Il publie un roman qui très vite est un succès, mais ne peut renouveler l'exploit et survit en enseignant les lettres au lycée. Eternel looser, il est sans cesse partagé entre le désir irrépressible de s'accrocher à son amour pour Stella et son amitié pour Alex et la volonté de les fuir pour se préserver.
Une très belle saga romanesque, des êtres profondément blessés qui cachent leurs faiblesses sous le masque de la nonchalance ou de l'arrogance. Une histoire d'amitié pas toujours facile, branlante, déséquilibrée mais fondatrice. Et bien sûr une histoire d'amour éternel entre la jeune fille de bonne famille, la rebelle, l'artiste, la part solaire des Rabell et le jeune homme incertain, admiratif, le fils désargenté d'un simple vendeur en électro-ménager porté sur la boisson. Sur près de 600 pages, Kjell Westö nous immerge totalement dans la vie de ses héros dont nous partageons le quotidien, les joies et les peines, et tout cela dans les magnifiques paysages finlandais. Un gros coup de cœur.
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