Julia Deck a laissé de côté ses récit teintés d’humour et de cynisme d’une société détraquée pour nous plonger dans un récit plus personnel puisqu’elle aborde sa relation avec sa mère alors que celle-ci vient d’être victime d’un AVC.
Julia Deck découvre le corps inanimé de sa mère dans la...
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Julia Deck a laissé de côté ses récit teintés d’humour et de cynisme d’une société détraquée pour nous plonger dans un récit plus personnel puisqu’elle aborde sa relation avec sa mère alors que celle-ci vient d’être victime d’un AVC.
Julia Deck découvre le corps inanimé de sa mère dans la salle de bain, Ann vient de faire un AVC. Fille unique, Julia doit s’occuper de sa mère divorcée. Celle-ci qui a toujours été indépendante, ne peut plus vivre seule. Se pose alors le dilemme du placement. Et Julia monte des dossiers, court d’un Ehpad à un autre en quête d’un endroit digne pour sa mère. Elle se bat aussi pour qu’Ann suive une rééducation, tout cela dans des hôpitaux publics parisiens surchargés où il faut faire preuve de débrouille et d’obstination pour bénéficier de soins qui tombent sous le sens. A travers ce parcours c’est aussi un constat accablant de l’état des soins gériatriques en France que nous dresse l’auteure.
« Je demande pour les neurologues. Je demande pour la rééducation. Je sais qu’il faut l’entreprendre le plus tôt possible, ou les chances de récupération s’effondrent. Je dis que, jusqu’à l’accident, ma mère parlait, lisait et écrivait dans trois langues, cela augure d’une plasticité cérébrale importante. Le Dr Egal prononce le mot Ehpad. »
En parallèle. Julia dévoile le fil de ce qu’a été la vie de sa mère. Sous forme d’enquête intime, on découvre qu’Ann est issue d’une famille modeste de Bellingham, ville ouvrière de l’Angleterre. Julia évoque ses cousines, Alice et Kate et leur mère Betty, la sœur d’Ann, qui est restée dans ce milieu modeste tout en vivant plusieurs échecs amoureux.
Ann, élève brillante, rêve d’une autre vie. Ce sera en France, à Paris. Sa vie connaitra des hauts et des bas mais jamais elle n’a envisagé de revenir en arrière. Elle est restée fidèle à la vie qu’elle s’était choisie, et, grâce à son travail, a toujours défendu son indépendance. Julia est la seule enfant du couple d’Ann et François qui est artiste peintre.
« Les vingt ans d’Ann n’ont rien à voir avec ceux de sa sœur Betty, cinq ans plus tôt. Elle appartient à une tout autre génération, affranchie des pesanteurs de la guerre, plus éduquée, plus ambitieuse pour elle-même et pour le monde. »
Dans les chapitres relatifs à la vieillesse et la maladie d’Ann, l’auteure dresse un portrait tout en nuance et en sensibilité de cette mère avec qui elle a été fusionnelle tout en s’opposant souvent à elle. Elle aborde aussi le douloureux sujet de la fin de vie et de la prise en charge des personnes âgées dépendantes, le tout écrit tout en finesse et avec une grande sincérité.
Dans la partie consacrée à l’enquête sur la famille et le passé d’Ann, Julia Deck prend ses distances. Le ton n’est plus le même, elle parle d’elle à la troisième personne, et use d’un style plus proche du récit d’investigation que du récit de l’intime. Pourtant, les deux histoires se télescopent, nous renvoyant sans cesse du présent au passé et vice-versa. Elle aborde les non-dits, traque la vérité. Mais la vérité est-elle toujours bonne à connaitre ? Ou bien cette enquête n’est-elle pas une façon de garder vivante sa mère le plus longtemps possible ?
Cette biographie d’une relation mère-fille est écrite avec brio et on ne peut qu’être touché par ce récit intime.