Parmi les nombreux enfers qui existent sur Terre, il en est un qui se situe à Potosí, Bolivie. A plus de 4000m d’altitude, cette ville se trouve au pied du Cerro Rico (le Mont Riche), une montagne riche en filons d’argent et d’étain, exploitée depuis la colonisation espagnole au 16ème siècle....
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Parmi les nombreux enfers qui existent sur Terre, il en est un qui se situe à Potosí, Bolivie. A plus de 4000m d’altitude, cette ville se trouve au pied du Cerro Rico (le Mont Riche), une montagne riche en filons d’argent et d’étain, exploitée depuis la colonisation espagnole au 16ème siècle. Une richesse qui n’a jamais profité directement aux mineurs, lesquels travaillent dans des conditions de salaire, de sécurité et d’hygiène effroyables, pas très différentes de ce qu’elles étaient cinq siècles plus tôt, et pas très éloignées de l’esclavage. Les ressources de la montagne ont en réalité profité à l’Espagne d’abord, puis un peu à l’Etat bolivien lors des épisodes de nationalisation, mais surtout aux multinationales étrangères une fois laissé le champ libre à la privatisation. Elles profitent aussi aux coopératives minières locales, aux méthodes mafieuses, et qui engraissent leurs cadres dirigeants en faisant pression de manière scandaleuse sur les travailleurs pour mater la moindre tentative de protestation.
Les conditions sont épouvantables pour les mineurs mais, encore plus à plaindre, il y a les femmes et les enfants, parfois contraints de travailler gratuitement pour solder une dette que leurs parents ont contracté vis-à-vis de la coopérative. Parmi ces enfants, Ander Izagirre a choisi de suivre Alicia, qui a commencé à la mine à 14 ans, pour aider sa mère veuve et nourrir sa petite sœur. Aux dangers inhérents au travail dans des galeries insalubres et mal entretenues qui risquent de s’effondrer à tout moment, il faut encore ajouter (comme si ce n’était pas suffisant), les violences à l’égard des femmes et des filles, victimes d’agressions ou de viols commis par les mineurs en toute impunité, dans un milieu où le machisme a encore de beaux jours devant lui.
« Potosí » n’est pas seulement un reportage sur les conditions de vie précaires des mineurs du Cerro Rico, c’est aussi une enquête qui remonte l’histoire à partir de la découverte du précieux filon au 16ème siècle, à la recherche des origines de ces conditions. Brutalité des colons, incurie des gouvernements successifs, corruption, dérégulation sauvage, course au profit, manipulation des cours de bourse des métaux, enjeux politico-économiques et sociaux (sans parler de l’environnement) de l’exploitation des ressources naturelles d’un pays qui en fin de compte ne tire aucun profit de ses propres richesses, alcoolisme, violences, silicose, refus de l’interdiction du travail des enfants… par les enfants eux-mêmes (qui voient dans leurs quelques pesos de salaire le moyen de ne pas crever de faim), le récit que livre Ander Izagirre est bouleversant, choquant, rageant. Ce texte est nécessaire, mais sera-t-il utile pour autant : « Moi aussi je m’en vais de Bolivie, emportant tout ce que j’ai pu – le temps, la connaissance et l’intimité de certaines personnes : la matière première pour écrire un livre. Mais je doute que celui-ci serve à quelque chose. La Bolivie c’est aussi, depuis des décennies, un de ces pays exportateurs d’histoires sensationnelles : journalistes, écrivains, cinéastes, photographes, anthropologues et conteurs d’histoires, nous venons chercher des histoires de misère et de violence qui, ensuite chez nous, nous feront beaucoup briller mais sont rarement utiles aux protagonistes ». C’est paradoxal, mais c’est une tout autre question.