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Manichéen, entre rires et grincements de dents, pétillant ou acide, « Nom de noms » est avant tout jubilatoire et de haute voltige. Ce roman est hors norme de par sa construction. Des poupées gigognes qui s’emboîtent d’une histoire à l’autre, des nouvelles qui se touchent du bout des doigts. La subtilité éveille et attise notre curiosité et le frénétique désir de suivre le fil rouge de Gilles Verdet. Rien, le premier des protagonistes est la majuscule de ce récit. Un anti-héros digne de celui de Bove dans « mes amis ». Rien est donc l’emblème du néant, de cette transparence aux abois. Doutes et fragilités, échecs en puissance.
« Celui, c’était sûr qui, depuis ma naissance m’entraînait vers le vide absolu. »
Rien veut changer d’identité. Juste une lettre dans son nom, mais laquelle ?
Ce sera donc la première lettre, et voilà notre homme qui pense se métamorphoser. Certes, mais les déboires vont s’avérer nombreux, et les chaises bien rangées dans sa vie vont basculer frénétiquement.
« Là où la malédiction séculaire des noms à coucher dehors se confond avec la faveur des bien nés à pieuter au chaud. Où les appelés, les appelants, les innommables et les sans noms cohabiteront toujours le dos chargé du fardeau de leurs ancêtres. Et de tous les ascendants insoucieux de l’atavisme nominatif. Pas moi. Moi j’étais autre. »
Bien, vous avez dit « Bien ». Cette nouvelle est une satire. Sombre et caustique, l’humour grince, l’apothéose d’une écriture surdouée qui décroche les étoiles. Nous sommes dans le summum de la lucidité littéraire, le pragmatisme et le piédestal grammatical. Les fragments sont une contemporanéité absolue, révélée, et les acteurs en avant, pions sur un jeu de dames. Gilles Verdet est malicieux, appliqué, il est au cœur des lignes à chaque instant, prise à partie dans une trame dont on croirait une pièce de théâtre à ciel ouvert. « Nom de noms » est de plusieurs degrés de lecture. Entre les morceaux d’architecture, il y a cette intuition dévorante. La capacité à exaucer nos actes manqués d’avant. Cette volonté de briser les carcans. Les jeux de mots sont des lanceurs d’alerte, dans un style phénoménal qui remet d’équerre l’ubuesque. « Nom de noms » est le parchemin des troubles de l’humain.
« Et les mystères des autres, des évidences à vivre, quoi qu’il arrive. Les siens tombaient là un à un, faciles, comme un arbre qu’on aurait trop secoué. »
Tour s’exauce dans la force intrinsèque de ce texte implacable. L’humour est le garde-fou et la finesse qui excelle est magnifique.
« Il avait le tourment lyrique et la tristesse littéraire. »
Ce kaléidoscope : « De la science des noms propres et de leur déterminisme » est une bouffée d’oxygène. Un sujet qui nous touche tous, un jour certain.
« Que, tout est écrit pour nous dès la naissance. »
Cette fable rugueuse parfois riante fait la part belle néanmoins à Diogène, aux Cyniques. Saut dans la flaque d’un conformisme, le conventionnel poussé du pied. Libre, vous avez libre… Gilles Verdet est digne d’un génie évident. « Nom de noms » est un plaisir de lecture. En ces temps floutés par La Covid il est une couverture remontée jusqu’au cou. L’antidote, du baume au cœur. Publié par les majeures Éditions L’Arbre Vengeur.
Tout commence par un casse dans une bijouterie qui devait être celui du siècle, ultra rapide et efficace! Naturellement, rien ne se passe comme prévu et Simon, l'un des deux protagonistes est tué à bout portant par deux personnes vêtues d'abaya laissant juste apercevoir leurs yeux.
On suit alors la route de Paul dans sa recherche de la vérité, route jalonnée des cadavres de ses amis au son des vers de Verlaine et Rimbaud pendant 7 jours de mai qui font écho à la Semaine sanglante.
Un polar noir, efficace, tout en gouaille, qui nous promène dans les ruelles de Paris et jusqu'aux confins de la Russie.
D'autres personnes étrangères au trio meurent de meurtres déguisés en accident ou en suicide. Agnès, internée, meurt brûlée, Georges sous les roues du métro, ... Tous les morts entendront avant de succomber, susurrés à leurs oreilles des vers de Rimbaud.
Voici un roman noir totalement original si ce n'est dans son intrigue au moins dans son scénario et surtout dans ses personnages. Le premier truc, c'est déjà de s'habituer à la narration très particulière de Gilles Verdet qui alterne le langage oral, l'argot, la poésie. J'ai mis un peu de temps, j'ai même tenté de sauter des paragraphes, mais test inutile car irréalisable tant cette écriture vous tient malgré la -très- relative difficulté du départ à s'y faire. C'est une putain de belle langue qui impose son rythme et qui oblige à lire tous les mots, je découvre un auteur amoureux des mots, à la plume envoûtante.
Si en tant que lecteur de polars j'ai déjà pu rencontrer semblable intrigue, j'avoue que sa mise en condition m'a bluffé. Rimbaud et Verlaine sont très présents, des vers d'iceux sont cités, ils font partie de l'explication finale. La Commune de Paris, cette révolte de 1871 est omniprésente également, et comme c'est une période sur laquelle j'ai lu et continue de lire (Le cri du Peuple de Jean Vautrin, notamment dans sa version BD de Tardi est excellente), j'ai été irrémédiablement attiré et scotché par ce roman. L'ombre des combattants des barricades flotte sur ce livre ainsi que celle de leurs bourreaux, de Galliffet par exemple ; la Semaine sanglante (du 21 au 28 mai 1871) sert de base historique. C'est un roman noir mélancolique, Paul se balade beaucoup dans les rues parisiennes en essayant de comprendre pourquoi on meurt brutalement autour de lui. Il fait des rencontres, notamment celle de Jean-Philippe Gallet un historien qui l'aidera à comprendre cette période troublée. J'ai appris ainsi l'existence du groupe d'artistes Les vilains bonshommes qui a compté brièvement dans ses membres, Arthur Rimbaud. Je ne suis pas spécialiste du poète, n'ayant pas biberonné à ses vers, je ne suis qu'un piètre connaisseur et amateur de poésie, mais j'avoue que j'ai été embarqué dans cette histoire.
Le suspense tient autant dans l'intrigue que dans les questionnements liés aux personnages : qui sont-ils ? A quoi jouent-ils ? Aucun d'entre eux ne correspond aux stéréotypes de son genre. Ils ont tous un côté mystérieux voire étrange et secret, ce qui est un pur plaisir de lecteur. Les stéréotypes, il en faut, surtout dans le polar, mais lorsqu'ils sont détournés, c'est encore mieux.
Un roman noir avec un fond historique, une langue qui scotche les lecteurs, des personnages qui ne font pas forcément ce qu'on attend d'eux, que demander de plus ? Rien.
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