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Mai 1980. Ilaria a huit ans. Son père vient la chercher à la sortie de l’école. Ils doivent rejoindre sa mère et sa sœur dans un restaurant où ils ont pris depuis quelques temps l’habitude de se retrouver, tous les quatre, le temps d’un repas, pour maintenir un lien suite à la séparation récente des parents.
Le père d’Ilaria va prendre un tout autre chemin. Il part seul avec sa fille.
Ce roman est porté par la vision de ce road trip par l’enfant, par ses mots, par ce qu’elle comprend de la situation, par les silences qu’elle interprète avec l’imagination d’une petite fille.
J’ai été à la fois portée par l’histoire, par l’envie de connaitre l’issue de cette cavale, et par les sentiments que nous inspire la situation de cette enfant ballotée malgré elle, victime principale de la séparation de ses parents.
C’est un texte bouleversant, marquant, où les silences sont de véritables armes, où l’on assiste à la vie d’Ilaria qui se déroule sous nos yeux impuissants.
J’ai adoré ce roman cruel, sensible et très vite lu. Une lecture que je ne suis pas prête d’oublier. Un roman précieux comme un bijou.
Deux ans de cavale
Mai 1980, une petite fille s’active à son jeu préféré, « le cochon pendu » car elle aime éprouver son corps, déjà admiratrice de Nadia Comaneci, en attendant l’arrivée de sa sœur ainée afin de rentrer chez elle.
Mais ce jour-là c’est son père qui vient la chercher.
Le père est un homme en colère qui n’accepte pas le divorce, il rumine sa rancœur l’arrosant d’alcool.
« Papa ment avec naturel, très poliment, avec les yeux. Il donne un tas de détails comme s’il décrivait une image. Il fait ça si bien, il est si précis, que tout le monde le croit. Mais tous ses mensonges ne changent rien à ce silence qui grandit entre nous. Un vrai sac de nœuds. »
Sa femme a quitté l’appartement de Turin, emmenant ses deux filles avec elle en Suisse.
Ils se retrouvent régulièrement à mi-chemin dans un restaurant, mais cela ne lui suffit pas. Il enlève donc Il aria la plus jeune des filles. Il pense ainsi faire changer sa femme d’avis, il la bombarde d’appels téléphoniques passés dans les cabines des stations-service et aussi de télégrammes qu’il signe : Ton mari.
Persuadé que sa femme ne peut pas ne plus l’aimer, il dévisse inéluctablement.
Ilaria a conscience de la situation instinctivement, en observant son père, sa gestuelle, ses addictions tabac-alcool. Elle sait au plus profond d’elle-même qu’elle est prisonnière. Elle développe des sentiments ambigus, le manque de sa mère et de sa sœur, mais ne peut pas quitter son père pressentant l’océan de solitude qui est le sien.
Elle devient la complice de ses magouilles.
« Il est nerveux
Il est en colère
Il va devenir méchant »
À travers ce chaos, il y a des trouées, des bulles où il redevient un papa investit, comme lorsqu’ils échouent chez des amis à la veille de Noël, l’enfant est fière de lui.
Après six mois d’errance, il y a une courte période dans un internat.
Quoi qu’elle fasse, elle a le sentiment de trahir l’un ou l’autre de ses parents.
« Quand est-ce qu’il recommencera à se fâcher ? Je me méfie. Un jour où l’autre il explosera. Je sais qu’il n’a pas oublié ce qui s’est passé à Rome, ce qu’il a appelé ma trahison. Il est imprévisible.»
La mise en page est une véritable mise en scène de cette cavale.
Les phrases sont des veines d’où les mots pulsent ; des pressions sur l’enfant, peu de caresse, de temps de répit, beaucoup de chantage.
Le lecteur est en apnée, profondément perturbé car à cet âge tendre, un enfant ne devrait jamais être l’otage des adultes, et pourtant…
L’absence de pathos rend une réalité brute, précise et minimale qui nous désarme autant qu’elle nous étreint.
De ce voyage étrange l’effroi est en sourdine, la curiosité à son acmé, cela en forge la singularité.
Gabriela Zalapì réussit magistralement à dialoguer avec ses lecteurs dans un propos âpre et une langue soyeuse.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2024/11/11/ilaria/
J’ai tourné la dernière page du livre « Ilaria ou la conquête de la désobéissance » et j’ai du mal à oublier les paroles de cet enfant de 8 ans. Les flashes d’info sur l’autoradio de la voiture nous informent que nous sommes en 1980, divers drames sèment la peur en Italie, attentats, rapts initiés par des extrémistes, qu’ils soient de droite ou de gauche. Un climat d’insécurité, d’angoisse que nous retrouvons dans l’habitacle de la BMW bleu marine du père d’Ilaria, la petite se demande bien où son papa l’emmène, c’est maman qui devait venir la chercher à la sortie de l’école.
Elle ne le sait pas encore, mais c’est une cavale de près de deux ans qui l’attend. Un « Giro » d’Italie, loin de sa maman et de sa sœur Ana qui résident en Suisse, depuis la séparation des parents. Fulvio le père d’Ilaria essaie de s’expliquer : « Tu te rends compte Ilaria, du jour au lendemain… en rentrant à Florence l’appartement était vide. Complètement vide. Plus de Maman, plus rien. Même pas un mot, une explication. Rien. Elle s’est enfuie avec vous sous les bras. J’ai eu un choc, c’est normal, non ? Ma vie s’était évanouie comme ça, d’un claquement de doigts. Tu trouves ça juste, toi ? ». L’enfant revoit dans sa tête sa maman fermer la porte du salon en demandant à papa d’arrêter de crier, elle nous mettait les raquettes de ping-pong dans les mains et nous disait d’aller faire un tour. Elle sa rappelle les reproches de sa maman, de l’oisiveté du papa, sans travail.
Ilaria est une enfant taciturne, docile, elle ne se plaint pas difficilement. Les premiers temps paraissent comme des vacances, un apprentissage de la vie en accéléré, il lui fait tenir le volant sur une route de campagne, l’initie à l’allumage d’une cigarette. Fulvio a des gentillesses, les nombreuses glaces, un cahier et des crayons de couleur, et surtout un ours en peluche baptisé Burillo qui va devenir « Le confident ». Mais la routine finit par peser, des autogrills d’aires d’autoroute, aux chambres d’hôtels et aux bars, car papa aime bavarder au gré des rencontres, mais surtout il apprécie de plus en plus le whisky.
Fulvio, fatigué par ses errances, par les nombreux coups de fil à sa femme qui se terminent en cris, devient de plus en plus nerveux. Ilaria, elle, devient de plus en plus morose, l’absence de la maman et de sa sœur se fait sentir, surtout que le papa trouve toujours une bonne raison pour ne pas lui passer l’appareil, lors de ses appels.
L’argent manquant, il faut trouver des points de chute, Ilaria devra faire face à des grands moments de solitude lorsqu’elle sera inscrite dans un internat. Mais chez des amis, la grand-mère paternelle, une amie de la grand-mère, elle trouvera du réconfort auprès d’enfants de son âge ou du personnel domestique des logeurs.
La maman, de son côté, n’est pas restée inactive, elle a réussi à faire parvenir à Ilaria un paquet-cadeau pour Noël, du chocolat, du coloriage, mais surtout une boulette de papier qu’elle déplie à l’insu de son père, où figure son numéro de téléphone …
Un drame à hauteur d’enfant. Gabriella Zalapi écrit dans un style dépouillé, direct, sans artifices, en de petits chapitres courts telles les images, les pensées qui traversent la tête d’Ilaria et qui nous happent littéralement. Elle nous fait réfléchir à ces innombrables catastrophes humaines vécues par les enfants lors de la séparation des parents. Qui préfères-tu Maman ou Papa ?
Vifs remerciements aux Editions Zoé.
"Ilaria", la couverture avait attiré mon regard, le nom de la maison d’édition aussi, "Zoé" que j’affectionne particulièrement. En revanche, je n’avais encore rien lu de Gabiella Zalapi. Une rencontre littéraire en ligne organisée par VLEEL a fini de me convaincre : ce roman était pour moi. Je ne m’étais pas trompée.
"A huit ans, j’aime sentir le haut de mon corps suspendu dans le vide…C’est en position "cochon pendu" que je passe mes récréations, que j’attends Ana, ma sœur." Sauf que ce jour-là, ce n’est pas Ana qui vient la chercher, c’est son père pour aller "Chez Léon" retrouver sa mère et sa sœur… Sauf que finalement ils passent la frontière, quittent la Suisse et parcourent l’Italie. Et ce road movie dans l’Italie des années quatre-vingt, jalonnée d’Autogrills, va durer deux ans. "Ilaria" est un roman bouleversant, écrit à la hauteur d’une enfant de huit ans que le père, séparé de la maman enlève. Comprend-elle la situation au départ ? Rien n’est moins sûr. C’est au fur et à mesure qu’elle prend conscience…
L’auteure utilise une langue dépourvue d’artifices. Elle économise les mots au maximum. Les phrases sont courtes et claquantes, précises Pas de chapitres, mais des blancs, parfois des pages entières comme des respirations. Elle décortique à merveille à travers la voix de l’enfant la difficulté de celle-ci à trouver l’équilibre entre la loyauté due à sa mère et celle qu’elle voue à son père. Et si, en effet, elle tente de conquérir la désobéissance, c’est tout en finesse. Son père est dur et alcoolique, mais c’est son père et il peut être aussi drôle et aimant et justement, elle l’aime. Alors, elle se crée une vie dans sa tête au fur et à mesure de ses rencontres et des petits livres qu’elle se fabrique.
Ce roman se lâche difficilement, il est touchant et la voix d’Ilaria m’a longtemps poursuivie. Ce n’est pas toujours simple d’être une enfant.
https://memo-emoi.fr
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