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« C’était une île tranquille, corolle d’émeraude posée à l’aube des temps sur l’océan sans limite : Ruahini, vaisseau dont les voiles montent à l’assaut du ciel, falaises abruptes derrière lesquelles chaque soir le soleil, las de sa propre incandescence plonge pour se rafraîchir dans la mer nourricière ».
« L’île des rêves écrasés » premier roman de Chantal T. Spitz, en 2003, réédité en 2007, 2015, 2022, tant son précieux est une référence littéraire.
La beauté douloureuse d’un texte envoûtant dont la profondeur magnifique, éclatante, finement et audacieusement politique est également d’une empathie extraordinaire, belle à couper le souffle.Le peuple autochtone de la Polynésie, Tahiti.
La chant oratoire est du sable brûlant entre nos mains. Entrelacs poétiques, sensibles, gorgés d’humanité, la langue carillonne et que cette musique est ensorcelante !
Les palpitations d’une île en mutation. Les croyances ancestrales, berceau d’une humanité dont la virginité va être tourmentée, immanquablement.
« Je suis venue vous annoncer que la Mère Patrie est en grand danger. L’Allemagne nous a déclaré la guerre et notre mère Patrie a besoin de tous ses enfants pour la défendre… Teuira, elle, recule le plus possible le moment où elle devra dire au revoir à ce fils, qui, hier seulement lui semble-t-il, apprenait à nager avec deux noix de coco lui servant de flotteurs. Mon petit part à la guerre ».
Trois générations s’élèvent dans cette trame spéculative et pleine de force. La ténacité des dires de Chantal T. Spitz est miraculeuse. Ne rien laisser sur la terre ferme. Border l’île des évènements qui encerclent l’idiosyncrasie et les habitus, les couleurs et les sentiments, et cette généalogie dont chacun devrait prendre exemple.
Dans cette île des rêves écrasés, familles assignées au sanglot lent. Hommes et femmes colonisés, le collier perpétuel cassé, perles enfouies dans une terre en proie à la souffrance de l’oubli.
Ne pas perdre, jamais, la lointaine voix murmurante des limbes bafouées. Inscrire la trace indélébile sur le front pâle des enfants. Serait-ce le symbole de Jonas ?
Le plein d’un peuple happé par une métropole humiliante et condescendante.
La capacité extraordinaire d’une autrice qui rassemble l’épars. L’identité vogue sur les flots sauvages et hostiles. Poète de la quête, essentielle et vibrante, digne, l’autrice est de mimétisme. Échappe au grand écart, elle est l’héroïne qui aime l’ensemble devenu, blanc, noir demi. Fronton des exactitudes sans ligne jaune. Tout dire.
L’amour pour les siens, ces hommes et femmes, battus par les tempêtes tropicales, les arrogances d’une France méprisante et orgueilleuse.
« Comme l’a pressenti Tematua avec l’intelligence de son cœur, le temps s’emballe, bouleversant les esprits, installant insidieusement dans les cœurs la honte du monde Mã’ohi et l’admiration des pâles reflets du monde de l’étranger ».
Les racines comme des paroles, le ciel et la terre, l’eau et les hommes.
« Où chaque homme, unique/Se tient debout dans le soleil levant/Fort de l’amour de tous les fils de la terre ».
Il est des étoiles, voûte lactée sur l’océan, le monde pourtant recroquevillé de par ses chagrins.
« Peut-être qu’un jour, si vous restez assez longtemps à Ruahini et si vous savez vous laver de vos idées toutes faites, vous commencerez à nous comprendre ».
« L’île des rêves écrasés » l’utopie vaincue. L’empreinte même de la mémoire résistante et altière. La violence de l’Histoire, les lâchetés des puissants.
« Nous procédons au premier tir de missiles dans un mois ».
« Les rêves brûlés, l’avion présidentiel survole Ruahini, Le Général-Président assiste, revêtu d’une combinaison anti-radiations ».
« L’île des rêves écrasés », la mission même d’une littérature au pouvoir immense. La traversée d’un texte vibrant, qui ose et affirme son engagement pour dénoncer ce qui fut et encore de nos jours, jusqu’au vertige des vérités.
Le front de mer d’une littérature engagée et percutante. L’île des rêves écrasés, ensanglantés, déchiquetés, un tissage inoubliable dont on aime de toutes nos forces les hôtes de cette île. La Polynésie française dans ses plus vives contradictions.
Un chef-d’œuvre poétique, obstiné, magistral. À noter une magnifique couverture de Gabrielle Ambrym dont on aime le fil rouge dans chacune des parutions de cette ligne éditoriale cruciale et vertueuse : Au vent des îles. Une urgence de lecture !
Ce kaléidoscope de ressacs et de turbulences est magnifiquement dépeint. Dans une langue polynésienne, riche d’idiosyncrasie et d’habitus.
Ici gravitent le monde, l’oublié, le rebelle, le torturé, la belle prostituée...Tant de symboles et de résurgence !
Sublime de par ses traits de caractère et de ténacité.
Huit nouvelles, marée-haute. L’oralité qui dévoile d’une voix douce les souffrances d’un peuple. Des êtres éperdus dans les violences intestines.
C’est un pan sociétal, sociologique, politique et engagé qui couronne ce livre-sève et nécessaire.
« et la mer pour demeure » sans majuscule avec cette humilité des mots choisis dans l’extrême pouvoir des dires.
« il aimerait qu’elle le regarde le touche lui sourit comme ils étaient tous ensemble à la maison il se fait pierre pour ne pas rider son immobilité il se fait rien pour ne pas froisser son silence »
Écoutez le chant qui se fraie un passage dans une trame sans points ni virgules ni ponctuations. Comme de l’eau fraîche qui s’écoule entre vos mains en coquilles.
« Ils pleurent sur le rêve »
« dès les premières attaques beaucoup sont blessés évacués après négociations suit le cortège des désespérés qui tuent leur courage pour vivre leur lâcheté »
Cruciaux, dévoués aux résistances, ces morceaux d’architecture « les indécences inégalitaires s’estompent les services publics s’effacent les destins s’aèrent »
Puisqu’il est l’heure d’un épistolaire litanie, sel et écume, « arracher les images les cris le désordre d’un chaos convulsif espace fugace qui dévore leur présent extorque leur avenir »
Les sentiments, les errances, les ombres furtives, les déchirures, l’indépendance fronton qui vacille. Les êtres encerclés dans l’intrinsèque des turpitudes. Renaissance par l’amitié et ses ferveurs, Pape’ete est rémanence et forces vives. On ressent une autrice conférencière par ses mots. L’étendue polynésienne jusqu’au vaste des intelligences, des observations et des palpitations polynésiennes. Tahiti, carte postale spéculative. Ici, tout semble vrai, à cris et larmes. Peuple assigné dans ses batailles. « et la mer pour demeure » « garder en moi les flamboyantes mémoires qui continueront d’habiter les oublis de mes prochaines vies et la mer pour demeure de cette vie présente »
Magistral, d’utilité publique, de haute contemporanéité, cet écrin aux huit merveilles est une page de nos vies enlacées avec eux, nous et Chantal T. Spitz. Incontournable et la pleine lune en front de mer. Publié par les majeures Éditions Au vent des îles.
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