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Clara est cette "silencieuse" aux mots "bloqués à l'intérieur". Lorsque Barnabé, son compagnon, la quitte, elle abandonne les marionnettes qu'ensemble ils animaient, à lui les voix et les paroles, à elle l'espace et les gestes. Elle quitte la ville, "un monde", pour abriter son silence dans un autre, dans celui qu'elle se crée peu à peu. Un monde dont le centre et le refuge est une vieille et grande maison, comme née de la nature qui l'entoure. Les pierres, la rivière, les arbres et le jardin sont les premiers éléments qui apportent leur consistance à cette transparence que Clara reconnaît comme partie intégrante de sa personnalité. Une transparence que les personnes rencontrées par la jeune femme dans ce village isolé assimilent plutôt à de la discrétion, et, peu à peu, les silences de Clara deviennent réceptacles pour la parole des autres : les voisins, bavards comme Thierry, secrets comme Omar, étranges comme Bertrand, ardents comme Ameline, mais aussi les textes et oeuvres des artistes qui nourrissent ses propres sculptures. Sa solitude choisie, sinon toujours acceptée, englobe les mots et les existences de ceux qui la croisent et les silhouettes qu'elle sculpte gardent la mémoire du mouvement et de l'espace.
Comme une dentellière, le personnage du roman d'Ariane Schréder raconte la trame du temps en une passementerie, trouée de silences et d'abandons, tissée de poésie et de précision, une dentelle qui arrime le territoire intérieur à l'espace extérieur. D'une grâce et d'une pureté infinies, l'écriture incarne toutes les nuances d'une histoire dans laquelle le romanesque vient se nicher discrètement, presque modestement, à l'image de Clara.
Ce roman a, pour moi, quelque chose d'une source. La limpidité sûrement, mais aussi la sensation que l'on peut s'y désaltérer quelle que soit la soif que l'on éprouve. Parce qu'il me semble aussi que sa clarté définit l'opacité et vice-versa. Je veux dire que, encore une fois comme la narratrice au prénom trompeur, la transparence enferme et enveloppe une singulière profondeur. Comme la promesse d'un charme constamment renouvelé à chaque lecture.
Je crois que, malgré la somme de livres lus et de commentaires rédigés, je ne parviendrai jamais à discerner la composition du philtre d'amour dont certains romans m'imprègnent. C'est un secret bien gardé que cette alchimie intime entre une histoire mise en mots, "en un certain ordre agencés", et mon "moi-lisant".
"Et mon luth constellé" d'Ariane Schréder est de ceux-là qui me tiennent sous leurs charmes sans que je sache précisément identifier la (les) source(s) de l'envoûtement.
L'histoire tient pourtant en peu de mots : une femme, Iris Dambre, meurt dans un accident d'avion et la narratrice, Louise, se remémore son apparition dans le petit village des Pyrénées où elle habitait avec Luce et Pierre, ses parents. Revenue sur les lieux pour les vacances, Louise tisse le passé au présent de la même manière que Luce, sa mère, tisse des robes de sirènes. Les habitants du village se souviennent tous d'Iris et des lectures qu'elle "faisait vivre", certains soirs, dans le café de Josette. Posté en sentinelle dans sa librairie du Chat qui dort, le vieux Georges continue de veiller sur ces "histoires qui ne se terminent pas et sur ces personnages qui ne disparaissent jamais" car ils passent d'une histoire à l'autre. Il suffit d'y être attentif et le preux Roland, la langoureuse Lady Chatterley, Ulysse aux mille ruses, Iris Dambre et d'ombre nous entraînent à leur suite, à travers les livres, jusqu'à pénétrer notre propre vie. Ils nous aident à la décrypter et à en éclairer tous les pans cachés.
Le titre du roman nous donne la clé de cette lumineuse mise en abymes de la littérature. Le nom des personnages, le décor, les situations, la prégnance de la nature et l'intensité des êtres ne cessent de nous renvoyer au poème de Gérard de Nerval et aux œuvres qu'Iris fait découvrir à ses auditeurs et à la petite Louise. C'est du grand art que cette architecture qui ouvre, de manière si subtile, sur de belles et multiples perspectives ! Et la souplesse de l'écriture, sa chaude fluidité, habite et habille chaque parcelle de ce royaume romanesque.
Il y a quelque chose de réconfortant et de très doux dans ce roman qui nous parle d'humanisme, de transmission et de trahison. Qui nous parle d'amours humaines et littéraires en les mariant par de splendides épousailles. La magie indicible du roman d'Ariane Schréder continue de m'accompagner, de me soutenir, de me murmurer les histoires tissées depuis la nuit des temps et de les rendre miennes. Lire ces mots qui vivent, me donne vie et me laisse entrevoir des parcelles d'éternité. Roland furieux, Iris de l'ambre et de l'ombre, Georges du Chat qui dort et Jojo du cat qui éveille, merveilleuse Alice et Stella étoile noire, tour abolie et château en ruines, luth constellé, lyre orphéenne et lire. Lire encore. Lire toujours.
« Et mon luth constellé » n’est pas qu’un pan du magnifique et mystérieux poème de Gérard de Nerval, El Desdichado, c’est aussi une histoire. Une sublime, une émouvante histoire contée par Ariane Schréder. Celle de vies qui s’entrecroisent, dans un tout petit village pyrénéen ( là où « les gens n’ont jamais vu la mer ») surplombé par un château cathare.
S’il m’a tant émue, c’est parce que je connais bien ce lieu.
S’il m’ a tant touchée, c’est parce qu’il est un bijou de poésie, de sensibilité, de délicatesse, et un superbe hommage à la littérature.
C’est l’histoire d’Iris, comédienne citadine, femme fantasque et fantastique, surgie d’on ne sait où, juchée sur ses chaussures à semelles compensées. Iris , mythologique messagère des dieux. Iris, qui va bouleverser l’existence de ce village…
« Alors, Iris est quand même entrée. Elle est arrivée par une nuit d’été. C’est Jojo qui l’a découverte… ll a dit « Là-haut, il y a une demoiselle qui dort dans sa voiture ». Il a ajouté « On dirait une fée » .
C’est l’histoire d’une petite fille de dix ans, Louise...
C’est l’histoire de ce fil magique, de ce lien lumineux que génère la littérature. Car Iris va lire, le soir, à la tombée de la nuit . Ou plutôt, elle va incarner des lectures. Uniquement des classiques, qui proviennent de la librairie du vieux Georges, des histoires d’amour-passion. Des mots lus contre une chambre mansardée.
C’est l’histoire d’une promesse non tenue, d’une fuite, d’un secret, d’une quête.
J’ai été bouleversée par ce roman.
Mes racines cathares ont vibré en respirant l’air de ce village et de ce château, chargés d’âmes . Mon cœur a battu plus fort en entendant Iris la sirène lire. Il a été séduit, charmé par la plume d’Ariane. L’écriture est en effet d’une beauté inouïe, elle est peuplée de toutes ces phrases étoilées qui font du bien. Elle est lumière et douceur, elle est pureté et passion. Elle est faite d’amour.
Comment la fuite permet-elle de se réconcilier avec la vie ? Comment le silence permet-il de mieux appréhender le quotidien afin de retrouver l’espoir et la paix de l’âme ? En nous proposons ce magnifique portrait de femme, Anne Schreder tente de répondre à ces questions essentielles. Clara est une femme seule et blessée. Quelque chose en elle reste inachevée et elle doit parvenir à se re-construire sur son passé, son travail de sculpteur, son désir. Ce n’est pas facile de lâcher prise et d’admettre ses erreurs. Un petit chaton viendra rompre le silence et c'est un peu magique. Ce roman nous émerveille par se pureté et ses messages. Un beau texte, une ambiance feutrée et du style.
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