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La première fois que j’ai entendu parler de ce livre, c’était lors d’une rencontre en ligne avec Emmanuelle Collas. Son enthousiasme pour ce roman transparaissait par écran interposé et je me suis noté ce titre, clin d’œil à Gabriel Garcia Marquez.
Le hasard faisant bien les choses, je l’ai trouvé peu après, alors que je flânais dans une librairie.
Et me voilà embarquée pour la Syrie. Terre maudite et ensanglantée depuis des années.
À la suite de Tammouz, un être sans âge qui cherche à retrouver le souvenir d’un amour perdu.
De Zayélé, mère de famille yézidie et de ses deux enfants.
De Houda et de Yassir qui s’aiment et doivent mourir pour cet amour hors mariage.
D’Adams qui veut réparer un crime qu’il a commis et recherche l’absolution en combattant au côté des YPG.
Il y a quelque chose de presque irréel à parler d’amour quand la guerre et les hommes ravagent tout. Lorsque les épreuves séparent les êtres qui s’aiment. Lorsque le temps déroule son flot entraînant irrémédiablement une fin tragique.
Pourtant dans tout ce marasme et ce chaos, c’est peut-être bien la dernière chose qui fait sens, qui rend la beauté à l’humanité. Qui fait déplacer les montagnes et commettre le pire.
Ce roman est excellent. L’auteur réussit à tisser un roman sur un sujet difficile à traiter, de manière humaniste, réaliste mais sans pathos superflu avec une histoire dont on ne peut se détacher tellement l’empathie se créée pour cette galerie de personnages.
La complexité de la situation syrienne est présentée ainsi que les atrocités commises par les belligérants. La cruauté des viols, des tortures, des enfants envoyés au suicide…rien n’est épargné au lecteur. Pourtant, ce roman est baigné d’une lumière, qui persiste, faible mais forte comme le lien qui unit deux frères, une mère et ses fils, un jeune couple…
Anouar Benmalek livre un roman parfaitement maîtrisé qui rejoint sans conteste la liste de mes plus belles lectures de l’année.
"Si tu crois avoir compris la situation de cet impossible pays, c'est qu'on te l'a mal expliquée"
Ce pays, c'est la Syrie d'aujourd'hui, c'est aussi le Pays entre les deux fleuves, c'est enfin la terre du sacrifice d'Abraham. De l'une à l'autre, et pendant quelques millénaires, erre un type bizarre, un voyageur. C'est peut-être un djinn, un ange déchu, un demi-dieu aux pouvoirs limités, immortel, qui tout à la fois méprise et envie les hommes pour leur fragilité et leur finitude. Tout a commencé par une mission divine, mais en était-ce bien une? Un songe lui a commandé de se mettre en route pour éviter un drame épouvantable, d'aller botter les fesses d'un prophète qui aurait mal tourné. Rien de plus clair. "Le Maître ne daigne jamais expliquer directement Ses intentions (...) peut-être se réserve-t-il la possibilité de changer d'avis en faisant retomber la responsabilité de la mauvaise interprétation sur Ses Serviteurs"
Mais en chemin, le djinn est tombé amoureux. Il porte le deuil de cet amour absolu, forcément trop court, et poursuit ses traces jusque dans un camp de jihâdistes à la frontière entre Turquie et Syrie.
Ce drôle de génie, c'est le fil qui relie une dizaine de destins humains, ballottés au gré du Patron ou des horreurs qu'on commet en son nom. C'est Garcia Marquez au pays des Mille et Une Nuits, des enfants martyrs, des femmes lapidées et des pieuses tortures.
J'ai aimé ce roman pour sa poésie, son irrévérence et son humanité.
Un grand roman d’aventure au pays du levant, principalement en Syrie pendant la guerre effroyable qui secoue depuis plusieurs années cette région et où on rencontre Daech, des kurdes(dont des yésidis), des syriens, des turcs….Cette fiction romanesque décrit de façon très réaliste et très crue des scènes de tortures, d’exactions guerrières de l’État islamique(décollations, lapidations, kamikases…) incarnés par des personnages très représentatifs dans des situations et un scénario fantastique qui fait avaler la pilule amère des atrocités jalonnant le récit. Un personnage troublant, étonnant, le marcheur Tammouz, venant du fond des âges accompagne deux histoires d’amour parallèles, celle de Yassir pour Houda et celle de Zayélé, mère Yésidie pour ses fils Aran et Reben. La partie 2 du roman, celle où naît historiquement Tammouz peut donner envie de lâcher le roman, il faut la franchir pour retrouver toute la profondeur mystérieuse et imaginaire qui séduit définitivement le lecteur.
Australie, décembre 1918, Joseph fête son retour de la guerre, sain et sauf.
C'est une belle journée de printemps, Harry son père devrait être heureux, mais il est désemparé, sa femme Elisabeth est mourante. Il se remémore.
Cinquante ans plus tôt, Joseph s'appelle alors Kader, il vit en Algérie, à Biskra, aux portes du Sahara. Il est prince de sang, neveu de l'émir Abd El Kader.
Après la dernière défaite de l'émir contre les troupes française, sa famille doit partir en exil à Damas.
Quelques années plus tard, son père ne supporte plus cet exil et décide de rentrer en Algérie.
Le pays est alors en effervescence. En 1869 le maréchal Mac-Mahon écrivait que "les Kabyles resteraient tranquilles aussi longtemps qu'ils ne verraient pas la possibilité de nous chasser de leur pays [..] un revers de notre part sur un point quelconque entraînerait un soulèvement presque général".
Divers évènements vont accélérer le processus.
Début 1870 il est mis un terme à l'administration militaire de l'Algérie, consacrant l'établissement du régime civil. Les colons ont gagné. C'est eux, qui abandonnant la pioche ou la charrue, deviennent administrateurs.
Puis en juillet de la même année se déclenche la guerre franco-prussienne. El Mokrani un ancien bachaga (haut dignitaire de la hiérarchie administrative "arabe") songe à la révolte dès le début de cette guerre. Mais il est un fervent admirateur de Napoléon III et veut lui rester loyal. Il souhaite avant tout donner un coup de semonce au pouvoir civil.
Il y a des échanges, des demandes de négociations avec Thiers mais sans effet. Une occasion perdue, parmi tant d'autres qui suivront.
Sur ce, un mystique, Ben Haddad, proclame la guerre sainte. El Mokrani n'a pas d'autre choix qu'accepter cette alliance. En quelques jours, au printemps 1871, 100 000 combattants se rallient à ce mouvement. Il faudra 9 mois à la France pour en venir à bout.
Kader y participe avec sa tribu et est fait prisonnier. Il est envoyé au bagne en Nouvelle Calédonie.
Sur le même bateau se trouvent d'autres condamnés. Parmi eux Lislei, qui se cachera par la suite derrière le prénom d'Elisabeth.
En effet, au printemps 1871, Paris se soulève également. Les conditions de vie des ouvriers sont particulièrement misérables. Et durant l'hiver 1870-1871, la ville a été assiégée par les troupes prussiennes, ce qui a provoqué une grave famine. Le gouvernement signe l'armistice et les vainqueurs se voient accorder le droit de défiler le 1er mars 1871 à Paris. Les parisiens se sentent trahis par leurs gouvernants et s'en prennent aux troupes gouvernementales. Le chef du pouvoir exécutif, Adolphe Thiers, déserte sur le champ Paris pour Versailles. Un mouvement insurrectionnel improvisé assume alors le pouvoir sous le nom de «Commune de Paris».
La capitale doit dès lors supporter un deuxième siège, non par les Prussiens mais par l'armée française. Il s'achève dans la tragédie deux mois plus tard, avec la Semaine Sanglante, qui fait 20 000 victimes et 38 000 arrestations. Environ 10 000 personnes sont déportées vers les bagnes de Nouvelle Calédonie. Parmi elles, une certaine Louise Michel bien réelle, et Lislei personnage de cette fiction.
Les destins de Lislei et de Kader se croisent à nouveau quelques années plus tard lorsqu'ils tentent de fuir le bagne pour rejoindre l'Australie.
Durant leur fuite ils vont croiser un enfant, Tridarir, qui va sceller leur destin.
La vie les a terriblement malmenés et ils n'aspirent qu'à réussir leur évasion et regagner au plus vite leur pays respectifs.
Mais Tridadir bien qu'encore très jeune, a vécu des horreurs bien pires. Les colons australiens ne considèrent pas les aborigènes comme des humains, mais comme des animaux et les traitent comme tels. Ils les maltraitent, les chassent,les dépècent, les vendent.
Je voudrais préciser qu'en 1803, lorsque les premiers colons britanniques s’établissent en Tasmanie, la population aborigène est estimée à 6 000 personnes. Elle a chuté à environ 300 en 1833. La dernière survivante décède en 1876. Malgré ces chiffres sans appel, une polémique perdure chez les historiens concernant les "effets" de la colonisation sur la disparition des aborigènes.
Tridadir est le dernier représentant des aborigènes de Tasmanie, ses parents ont été tués de façon particulièrement atroce.
Kader et Lislei ne peuvent pas le laisser seul, ils connaissent parfaitement le sort qui lui sera réservé. Alors ils vont abandonner leurs rêves de retour et de retrouvailles pour veiller sur cet enfant.
Ce roman est porté par l'écriture toute en fluidité d'Anouar Benmalek. C'est un plaidoyer contre toutes les formes d'asservissement, les guerres, le colonialisme.
Une extrême violence est omniprésente dans ce livre mais totalement contrebalancée par l'humanisme des trois personnages centraux et l'amour qui les unit.
Et puis j'ai beaucoup aimé la poésie d'Abul Faraj Isfahani qui parsème le livre:
"Bois dans le verre du destin quand il te sert ce qui ressemble au bonheur. Mais, pour ce verre où tu ne trouveras peut-être que funeste calamité, sera-tu prêt à payer le prix exigé?"
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