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Dès la première page, le malaise est instillé : « Moi, trois jours avant leur arrivée, je n’étais déjà plus dans mon assiette. Ce qui n’est pas bien clair me gâche les sangs et rien ne me paraît plus obscur que leur installation à Champleure ».
Celui qui parle et s’inquiète de la sorte, c’est Simon, vieux fermier qui vit depuis toujours à Champleure avec sa femme Rachel.
Eux, c’est un jeune couple, Anaïs et Quentin, et leurs trois enfants, qui ont acheté la vieille bâtisse en face de chez Simon, une maison bourrée d’humidité et de courants d’air. Ils sont un peu l’archétype de la petite famille citadine qui fuit le vacarme de la ville pour s’installer à la campagne, convaincue d’y trouver le bon air et la tranquillité.
Pourtant dans cette contrée de forêts, de contes et de légendes, l’air n’a pas toujours été pur. Tenez, les fameux jardins noirs, par exemple, à quelques kilomètres de là : des terres stériles et putrides, maudites peut-être, bordant l’ancien village anéanti par la peste en 1709.
Et la tranquillité, alors… Anaïs trouve que Rachel, sous couvert de bienveillance, est bien curieuse avec toutes ses questions… Et que dire de Simon, ce voyeur qui le jour lorgne les petites culottes d’Anaïs sur la corde à linge, et l’ombre de la jeune femme à la fenêtre de la salle de bain le soir…
Au fil du récit qui alterne les points de vue d’Anaïs et de Simon, une relation ambiguë se noue entre eux, le malaise s’épaissit et une menace plane, sans qu’on comprenne bien en quoi elle consiste ni d’où elle vient. La nature est un personnage à part entière, omniprésente avec le vent, la pluie, la boue, un chien, un cerf, la roche, le schiste et les failles profondes dissimulées par la végétation.
Derrière la simplicité apparente de ce court roman, il y a en réalité un texte dont la construction a été pensée dans le moindre détail et dont la montée de la tension psychologique est tout à fait maîtrisée. Un récit en clair-obscur, entre réalité, fantasmes et légendes, poétique, teinté d’érotisme, troublant.
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En cet an de grâce du 17ème siècle à Marselane, la fête de la Saint-Luc n'aura pas lieu. Elle n'a pas été interdite en raison d'une épidémie de peste ou de choléra, non, elle a été confisquée par les forains eux-mêmes.
A la mi-octobre, Samir, le dresseur d'ours, est arrivé au village avec quelques jours d'avance, avant ses collègues saltimbanques. le dimanche à la sortie de la messe, malgré l'interdiction du sénéchal, il montre le nouveau numéro de son ours aux paroissiens. Mais pendant le spectacle, Sadim est victime d'un malaise et meurt. Son ours, devenu agressif, est tué.
Partie d'un malentendu, la rumeur enfle, court et circule et arrive aux oreilles des forains : les habitants de Marselane ont tué Samir !
Les forains se vengent en décidant de ne pas se rendre au village pour la fête, et jettent une malédiction sur ses habitants.
La nouvelle atterre les villageois, pour qui la Saint-Luc est la fête la plus importante de l'année, leur seule occasion de se livrer à toutes sortes de réjouissances après une saison de dur labeur, de quoi se réchauffer le coeur et la tête juste avant l'entrée dans l'hiver. Ils décident alors d'envoyer une ambassade auprès du prévôt des forains pour dissiper le malentendu et faire revenir ceux-ci à Marselane. Lauric, le forgeron, et le vieil Alban se mettent en route, sans se douter que bien des aventures les attendent en chemin...
"La fête interdite" est un roman d'aventures tendance picaresque, un conte pour adultes, une quête collective (le retour de la fête) mais aussi individuelle (la justice, le pardon, la liberté). Ecrit dans le style de l'époque, le langage est désuet mais savoureux, coloré de fantastique et d'irrationnel, caressé de sensualité. de beaux portraits de femmes (dans une société où elles ne comptaient pas pour grand-chose) et des personnages attachants achèvent de transformer ce texte en un joli roman, faussement simple, rempli de chaleur, de tolérance et de bienveillance.
Je ne sais pas pourquoi c'est ce roman qui est précisément sorti de ma pile à lire au moment du reconfinement, alors que nous sommes contraints de renoncer aux fêtes, mais cela doit vouloir dire quelque chose... "S'il est une évidence qui nous est apparue, c'est que nous ne pouvons vivre sans l'espérance de votre annuel retour [celui des forains et saltimbanques]. Chacun de nous puise en vos tours, costumes et lumières la part d'émerveillable sans quoi son esprit resterait cloué à terre, pareil à celui d'un mulot en son trou. Mon défunt compagnon s'extasiait devant les tréteaux de la femme-léopard. Moi, c'est pour la femme-serpent que battait mon coeur. Et combien de nos enfants ne rêvent-ils pas de devenirs jongleurs ou comédiens? Combien de nos femmes perdraient-elles leur sourire du matin sans avoir écouté les récits de vos diseurs? (...) Longtemps après votre départ et jusqu'aux portes du printemps nouveau, les mélodies de vos musiciens sont fredonnées en nos chaumières. Vous êtes le fleuve qui à chaque automne vient irriguer nos terres appauvries. Nous nous desséchons sans vous et nos racines partent en poussière."
En formidable conteur, André-Marcel Adamek nous enchante avec un bien étrange périple truffé d’aventures, de surprises, de situations périlleuses ou rocambolesques, d’histoires d’amour et de mort, qui n’est pas sans rappeler –dans une certaine mesure- les romans picaresques espagnols du seizième siècle.
Nous voilà embarqués dans les contrées de Marselane, peut-être au dix-septième siècle mais très certainement en octobre. En effet, le dix-sept octobre de chaque année, les villageois ont l’habitude de voir la fête annuelle des forains débuter, la fête de la Saint-Luc, point culminant d’une année de durs labeurs, laissant des images dans la tête et permettant à tous de passer le long hiver à venir. Cette année-là, un événement va bouleverser les traditionnelles festivités. Sadim, le montreur d’ours, est venu en éclaireur mais par le truchement d’incidents malheureux, la fête n’a pas lieu et les saltimbanques décident de jeter une malédiction sur tout le village. Raison pour laquelle, après décision du Conseil, commence l’expédition du vieil Alban et de Lauric le forgeron, mandatés comme sages émissaires afin d’aller à leur rencontre et leur faire recouvrer la raison. Les deux compères partent donc à la recherche de cette communauté extraordinaire, faisant la rencontre d’une multitude de personnages plus truculents, plus farfelus les uns que les autres et qui sont magnifiquement décrits, magnifiquement mis en scène par l’auteur. Ces personnages secondaires -presque irréels parfois- sont pour moi comme une allégorie de l’humanité entière, dans ce qu’elle a de plus beau et de plus misérable.
Oui, ce roman de Marcel-André Adamek –La fête interdite– est un beau conte humaniste, où le langage cocasse se mêle comme par magie à une langue plus poétique, pleine de charme et de surprises et je ne peux que remercier mon amie Cocaminath (qui a partagé quelques ateliers d’écriture l’an dernier) qui m’a fait découvrir un genre littéraire que je lis très peu : elle m’a permis de sortir un peu de mes sentiers battus et de me laisser porter par un univers drôle et émouvant. Moment de lecture très agréable.
(chronique qui vient de mon blog: https://unbouquindanslapocheblog.wordpress.com/2017/03/26/la-fete-interdite-andre-marcel-adamek/)
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