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Il est des ouvrages qui font la une des journaux et des conversations, trônent sur les tables des librairies et qu’il faut "absolument" avoir lus. Et puis il en est d’autres, plus discrets, qu’il faut rechercher, voire commander. C’est le cas du premier roman de Jean d’Albis : "Les quatre saisons du fleuve Amour". C’est bien dommage, je trouve.
Oui, c’est bien dommage car, très beau est ce roman, belle, cette promenade au bord du fleuve Amour, belle aussi cette leçon de sagesse et de tolérance. Nous sommes, en 1980, Brejnev est secrétaire du parti communiste. Et, à l’image du saumon remontant le cours du fleuve, "Il a traversé la mer de Béring puis rejoint la côte de la mer d’Okhotsk, là où, face à l’île de Sakhaline, le fleuve Amour se jette dans le Pacifique.", l’auteur dévide le fil de l’histoire des Russes et des Nivkhes. Les Nivkhes, peuple indigène, vivent en face de l’embouchure du fleuve, sur l’île de Sakhaline. Ils furent sévèrement affectés par la conquête et l'imposition des Russes tsaristes. Nous suivons ainsi deux familles, celle de Lisaveta, à l’ascendance de haute lignée, Dmitri et Nicolaï, douze ans, Russes "vieux-croyants" – une branche séparée de l’église orthodoxe – et celle de Kalinka, Orok, de filiation nivkhe, et Gylyak leur fils. Deux familles, deux origines différentes, deux modes de vie dissemblables et pourtant une bonne entente.
Ce roman est très beau, je l’ai déjà dit, à la fois émouvant, captivant, et plein d’enseignement. J’ai aimé l’écriture, simple, fluide, souvent faite de phrases courtes, de descriptions ciselées, d’anecdotes diverses. J’ai beaucoup aimé les explications précises relatives aux modes de vie de ces deux familles, les précisions sur la porcelaine chinoise, la chasse à l’élan, la pêche à la truite et au saumon. Je pourrais même dire que j’ai fait un beau voyage, car c’est de ça dont il s’agit, un voyage historique dans une contrée inconnue de moi, un voyage érudit aux parfums divers.
Un premier roman original qui nous plonge avec bonheur dans une partie de l’histoire de l’URSS.
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J’ai dégusté ce voyage. Le texte est puissant pour dévoiler la réalité et d’une subtilité rare pour faire voir les mille façons d’avoir une vie emplie de joie, d’érudition et de raffinement sans jamais baisser les armes contre la domination.
La première scène vous fait assister à l’arrivée d’un jeune saumon dans le fleuve Amour, après avoir traversé la mer de Béring, une jolie métaphore de la jeunesse qui se poursuivra jusqu’ à la fin du roman.
C’est Nikolaï, jeune garçon de 12 ans qui fait cette découverte, pour lui un enchantement renouvelé car il est épris de nature et d’un amour particulier pour ce fleuve.
C’est le seul garçon et le dernier des quatre enfants de Dmitri et de Lisaveta.
Du côté maternel, ils sont issus d’une haute lignée et Lisaveta quinquagénaire prend conscience qu’elle est la dernière de celle-ci.
Dmitri lui est le plus jeune des descendants de la lignée des vieux-croyants, groupe qui est séparé de l’Eglise orthodoxe, et par conséquent persécutés et isolés. Sa mère est nivkhe donc animiste, croyance selon laquelle la nature est régie par des esprits analogues à la volonté humaine.
Dmitri travaille dans un musée, il est spécialisé dans l’art de la céramique. Mais ses compétences ne sont pas véritablement utilisées malgré une renommée certaine.
« Son savoir et ses contacts auprès des spécialistes de la poterie « populaire » ont fait de Dmitri un animal intouchable et redouté. Dans une sorte de coalition silencieuse, l’entier ministère de la Culture s’est ligué pour ne jamais lui permettre de gravir les échelons d’une hiérarchie réservée à la cooptation et à l’entregent du tout-puissant syndicat des ratés. Le plus redoutable d’efficacité. »
Dans leur vie quotidienne les femmes sont accaparées par la représentation sociale de la famille.
Les tâches ménagères sont dévolues aux hommes.
L’auteur nous régale de mille détails savoureux avec beaucoup d’humour.
De l’autre côté il y la famille de Gyliak, le cousin de Nicolaï, son père est un géant Orok, grand chasseur et pêcheur selon les traditions, celles du respect de la nature, on chasse et pêche pour se nourrir et se vêtir. La mère Kalinka est rédactrice du journal local et elle rêve d’ailleurs à travers les contes qu’elle va écouter, son rêve devenir conteuse à son tour.
Le lecteur va partager au fil du récit de ses vies les coutumes des uns les us des autres, si différents et pourtant si complémentaires. Il y a respect et affection entre eux.
Pour les jeunes comme Nicolaï et Gyliak, le passé a peu d’importance, ils n’ont pas l’impression d’avoir perdu un pan de leur histoire, car pour eux tout est découverte et aventure.
« Gyliak montre une grande curiosité pour de nombreux sujets : musique, littérature, histoire, géographie, et évidemment pour tout ce qui touche à la nature, aux animaux, à la chasse, à la pêche et plus généralement à l’aventure. »
J’ai fait un très beau voyage dans cet Extrême-Orient russe avec ces familles très attachantes et passionnantes.
Ils nous sont proches par leur humanité, leur culture et cette façon de faire face à l’adversité et de trouver des trésors de vie, d’être dans l’union quelles que soient les différences. Voir de la richesse en toute chose.
En refermant ce livre je me suis dit que j’aimerais connaître la vie adulte de Nicolaï et Gyliak qui est juste effleurée…
La question du passé répondra-t-elle encore à cela :
« Les garçons ne cherchent pas à imaginer la manière dont les occupants vivaient là il y a presque cent ans. Ils ignorent superbement ce monde de grandes personnes, engoncées du matin au soir dans des tenues inconfortables.
Pour tout l’or du monde, ils n’auraient échangé leur vie et leur monde contre une existence de conventions et de raideurs. »
L’auteur nous embarque dans ces contrées avec une écriture qui sait se couler dans les scènes décrites avec un vocabulaire adéquate, il ne cède jamais à la facilité et cela fait que le lecteur est un hôte privilégié, accueilli avec toute la convivialité qui lui permet de faire une échappée belle.
Une histoire qui montre combien culture et nature ne sont pas antinomiques, écoutons la sagesse de Confucius :
« Nature qui l’emporte sur culture est frustrée, culture qui l’emporte sur nature est pédante. Seule leur combinaison harmonieuse donne l’homme de bien. »
Merci aux éditions Vibration pour cette découverte et à Jean d’Albis pour ce voyage érudit aux mille saveurs.
©Chantal Lafon
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