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Frédéric Beigbeder "J’ai totalement changé de vie après ce livre"

Frédéric Beigbeder "J’ai totalement changé de vie après ce livre"

Frédéric Beigbeder frappe fort avec son nouveau roman, Une vie sans fin. Immortalité, peur de vieillir, quête de sens, perte des utopies... Beigbeder a changé et nous explique pourquoi.

 

- On ne vous attendait pas sur les questions de transhumanisme, d’immortalité. Comment pitcheriez-vous votre roman ?

C’est l’histoire d’un animateur télé, éphémèrement célèbre, qui veut devenir un surhomme. Il ne se rend pas compte qu’il est en fait en quête de sens. Il va traverser  le monde pour essayer plusieurs techniques. Sa fille de dix ans l’accompagne car il est divorcé et profite des vacances pour passer du temps avec elle. Trois choses vont le transformer : l’amour, Dieu, la littérature. Le livre est le récit d’une vie, en quelque sorte. Il finira par s’apercevoir qu’il est déjà un surhomme. Parce qu’un super-héros est quelqu’un qui s’occupe de quelqu’un d’autre. Ce que font les parents. Et là je viens de vous résumer le livre et vous n’avez plus envie de le lire !

- Qu’est-ce qui vous a fait basculer dans ce sujet a priori peu grand public ?

Comme toujours, la curiosité et la colère. La curiosité de découvrir dans un article de journal que Laurent Alexandre promet que l’homme vivra jusqu’à 350 ans. L’étonnement de constater que personne ne va voir les biologistes pour comprendre concrètement si cela ressort du fantasme ou de la réalité. La colère est un autre aspect. C’est a posteriori que je m’aperçois que j’écris pour me débarrasser de quelque chose, pour me venger, me soulager. C’est ce que je fais quand je décide de tout balancer sur le monde de la publicité avec 99 francs. Même mouvement de colère après le 11 septembre, ce choc incompréhensible dont je parle dans Windows on the world. Ici, dans Une vie sans fin, c’est le basculement dans un nouveau monde numérique qui m ‘inquiète et me révolte. 


La déshumanisation du monde en cours me choque. On se prépare une vie épouvantable avec des outils technologiques épouvantables. Ce qu’on vit actuellement, avec les réseaux sociaux, la numérisation à tout va, n’est encore rien par rapport au moment où les choses sérieuses vont véritablement commencer. C’est à dire au moment où l’on va modifier nos corps. Le rajeunissement des cellules, les transfusions de sang jeune, l’eugénisme : voilà quelques-unes des pistes que je donne dans mon roman, mais jusqu’où ira-t-on ?

- Comment avez-vous préparé ce roman ?

J’ai commencé sans savoir tout d’abord si je préparais un article, un essai ou un roman. J’ai rencontré les plus grands chercheurs dans ces domaines, ils ont accepté de me parler. Ils m’ont fait confiance, ils ont eu tort, j’ai tout dit ! J’avais envie d’écrire un roman imaginaire, truffé de choses vraies mais irréelles comme l’impression d’organes en 3D, les greffes de porcs modifiés, le virus du Sida utilisé pour vaincre le cancer, etc.

- Une vie sans fin se présente sous une forme inédite en France, avec une couverture cartonnée épaisse. Faut-il des livres plus solides pour nous accompagner dans la vie éternelle ?

C’est ce qu’on appelle une « hardcover », et c’est effectivement une première en France. J’ai beaucoup insisté auprès de mon éditeur. Je suis lassé de voir publier des livres fragiles et pas très beaux. Contrairement aux livres qu’on publie au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, qu’on a vraiment envie de mettre en valeur sur une étagère.

On dit que les gens ne lisent plus mais les livres sont vendus très chers et pour un prix qui va de 17 à 25 euros en moyenne pour un roman, on n’a même pas un bel objet.

 

- Votre héros teste la lasérisation du sang, rencontre un célèbre docteur en virologie André Choulika, un spécialiste de l’intelligence artificielle Laurent Alexandre, pour finir par George Church, le patron du département de biologie prospective à Harvard. Vous les avez rencontrés. Que vous ont-ils apportés ?

Oui et ils étaient d’accord pour paraître sous leurs noms. Ce sont des gens passionnants. Ils découvrent de tels continents inexplorés qu’ils ont envie de partager. Chacune de ces découvertes donne de la matière à cent romans ! Je me suis servi de leurs explications, de cas réels, pour écrire ce roman et non pour faire peur, mais pour ouvrir le débat.

J’ai découvert qu’ils ont tous une passion pour la SF, mais pas seulement : les industriels et les scientifiques ne sont pas seulement influencés par les grands mythes scientifiques, mais aussi par la BD, les super héros, Marvel ou Jurassik Park. Elon Musk se vit en héros de cinéma. Je ne suis pas sûr qu’ils aient lu Asimov ou Wells


- Cette tentation de fabriquer un « post » ou « sur » humain ressort-elle de la volonté de toute-puissance, ou est-ce une façon de recréer de l’utopie, de l’idéal, dans un monde qui en manque tant ?

Ma génération, celle des quadras-quinquas, est la première à vivre la fin des utopies. J’avais 3 ans en 68, mes parents se séparent quand j’en ai 7, le mur de Berlin tombe quand j’ai 20 ans, le capitalisme est attaqué en 2001. Ma génération a placé les utopies dans la consommation, le luxe, la beauté, la mode : c’est l’ « homo festivus », la nuit, les drogues. Elle s’aperçoit qu’elle ne va pas réussir à vivre sans idéal. Je suis convaincu que sans utopie, sans un idéal, il est impossible d’être heureux.  Alors ça fabrique des paumés qui partent faire le Djihad.

- D’où le retour du religieux ?

Je dirais qu’il y a une vraie crise de l’athéisme. Le 21e siècle aura du mal à être athée, et même à être laïque. Les gens font du yoga, Michel Houellebecq est allé voir la Vierge de Rocamadour…

- Et vous ?

Je suis catholique dans le sens où j’ai été élevé dans cette religion. Je ne sais pas où j’en suis aujourd’hui à cet égard, mais il me semble que je n'échapperai pas à la question de la foi. Je suis nostalgique de Dieu, de mon enfance où les choses étaient simples, organisées. J’aime bien aussi que Jésus n’ait pas dit trop de bêtises. Il y a des phrases d’une force terrible dans les Evangiles.

- Faisons le bilan de ce road book à la poursuite de l’immortalité : êtes vous tenté ?

Pas à n’importe quel prix en tout cas ! Sur les huit pistes suivies par ce héros qui me ressemble, les thérapies géniques me semblent une possibilité sérieuse, mais ce qui me paraît le plus intéressant, c’est les cellules souches pluripotentes induites (IPS ) mises au point par le scientifique Shynia Yamanaka. Cette technique lui a valu le prix Nobel de médecine en 2012.

- Il y a chez vous une peur de vieillir qui vous poursuit de livre en livre. Avez-vous fait la paix avec cela après l’écriture de ce roman ?

Je ne sais pas si c’est la morale de ce livre, mais j’ai totalement changé de vie après l’avoir écrit. J’ai démissionné de Lui, je vis au Pays basque, je regarde ma petite fille gambader dans le jardin, j’ai pris un chien. J’écris, je suis heureux avec ma femme, en famille, dans un rythme de vie très différent. J’ai l’impression d’avoir vécu dans un trou noir pendant de nombreuses années. Maintenant je vis dans le monde des bisounours.

 

A lire également, notre chronique complète du dernier Beigbeder, "Une vie sans fin"

 

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