Souvenez-vous, il y a quelques mois, nous vous proposions de participer à une expérience d’autobiographie collective avec Mathieu Simonet qui a mis à votre disposition 50 carnets récupérés après la Nuit Blanche 2014.
Vous avez été nombreux à partager un texte sur votre adolescence. Un grand merci à tous pour votre participation !
Mathieu Simonet a reçu et lu l’ensemble de vos textes. Cinq ont été retenus et ont fait l’objet d’une lecture musicale le mardi 23 juin à Paris dans l’extraordinaire Musée des moulages de l’hôpital de Saint-Louis.
Cette semaine, chaque jour, nous vous proposons de découvrir à votre tour l’un de ces cinq textes publié anonymement.
Carnet 4 :
Putain ! Qu'est-ce que j'ai fait de mon adolescence !
Qu'est-ce que j'étais à l'adolescence ?
Et puis c'est quoi l'adolescence ?
Ça a été plus fort que moi : j'ai regardé sur Wikipédia ce qu'ils en disaient. L'adolescence c'est entre 12 et 17 ans. Qu'est-ce que j'ai fait entre 12 et 17 ans ?
Je me souviens du collège, du lycée, des copains qui s'appelaient David, Olivier, Franck. Je me souviens des émois amoureux, des filles que je n'osais pas approcher parce que trop belles mais finalement tout aussi boutonneuses que moi. Je me souviens des larmes qui coulaient quand mes frères, beaucoup trop taquins à mon goût, se moquaient de moi. Ces larmes je les retenais, je serrais les poings et j'allais libérer mes sanglots une fois enfermé dans ma chambre. De rage, je tapais contre les murs. Je me souviens de la découverte de mon corps, de ma première masturbation, un soir de printemps. Je me demandais ce qui m'arrivait et je me disais que ça devait être vachement bien de faire l'amour avec une femme. Je me souviens des cours, des professeurs. Je me souviens des camarades avec qui j'allais à la piscine, au cinéma. On prenait notre mobylette pour aller à la ville. Sept kilomètres en pétrolette et on avait l'impression de monter à la capitale, une mégapole de dix mille habitants. Je me souviens de mon père qui, sans complexe et presque innocemment, m'emmenait déjeuner avec sa maîtresse quand ma mère n'était pas là. A l'époque je ne comprenais pas tout. Ce n'est que bien plus tard que j'ai compris que je refusais de comprendre. Je me souviens des posters de voiture sur les murs de ma chambre, jusqu'au plafond. Je rêvais de vitesse, de bruit, de fureur. Et puis la musique, toujours la musique, Dire Straits, Police, Paul Simon et tous les autres. Je me souviens des boums, tous enfermés dans un garage, avec des lampes rouges, vertes, bleues accrochées au plafond. Personne n'osait danser de peur d'être ridicule. En fait, nous étions ridicules à ne pas bouger et à attendre. Je me souviens de tout cela, une sorte de mal-être dû au complexe du homard comme disait Dolto. Je n'étais plus un enfant et pourtant j'étais loin d'être un adulte. La mue était en cours. Et avec tout ce fatras, comment ai-je fait pour me construire ? L'adolescent que j'étais m'a-t-il aidé à devenir l'adulte que je suis ? Et puis, d'un seul coup apparaît le visage de Daniela.
J'avais 16 ans et j'étais parti dans une colonie pour ados encadrée par des religieux à Montichiari en Italie, près du Lac de Garde. Trois semaines avec les copains. Nous logions dans un vieux bâtiment qui avait servi de quartier général à Garibaldi. C'était écrit sur la façade de cette vieille demeure située dans le centre de cette petite ville lombarde.
Derrière cette demeure, il y un grand parc où nous avions planté nos tentes, où nous jouions au volley-ball. Il faisait beau, nous étions en vacances. De temps en temps, on nous laissait sortir en ville. C'est là qu'avec quelques copains on a croisé une bande de filles de nos âges. Parmi elles, il y avait Daniela. Elle était discrète, certainement la moins volubile. Cela ne m'a pas empêché de la remarquer et de lui sourire.
Elle aussi m'a souri. Et puis, on s'est parlé. Et à chaque fois que je pouvais aller en ville, j'allais la retrouver. Elle ne disait pas grand-chose mais tout ce qu'elle me disait était doux. Cela me suffisait pour être heureux. On faisait du vélo ensemble. Elle me confiait le sien et elle s'asseyait sur le porte-bagages. Elle me guidait à travers les rues de la ville. On faisait cela juste pour être ensemble. J'étais heureux, j'étais bien.
Le jour du départ, elle est venue me dire au-revoir, avant que le car ne nous ramène vers le nord de la France. On s'est échangé nos adresses et je lui ai promis que je reviendrai.
J'ai tenu ma promesse, deux ans plus tard. Entre-temps, elle m'avait oublié et nous avions cessé de correspondre. Mais j'ai tenu ma promesse. Je suis revenu en Italie avec un sac à dos, avec l'argent que j'avais gagné en travaillant. J'ai visité plusieurs villes de la péninsule. Daniela n'était devenue qu'un prétexte car j'étais finalement venu pour voyager. Rien que pour voyager.
Depuis, ce besoin quasi-vital de voyager ne m'a plus quitté. C'est presque devenu une raison de vivre. Et c'est seulement maintenant, à quarante-quatre ans, que je comprends que l'homme que je suis aujourd'hui s'est forgé à ce moment clé de mon existence. Je ne sais pas ce que Daniela est devenue mais je lui dois cela.