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Emilie Frèche, lauréate du Prix Orange du Livre 2013 pour son roman "Deux étrangers"

Emilie Frèche, lauréate du Prix Orange du Livre 2013 pour son roman "Deux étrangers"

 

Ca y est, le nom du lauréat de la cinquième édition est connu, le jury et les internautes ont élu Emilie Frèche pour son roman Deux étrangers (Actes sud). 

 

La remise du Prix Orange du Livre a eu lieu mardi 11 juin à Paris.

 

 

 

 


Deux étrangers, aborde finement les thèmes de l'identité, de la transmission familiale; sujets récurrents chez Emilie Frèche.
Avec humour et ironie, elle évoque les retrouvailles impossibles entre Elise et son père, dont les relations étaient rompues depuis sept ans. En route pour Marrakech, Elise, partie pour le rejoindre au volant d'une vieille R5, va vivre un véritable road trip. Bilan lucide et féroce d'une relation filiale chaotique mais néanmoins essentielle, ce roman sans concessions révèle un grand talent de romancière.

En 2011, Chouquette, faisait déjà partie de la sélection du Prix Orange du Livre mais c'est cette année, avec son neuvième roman, qu'elle devient aujourd'hui lauréate.

Romancière et scénariste, Emilie Frèche lance en 2010 avec Laure Gomez Montoya, Les Editions du Moteur dont l'objectif est de proposer à des écrivains de rédiger des histoires courtes afin de les adapter au cinéma.

Portrait d'Emilie Frèche

 

Extrait de Deux étrangers :

"Mon père se comparait très souvent à François Mitterrand. Il n'avait pas d'admiration particulière pour cet homme de gauche, mais une fascination absolue pour le pouvoir et le président en était l'incarnation suprême. Comme lui, il portait donc une écharpe rouge, collectionnait les maîtresses, avait son rond de serviette Chez Lulu, lisait Le Prince de Machiavel et possédait un labrador prénommé Adriatique en tout point semblable à Baltique, la célèbre chienne du chef de l'État. Il n'y avait qu'avec cette bête que mon père était vraiment gentil. Et d'humeur toujours égale. Mon père adorait, vénérait sa chienne. Chaque soir, il répétait le numéro qu'un dresseur lui avait appris, cououououou-ché, deeeeee-bout, laaaaa patte, donne la patte, allez, donne la patte, donne la patte à papa, qui c'est la fi-fille adorée à son papa ? La chienne mettait alors sa patte dans la main de mon père, elle se roulait sur elle-même puis se redressait sur son postérieur tel un animal de foire, et elle gagnait le droit de venir lécher le visage de son maître avec sa langue bien baveuse, c'était la récompense suprême.

J'ai longtemps considéré la relation névrotique que mon père entretenait avec cet animal comme la preuve tangible de sa folie. Et puis en grandissant, je me suis rendu compte que la plupart des gens qui possédaient des chiens étaient comme lui. Ces gens-là pouvaient insulter leur femme, maltraiter leurs gosses, se comporter comme des porcs avec leurs amis, ils restaient avec leurs chiens des personnes absolument délicieuses. Parce que les chiens ont cette qualité unique d'être à la fois serviles et aimants. Il suffit de savoir les dresser. S'ils sont bien dressés, les chiens obéissent au doigt et à l'oeil. Ils acceptent les brimades, les privations, le mépris. Certains enfants aussi, seulement les enfants, quand ils deviennent grands, vous en veulent et vous quittent - pas les chiens. Les chiens restent. Jusqu'à la fin. Parce que les chiens n'éprouvent pas de rancoeur. Parce qu'ils ne connaissent pas la honte. Vous les insultez et cinq minutes après ils sont de nouveau là, blottis à vos pieds, en train de vous lécher la paume des mains... N'est-ce pas excitant ? Quand on possède un chien, il est impossible de ne pas abuser de son pouvoir. Cela réclame trop d'efforts. Trop d'humanité. Depuis que j'ai compris cela, je me suis toujours méfiée des gens qui avaient des chiens. Jamais par exemple je n'aurais pu avoir une histoire avec un homme qui aurait eu un caniche, ou même un tout petit chihuahua. 
Non, je n'aurais pas pu.

Simon, lui, avait un chat lorsque nous nous sommes rencontrés. Un petit chat gris un peu craintif qui s'appelait Woody. Ce chat-là détestait qu'on le caresse, il n'écoutait rien de ce qu'on lui racontait et pouvait disparaître plusieurs jours sans donner signe de vie. C'était un chat qui avait peur de tout. Très angoissé, neurasthénique même, et puis égoïste au plus haut point. En fait, c'était un chat qui ne servait à rien, mais Simon l'aimait. Oui, Simon aimait ce con de chat sans rien attendre en retour, comme on devrait tous être capables d'aimer, et je crois qu'au fond, c'est aussi cela chez lui qui m'a séduite. S'il avait aimé un chien à la place de ce chat, les choses auraient été différentes ; s'il avait aimé un chien, je suis certaine que nous n'aurions pas eu d'enfants ensemble."

© Actes Sud

Photo : © CarolineDoutre/Abacapress

 

 

 

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