Le Club des Explorateurs permet à deux lecteurs de lire un même titre que nous avons sélectionné pour eux et de confronter ainsi leur point de vue.
Cette semaine, Colette LORBAT et Delphine de Du calme Lucette, ont lu Baby Spot d’Isabel Alba, éditions La Contre Allée.
Résumé : Tomás, un garçon de douze ans, vit dans une banlieue de Madrid. Un soir d'août, son ami Lucas est retrouvé pendu à une poutre, sur un chantier abandonné. Tomás se met alors à écrire. Son récit prend l'apparence d'un roman noir.
L’avis de Colette :
Tomás, vit dans une banlieue pourrie de Madrid, zone avec ses potes dans un immeuble en construction, abandonné suite à la faillite ou les malversations des promoteurs. Les familles sont disloquées, les femmes souvent battues, les hommes ivres, au chômage, les plus grands trafiquent avec le flic qui habite le quartier. Tout est pourri de ce côté-ci du périph.
Personne pour leur indiquer la route, les aider à discerner le bien du mal, à grandir du bon côté de la corde raide sur laquelle ils marchent. Seul Lucas a la chance d’avoir une mère qui l’élève, suit son travail scolaire, l’aime, bref une mère normale.
L’été, lorsque les autres vont au bord de la mer, les gamins restent là à s’ennuyer, à s’inventer des jeux. Tomás, Martin et, surtout le Zurdo que le gosse admire «Ce que je voulais, moi, c’était ressembler au Zurdo, un mec dur ». Oui, mais c’était avant, « avant qu'il se fasse embarquer… à cause de la nuit où il s’est fait coffrer et de ce qui est arrivé à Lucas ».
Lucas est leur souffre-douleur, pourtant, il les suit partout, en mal de copains, de leur « normalité ». C’est peut-être cela la cause de sa mort.
Tomás n’a plus les idées claires depuis que Lucas a été retrouvé pendu dans l’immeuble en construction. « J’ai pas les idées claires et c’est pour ça que maintenant j’ai vraiment envie de me mettre à écrire ; même si c’est ridicule et que ça sert peut-être à rien, mais autrement e ne vois pas comment je vais arriver à faire sortir tout ce que j’ai dans le crâne. Moi, je pense que sur le papier, si j’arrive à tout écrire sur des lignes bien droites, une chose après l’autre et sans faire de ratures, j’y verrai plus clair. »
Un jour, leur quotidien bascule. Lucas est retrouvé pendu. Le Zurdo, frère de Martin, est arrêté par le flic pourri, accusé d’avoir tué Lucas et de l’avoir pendu pour faire croire à un suicide. C’est pour cela que Tomas veut, doit parler, raconter ce qu’il a vu, ce qu’il vit, ce avec quoi il devra vivre. J’ai suivi, mot après mot, page après page, sa prise de conscience.
Il raconte, un long monologue, une logorrhée sans trop de style. Tout sort, sa vie d’avant avec sa petite sœur Diana (en hommage à la princesse tuée sous le pont de l’Alma) qu’il aime tant, sa mère, caissière dans un bureau de tabacs, dépressive, battue. Les filles, qui comme dit Germān « ce sont toutes des salopes et elles aiment ça autant que nous », la promiscuité. Il y a ce jeu débile où, sur le pont enjambant l’autoroute, ils visent les voitures comme au flipper, ou dans un jeu vidéo. La réalité « vraie » n’est plus la leur, les barrières de la civilité, de la civilisation basculent, l’esprit de gang prend le dessus.
Ce livre, Baby spot, une fois ouvert, je n’ai pu le lâcher, même après le point final. J’étais là, dans le noir, les yeux grands ouverts, choquée, KO debout. Les phrases chocs s’entrechoquent en moi. « Tout a commencé à être beaucoup plus fascinant que de provoquer des accidents sur le périph. » La cruauté et l’innocence jouent au ping-pong.
Superbe
J’ai eu le plaisir de lire ce livre dans le cadre su club des Explorateurs initié par Lecteurs.com. Je les remercie pour cette lecture coup de poing
© Colette LORBAT
Vous pouvez suivre Colette sur son blog ZAZY - mon blogue de lecture
L’avis de Delphine :
C'est ce que l'on appelle un roman percutant. Tu sais, quand tu lis les dernières lignes bouche bée, quand tu fermes le livre un peu secoué(e).
Baby Spot, c'est l'histoire d'un gamin qui vit en banlieue de Madrid et qui, tel un funambule, avance sur la ligne qui sépare le Bien du Mal. Il trébuche, il se reprend, et l'on ne sait pas de quel côté il finira.
Élevé par sa mère, qui a été quittée lorsqu'elle est tombée enceinte, et par son beau-père qui les cogne, Tomás grandit comme il le peut et côtoie des voyous. Mais quand Lucas, le plus sage de ses amis, est retrouvé pendu à une poutre d'un chantier abandonné, la jeune vie de Tomás bascule. Il raconte, écrit et tente de dénouer ce qu'il s'est passé ce jour-là. L'écriture est rapide, rythmée et familière, elle dévoile dans l'urgence une situation qu'il faut à tout prix démêler. Tomás veut comprendre, veut nous faire comprendre. Il écrit pour décrire la situation et son entourage. Par là-même, ses pensées mélangées et troubles s'entrecroisent, se perdent, se couchent vite sur le papier, comme pour que lui-même se rende compte d'une réalité bien difficile à accepter.
Se dévoilent alors des enfances troublées, des personnages-bandits - comme le terrible Zurdo qui est arrêté ce jour-là-, mais aussi des naïvetés qui se font la malle.
"Et donc, quand on passe près du chantier et que Martín donne des coups de pied dans les canettes ou qu'il se met à parler sans pouvoir s'arrêter, moi, je ressens une angoisse terrible et les images me reviennent en tête - et je n'aime pas du tout qu'elles reviennent, parce qu'elles restent là-dedans, dans mon crâne, même si j'ouvre de grands yeux et que j'essaie de penser à autre chose - ; c'est que, sans le vouloir, je vois Lucas dans sa caisse, et je pense qu'il doit se sentir bien seul là, tout en bas, surtout qu'il y fait noir, et lui c'était un sacré trouillard. Alors j'ai un nœud dans la gorge, et on dirait que je m'étouffe, et je sens que je vais claquer moi aussi, comme Lucas."
À cheval entre la réalité et la fiction, Tomás traverse les événements comme dans un film, mais parfois ses souvenirs le ramènent brusquement dans sa vie réelle. Difficile de faire le tri dans son esprit quand l'on a douze ans...
Le fil de l'intrigue se tend et nous bouscule, nous les spectateurs, les lecteurs, et tout cela ne nous laisse pas indifférents. Le récit nous abandonne à bout de souffle. Il percute et nous envoie face à un dénouement qui nous laisse pantois.
L'enfance et son insouciance prennent définitivement fin dans cette banlieue madrilène et laissent place à une dure réalité à laquelle Tomás va devoir se confronter.
"Avec les films c'est plus facile, parce que quand les images t'envahissent et que t'arrives pas à les effacer, tu peux te consoler en te disant que, comme dans les cauchemars, tout est faux, que rien de ce que tu vois dans ta tête n'est vrai et que bientôt tout va disparaître pour toujours. Mais ce qui est arrivé au Zurdo, et aussi à Lucas, je sais que c'est arrivé pour de vrai, voilà pourquoi ça ne sort jamais complètement de ma tête. C'est pour ça que je veux écrire, pour voir si j'arrive à faire sortir toute cette histoire et à la laisser pour toujours sur le papier."
© Delphine de Du calme Lucette
Vous pouvez suivre Delphine sur son blog Du calme Lucette
Merci encore pour cette belle découverte !
Je vois que nos avis se rejoignent avec Colette :)