Dans Fabrication de la guerre civile (Seuil), Charles Robinson revient à la Cité des Pigeonniers à qui il consacrait un roman, Dans les cités en 2011, pour s’attacher aux trajectoire d’une dizaine d’habitants, jeunes et moins jeunes, mais tous enserrés dans des vies chaotiques sinon désespérées.
Derrière les portes des Pigeonniers
Les Pigeonniers vont être détruits, il va falloir reloger les 322 foyers qui y vivent depuis toujours pour la plupart, comme GTA, veilleur de nuit, dont le couple qu’il forme avec Begum se disloque, mais aussi Popie qui attend un enfant, Bambi, Schumi, Big Big, Saï entre tous les autres. Les autorités administratives, Godzilla le bailleur comme Angela, la chargée de mission, planchent sur le casse-tête. La violence semble monter de l’inertie de ces vies coincées entre petits boulots plus ou moins estimables, et bascule dans les trafics : pendant que la jeune Begum succombe à l’enfer de la drogue, le jeune Bambi, lui, élabore une lente maturation qui fera de lui un psychopathe. Le cataclysme est à un souffle de l’histoire, qui brusquement virera à un chaos moins retentissant que vain, sombrement réaliste en fait.
La violence d’après la révolte
L’indifférence des uns pour les autres apparaît comme la conclusion d’un processus inéluctable : « Quelqu’un passe près du trio. Quelqu’un qui, les premières années, s’est efforcé de rester humain dans le RER. Voir les gens. Conversation. Un jour, il a pris dans des bras un jeune homme qui pleurait. Et puis il a cédé, comme les autres. Et il a compris leur air de défaite quotidienne : c’était la sienne ». Il faut encore un soupçon d’espoir pour se révolter, la communauté des Pigeonniers n’a plus d’illusion mais un attachement ultime à ce lieu qu’elle a façonné à son image et que les autorités publiques entendent détruire, parlant désormais d’ « écosystème » plutôt de quartier, avec la conviction que les mots nouveaux désigneront des réalités différentes.
On ne dévoilera pas les évènements qui maillent l’histoire de ces habitants, hétérogènes et soudés à la fois. Il y a plus de 600 pages d’une immersion ensorcelante, qui doit beaucoup à la langue de l’écrivain. Charles Robinson, qui apparaît de temps en temps dans cette fresque balzacienne trash, dessine sans émotion mais avec une acuité étourdissante, un écosystème humain au bord d’une faillite. Le roman est spectaculaire, brillant, d’une profondeur politique saisissante.
Et parce qu’il nous a semblé que cet auteur allait rapidement devenir un incontournable de sa génération, nous lui avons posé quelques questions.
Karine Papillaud
Retrouvez ce qu'on dit de "Fabrication de la guerre civile" dans notre revue de presse #1
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