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Il y a quelques années, la mère de Didier Eribon est entrée en maison de retraite. Après plusieurs mois au cours desquels elle a peu à peu perdu son autonomie physique et cognitive, Didier Eribon et ses frères ont dû se résoudre à l'installer, malgré ses réticences, dans un établissement médicalisé. Mais le choc de l'entrée en maison de retraite fut trop brutal et, quelques semaines seulement après son arrivée, elle y est décédée. Après la mort de sa mère, Didier Eribon reprend le travail d'exploration personnelle et théorique qu'il avait entrepris dans Retour à Reims après la mort de son père. Il analyse le déclin de sa mère, ce qui l'amène à réfléchir sur la vieillesse et la maladie, sur nos rapports aux personnes âgées et à la mort, mais aussi sur l'expérience du vieillissement. Il s'interroge également sur les conditions de l'accueil des personnes dépendantes. Il montre que si l'expérience du vieillissement nous est très difficile à penser, c'est parce qu'il s'agit d'une expérience-limite dans la philosophie occidentale, dont l'ensemble des concepts semblent se fonder sur une exclusion de la vieillesse. Eribon reparcourt également la vie de sa mère, et notamment les périodes où elle était femme de ménage, ouvrière puis retraitée, la saisissant dans toute sa complexité, de sa participation aux grèves à son racisme obsessionnel. Il conclut sa démarche en faisant de la vieillesse le point d'appui d'une réflexion sur la politique : comment pourraient se mobiliser des personnes qui n'ont plus de mobilité ni de capacité à prendre la parole et donc à dire «nous» ? Les personnes âgées peuvent-elles parler si personne ne parle pour elles, pour faire entendre leur voix ?
Tu verras, tu seras bien
La voix d’Irène Jacob accompagne à la perfection ce récit de vie et de mort d’une femme ordinaire, elle retransmet les émotions sans créer un pathos qui n’existe pas dans le texte.
Ordinaire dans le sens d’une vie faite de contraintes, de labeur, sans émancipation, sans loisirs réels, ceux que l’on peut s’offrir quand on a d’autres conditions de vie.
C’est le récit de la violence ordinaire faite aux femmes ordinaires.
De la naissance à la mort, pour cette femme le choix n’existe pas, il n’y a qu’un quotidien sans horizon. C’est ainsi.
C’est aussi l’analyse de notre société qui n’intègre pas la vieillesse dans son cycle de vie, elle est mise à l’écart, comme tout ce qui gêne une mise au ban…
Les familles ne la prennent plu’est ls en charge dans nos sociétés dites modernes, c’est un passage, le dernier, qui est confié à la collectivité en payant.
C’est le regard lucide du fils posé sur la mère, le regard de celui qui s’est éloigné des propos racistes et homophobes de sa mère, le fils transfuge de classe.
L’analyse est implacable même si elle cohabite avec une grande sensibilité, celle qui pressent que la mère disparue, il ne sera plus un fils.
Père et mère ont formé un couple de deux personnes qui sa supportent plus qu’elles ne s’aiment, un sorte de compromis à la solitude. Pourtant celle-ci est plus prégnante de cette façon.
Avec la vieillesse et la perte d’autonomie vient le temps du retour, il n’oublie pas la douleur des propos mais depuis ces années il s’est construit.
L’entrée en Ehpad, c’est prendre une décision à la place de, la difficulté de trouver un établissement qui a une place, la paperasse qu’il faut noircir pour avoir le sésame.
Sésame qui n’est autre que la mort de quelqu’un.
Il démontre comment après une vie de contraintes, cette femme, sa mère, devrait mobiliser ses dernières forces au seul usage de survivre en un lieu étranger avec des étrangers pour aider aux gestes quotidiens.
Alors il y a l’évitement, le glissement vers la fin de vie quand on ne veut plus ; cette partie est d’une grande justesse.
Avant et pendant il y a toutes les phrases prononcées comme un baume sur une jambe de bois, qui ne rassurent en rien l’intéressée, qui semble amoindrir la réalité pour celui qui les prononce.
C’est un jeu de dupes qui semble indispensable au bon ordre social.
Cette analyse est finement accompagnée de références littéraires et autres.
Ce récit intime est pourtant collectif et concerne une majorité silencieuse.
C’est une réflexion salutaire sur le déni persistant de notre société lorsqu’il s’agit d’aborder la fin de vie. Nous voyons bien que de gouvernement en gouvernement, de tous bords, ces problèmes sont aux mains de ceux qui savent « que vous soyez puissant ou misérables », cela fera la différence.
L’ultime récit d’un fils.
Merci Babelio et Audiolib pour la qualité de cette lecture.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2024/07/30/vie-vieillesse-et-mort-dune-femme-du-peuple/
C'est l'histoire d'une femme précaire, de sa vie épuisante de travail en usine ou de ménages, payée au rabais, de sa vieillesse, de son placement en maison de retraite, de sa mort, lassée de vivre encore, sans repère, sans amour. de ce qu'elle aurait pu être, de ce qu'elle a été.
Narrée et décortiquée par son fils, le sociologue Didier Eribon, elle nous apparaît dans toute son humanité - navrante par certains aspects, fragile, amoureuse et fofolle, effrayante quelquefois, touchante souvent.
La vieillesse est tue, elle est cachée, pas assez étudiée. Eribon nous donne beaucoup de pistes, de lectures, pour y remédier, pour creuser encore plus son propos déjà hyper interessant.
Didier Eribon aborde également les Ephads, les maisons de retraites, les maltraitances - souvent dûes à des manquements financiers ou de personnels - que les personnes âgées subissent.
Etant la fille d'une vieille femme, pas toujours simple à vivre, j'ai pu prendre conscience de beaucoup de choses, des angoisses qu'elle peut taire - consciemment ou pas.
Je me souviens d'un bout de lecture dans le métro ou mon émotion est montée en flèche, je suis arrivée chez elle, me disant que horrible ou pas, je la prendrais dans mes bras pour lui montrer à quel point je l'aime (même si elle me rend dingue ;) ).
Un essai en retenue, en douceur, en justesse.
On peut lire ce témoignage comme une prolongation de « retour à Reims », puisqu’on y retrouve sa mère qui ayant perdu son autonomie est placée dans un ehpad et dont l’auteur va compléter l’histoire. Le déchirement que provoque cette situation, pour la mère et les enfants est particulièrement bien décrit ainsi que le cheminement de la vie d’une femme du peuple qui aura cumulé et surmonté de nombreuses embûches. A partir de ce cas particulier, particulièrement significatif, Didier Eribon nous propose une réflexion approfondie sur la vieillesse en s’appuyant sur de nombreuses références littéraires et philosophiques, parfois difficiles à suivre pour un lecteur peu averti. L’ensemble constitue néanmoins une analyse remarquable sur le sujet.
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