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Laurence, Diane.
Diane, Laurence.
Deux destins, deux vies tellement différents et tellement proches, c’est ce que nous raconte Laurence Tardieu dans ce texte magnifique et bouleversant.
Laurence Tardieu, va mal depuis quelques mois avec l’impression que sa vie lui échappe.
« Depuis des mois, je me sentais enserrée dans un effroi et une souffrance intenses que je ne parvenais à dire à personne. J’essayais de me tenir à tout ce qui tenait, mais rien ne tenait, plus rien ne tenait. Tout s’effritait sous mes doigts »
Pour tromper son ennui et son mal-être, un dimanche après-midi, Laurence va marcher dans le Jardin des Tuileries. Ses pas la mènent au Musée du Jeu de Paume où se tient une exposition des clichés de la célèbre photographe américaine, Diane Airbus.
Dans la première salle du musée, Laurence est interpellée par le réalisme des photos, mais c’est en lisant la biographie de l’artiste, qu’elle a la certitude d’avoir fait une rencontre exceptionnelle, mieux qu’une amie, elle vient de trouver son double. En parcourant les allées du musée, elle ressent une sensation inconnue, comme une présence invisible qui allait la tirer du gouffre et la hisser vers la lumière.
« J’ai voulu tout savoir d’elle. Elle, morte, qui m’avait empoignée, moi, vivante.
Elle, si vivante qu’elle m’avait empoignée, alors que je sombrais. »
Cette présence à ses côté ne quittera plus Laurence qui n’aura de cesse de tout savoir sur Diane, sa vie, son enfance, ses amours, ses enfants, jusqu’aux circonstances de sa mort.
Je referme ce livre profondément émue. Chacun des livres de Laurence Tardieu fait naître en moi un profond sentiment de sérénité et d’apaisement même si elle évoque des évènements dramatiques. Je crois que cela est dû à la luminosité de son écriture.
J’ai eu la chance de la croiser il y a quelques années lors d’une séance de dédicaces et à ce moment-là, son sourire et l’attention qu’elle m’a prêtée m’ont donné l’impression d’avoir rencontré une femme exceptionnelle sensible et délicate à l’image de ses livres.
Est-ce un hasard, un de ceux que l'on nomme les "hasards nécessaires", si les pas de la narratrice la conduisent, justement ce jour-là, vers le musée du Jeu de Paume qui abrite une exposition de la photographe Diane Arbus ? Dans la période chaotique qu'elle traverse, alors que sa vie semble éparpillée en multiples fragments qu'elle ne cesse de scruter pour en trouver le sens profond, les photographies de Diane Arbus lui apportent le fil nécessaire pour recoudre l'étoffe de sa propre histoire. En traversant le miroir offert par les images de la photographe, Laurence T. consent à la réconciliation, sans déni, sans oubli, sans abdication.
J'ai été happée par la luminosité qui se dégage de ces quêtes gémellaires, par ce creusement de soi qui ne trouve sa fin que dans la création. Un cheminement dont l'auteur sait dire toute la douleur et la beauté.
L'auteure est perdue dans sa vie, perdue dans son métier par lequel elle vit tant financièrement que moralement. Elle ne parvient plus à écrire. Un après-midi errant sans but dans les rues de Paris, elle rentre au musée du Jeu de Paume où elle a des souvenirs de petite fille avec ses parents. Dans ce musée se tient une exposition des photographies de Diane Arbus, photographe décédée une il y a une quarantaine d'année. C'et LA rencontre. Une rencontre qui n'aurait pu jamais se faire mais qui va changer sa vie. Lui rendre sa vie.
"A quoi ma rencontre avec Diane Arbus a-t-elle tenu? A rien, à la lumière et à la solitude de ce jour d'automne, au souvenir du musée du Jeu de Paume avec mes parents. A rien. J'en ai rétrospectivement le vertige. Car il y a des rencontres qui sauvent, elles vous saisissent au corps, elles vous soulèvent du sol auquel vous êtes englué, elles vous font passer de la nuit à la lumière."
Bouleversée par cette exposition, par l'émotion ressentie à la vue des photos de l'artiste, Laurence Tardieu va faire des recherches sur cette photographe, va devenir obsédée, hantée par cette femme et par les parallèles entre leur deux vies à quarante ans d'écart. En se plongeant dans la vie de Diane Arbus c'est dans sa propre vie que l'auteure s'immerge. Des souvenirs enfouis lui reviennent. Comme Diane Arbus, Laurence Tardieu se construit grâce à l'écriture, apprend à se connaître grâce à l'écriture, cette écriture qui la fuit.
" Les mots s'écrivaient, je les découvrais. C'était celle que j'étais qui commençait à s'écrire, et que je reconnaissais enfin. C'était celle que j'étais qui commençait à exister. J'avançais vers des territoires interdits : ceux situés de l'autre côté des convenances, des masques, des décors parfaits. J'avançais mot après mot vers le vivant."
Cette écriture vitale, nécessaire à son équilibre mental :
"A chaque livre je retrouvais sans le savoir la chambre de mon enfance. Je descendais en moi, j'allais à la rencontre de tout ce que je ne savais pas nommer. Aujourd'hui, je descends encore, je descends, je rencontre ma douleur, ma folie, ma peur, ma violence, ma joie, ma petitesse, ma force, ma précarité, ma difformité, mon enfance, ma vieillesse, mon langage, mon impudeur, mon envie de vivre, mon envie d'en finir, je rencontre celle que je suis en mille morceaux et j'essaie chaque fois de nommer, pour ne pas demeurer engloutie dans mes propres fonds."
Cette rencontre par delà, le temps, par delà l'espace avec Diane Arbus, une rencontre presque physique va rendre à l'auteure ce qui manquait à sa vie, ce qui faisait sa vie : l'écriture.
Une vie à soi est de ces livres dont plus on arrive vers la fin plus on ralentit le rythme de lecture pour ne pas le refermer. Ce livre sur l'écriture et la vie, sur la vie par l'écriture, la vie pour l'écriture, sur ces rapports vitaux, entre l'artiste est son oeuvre m'accompagnera longtemps. Laurence Tardieu votre livre est de ceux vers lesquels on revient pour s'y replonger régulièrement tant ils est riche en vie et en émotions. Un livre au style à fleur de peau bien au delà d'un simple coup de coeur ce qui a rendu cette chronique bien difficile à écrire.
"J'ai découvert Diane Arbus un dimanche d'automne 2011. Ce jour-là elle est entrée dans ma vie, la percutant de sa lumière crue alors même qu'il me semblait, moi, errer dans ma nuit. J'étais seule, sans enfants, et je m'étais dirigée vers le Musée du Jeu de Paume parce que je n'avais rien à faire et qu'une vague envie m'avait prise de marcher dans les jardins des Tuileries. Depuis des mois, je me sentais enserrée dans un effroi et une souffrance intenses que je ne parvenais à dire à personne. J'essayais de me retenir à tout ce qui tenait, mais rien ne tenait, plus rien ne tenait. Tout s'effritait sous mes doigts."
Ce dimanche d'automne, alors qu'elle est en proie à une crise existentielle qui la terrasse, Laurence Tardieu fait au Jeu de Paume une rencontre qui va bouleverser sa vie. Une rencontre improbable, tout à la fois intensément réelle et absolument distanciée puisqu'il s'agit de Diane Arbus, photographe disparue en 1971... "À quoi ma rencontre avec Diane Arbus a-t-elle tenu ? À rien, à la lumière et à la solitude de ce jour d'automne, au souvenir du Musée du Jeu de Paume avec mes parents. À rien. J'en ai rétrospectivement le vertige. Car il y a des rencontres qui sauvent. Elles vous saisissent au corps, elles vous soulèvent du sol auquel vous êtes englués, elles vous font passer de la nuit à la lumière."
Cette rencontre s'accompagne d'un véritable choc. Alors que la photographie était d'ordinaire un art qui ne suscitait aucune émotion durable chez la romancière, les clichés de Diane Arbus vont être une révélation, dans tous les sens du terme. Chaque photo déclenche une sensation intense, douloureuse, physique qui atteint Laurence Tardieu au ventre. La dernière salle de l'exposition est consacrée à la vie de Diane Arbus. Laurence sent "quelque chose au dedans [d'elle qui s'effondre] lentement."
"Il vient de se passer quelque chose. Quoi, je ne le sais pas encore."
Cette première rencontre bouleversante et intime résonne profondément dans l'esprit, le cœur de la romancière. Elle veut alors tout savoir d'elle et plus elle en apprend sur la photographe, plus elle découvre des correspondances entre leurs vies. Les mots et les images de Diane font resurgir, éclater l'enfance de Laurence, tous les souvenirs enfouis soudain remontent à la surface.
"Le jour, la nuit, Diane Arbus m'a envahie un peu plus. Elle est devenue une sœur, une compagne, un double – je ne sais comment définir le lien insensé qui a commencé à m'unir à elle. Elle est devenue une obsession. Elle ne m'a plus quittée. À moins que ce ne soit moi qui ne l'aie plus quittée. […]Plus je découvrais qui elle avait été, plus des pans entiers de ma vie revenaient à moi, comme les images d'un film oublié qu'elle me faisait revoir. Qu'elle me faisait revivre."
Toute son enfance lui revient : les sons, les voix, le carrelage froid de la cuisine, le si long couloir, les chambres dans lesquelles elle n'ose pas entrer, le silence pesant de l'appartement de la rue d'Eylau. Les souvenirs du temps passé s'écrivent alors au présent tant ils sont vivaces, tant cette exploration du passé, incessante et obstinée se révèle étouffante. L'émotion est débordante, comme en témoignent ces longues phrases sans ponctuation, à bout de souffle. Laurence se reconnaît en Diane comme dans un jeu de miroirs. Jumelles de destinées et de sentiments enfouis, elles ont été toutes deux de petites filles modèles, poupées sages, lisses, sans autre désir que celui de vouloir bien faire. Personne n'a prêté attention à leurs peurs, à leurs cris muets ou même sonores, personne n'a entendu leur appel à vivre dans un autre monde que celui, compassé et froid, qui leur était imposé. Elles ont toutes deux ressenti la solitude et cette impression de ne jamais être vraiment à sa place, de flotter dans un entre-deux incertain. Elles ont toutes deux trouvé leur raison de vivre dans leur fulgurant, impérieux désir de création, l'une dans l'écriture, l'autre dans la photographie. Leurs quêtes s'entrelacent et se confondent...
"Je trouvais tant de résonances entre nos vies. Pas seulement dans nos vies d'artiste, mais aussi nos vies de femme, nos vies de mère. Reconstituer la cohérence de la vie de Diane m'apparaissait si aisé, moi qui avais le sentiment de ne plus parvenir à reconstituer la mienne. Grâce à Diane, soudain, les choses m'apparaissaient limpides : elle me donnait aussi des yeux pour voir ma vie, elle me l'offrait en miroir."
Dans ce livre pudique empreint de mélancolie, Laurence Tardieu nous offre un portrait d'elle-même, dans le miroir de Diane Arbus, une introspection sincère, lucide, sans concession et sans pathos, où les souvenirs difficiles, les souffrances et le désespoir n'empêchent en rien les nuances, l'expression subtile des sentiments. Jamais la romancière ne reste à la surface des choses, elle plonge au plus profond de soi pour mettre à jour ce qui se cache. Le récit est d'autant plus vibrant, personnel qu'il est sous-tendu par cette petite musique singulière qui révèlent des choses fortes et essentielles avec des mots délicats et réservés. L'écriture, parfois répétitive mais toujours à vif, reflète parfaitement le processus de création dans son déroulement, avec ses doutes, ses retours et ses détours.
Son précédent livre, La Confusion des peines, avait déclenché une véritable guerre familiale, épreuve dont la romancière peinait à se relever jusqu'à ce que Diane Arbus lui donne la force de recommencer à écrire, et à vivre. De reprendre la route. Et l'on est heureux, en refermant le livre, d'avoir parcouru ce chemin avec elle.
"Tu es entrée dans ma vie et j'ai retrouvé ce qui au cœur de moi s'était dissous. Lentement, je me suis recomposée. Je me suis redressée. […] Je sais que rien ni personne n'est éternel, que les nuits peuvent vous engloutir entièrement, je sais aussi que je suis vivante."
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