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Une façon de chanter constitue le deuxième volet de l'autobiographie poétique entamée par Jean Rouaud avec Comment gagner sa vie honnêtement. Alors que le premier tome racontait les années d'après mai 68, les voyages en auto-stop, les petits boulots et les expériences hasardeuses des jeunes adeptes de la vie en communauté, Une façon de chanter, à l'occasion de la mort d'un proche, remonte vers l'enfance et l'adolescence. Comme le disparu est ce même cousin qui a offert à l'auteur sa première guitare, ce dernier en profite pour tendre l'oreille vers les lointains de sa jeunesse. Et le moins qu'on puisse dire c'est que la bande-son du village natal était rudimentaire : les cloches de l'église, le marteau du maréchal-ferrant, le cri d'un goret égorgé par le charcutier, et derrière le mur du jardin la seule musique d'un piano sous les doigts de l'oncle Émile.
On comprend pourquoi l'arrivée brusque, par l'entremise du transistor, des groupes anglo-saxons, va bousculer ce monde ancien où l'on chantait encore Auprès de ma blonde. Et pour accompagner cette prise de pouvoir par la jeunesse, pas de meilleur passeport que l'apprentissage de la guitare.
L'intime et le collectif se mêlent dans le flux d'un récit mouvant et drôle, où l'on croise certaines figures déjà rencontrées comme celles de la mère et du père, mais aussi une charmante vieille dame professeur de piano, un naufragé volontaire, une famille allemande accueillante et le jeune Rimbaud plaquant des accords sur un clavier taillé dans sa table de travail. Autant d'évocations que ponctue la très riche bande musicale : Dylan, les Byrds, Graeme Allwright, les Kinks et bien d'autres sont convoqués pour raconter en musique ce changement de monde, sans oublier les refrains balbutiants, composés par un jeune homme sombre derrière lequel on reconnaît Jean Rouaud lui-même.
Par ce nouveau tome de La Vie poétique de Jean Rouaud, je renoue avec la lecture de Comment gagner sa vie honnêtement (2011) déjà louée ici. Les voici de retour ces longues phrases mélodieuses de celui pour qui le saut du coq à l'âne apparaît comme une gymnastique vitale qui protège de la vie prosaïque.
Rouaud est un moine convers de l'autofiction, démontrant avec d'autres qu'elle n'est pas seulement l'étalage cru auquel la critique l'associe. Elle a ses nuances : nostalgique et retenue avec Modiano, intime et existentielle avec Forest, impudique et fracassante avec Duroy. Avec Rouaud, elle est émerveillée et mélancolique.
Au cœur des "jours tristes" perce l'émerveillement : ravissement d'aspects de la vie rurale engloutie de son enfance ; éblouissement de Mai 68 ; culte rendu aux grands anciens (Thoreau, Kerouac, Rezvani et... Rimbaud) ; enchantement du coup de baguette de la fée qui l'a élu écrivain ; charme de son initiation à la musique qui introduit cette fois le souvenir de Joseph, le cousin qui lui a tendu sa première guitare. Guitare et cheveux longs, icônes d'une génération... Ce qui, cet apprentissage, nous vaut quelques pages d’anthologie sur la révolution rock' n' roll.
La note la plus vibrante est la mélancolie... Du bon côté de la mélancolie, je veux dire : le plaisir d'être triste. Une citation de Rimbaud exprime admirablement l'idée, qui inspire le titre : "Si je me plains c'est une espèce de façon de chanter. » L'humour est à l'unisson : le plaisir d'être amusé, mais du côté du doute.
Pour finir, une interrogation : Jean Rouaud ne serait-il pas notre moderne romantique, héritier de l'école éponyme et bien sûr de Rimbaud (ce qui n'est pas incompatible) ? Des chants de La Nuit de mai de Musset, à cette Façon de chanter rimbaldienne, il n'y a qu'un pas... Un pas géant de poète !
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