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Si l'Amérique était un homme, elle aurait pour nom Charlie Croker. Parti de rien, ce colosse blanc aux allures de taureau a bâti, de ses mains, un immense empire immobilier. La ville d'Atlanta a assisté, béate, à son envol ; elle se réjouit aujourd'hui à l'idée de sa chute... Son dernier projet est un désastre et ses créanciers ont flairé l'odeur du sang. Acculé, Croker se voit proposer un marché qui décidera de son honneur ou de son salut. Sa voix est de celles qui comptent : à quelques semaines des élections municipales, son soutien public à Fareek Fanon, footballeur noir accusé d'avoir violé une jeune fille blanche, serait le bienvenu... Politiciens obsédés par le vote noir, nababs racistes, avocats marrons, banquiers rapaces et oubliés de la croissance l'encerclent. Un dilemme américain : rester un homme et tout perdre ou rejoindre la meute ?
Pour qui sonne ce titre, « Un homme, un vrai » ? Que faut-il faire, qui faut-il être pour justifier ce qualificatif dans Atlanta, la ville de Martin Luther King, celle où il est né et où il est enterré ?
Atlanta, capitale de la Géorgie est, à l’échelle des USA, une ville moyenne. Mais elle s’enorgueillit d’être l’une des trois* seules ayant hébergé les Jeux Olympiques d’Eté, ceux du centenaire en 1996 (le roman date de 1998). Siège de Coca Cola et de CNN, elle est à soixante-dix pour cent noire. Si la mairie est occupée par un représentant de la communauté la plus nombreuse, si comme on dit là-bas, « Atlanta is too busy to hate », il n’empêche que le dépliant touristique des JO était curieusement amputé d’une partie de la ville, le sud qui abrite les quartiers noirs pauvres (il y a des quartiers noirs qui sont riches) où les autorités ne souhaitaient visiblement pas que des touristes s’égarent. En résumé, elles ont beau prétendre le contraire, l’un de leurs soucis est d’éviter des émeutes raciales dans ce qui est également la ville de Margaret Mitchell. Alors, quand un « incident » menace de dresser les deux communautés l’une contre l’autre…le maire doit s’en préoccuper.
Un maire retors qui prépare sa réélection, un avocat ambitieux et un peu honteux de n’être pas assez noir, un promoteur mégalomane et imprudent, son ex-femme délaissée qui lui coûte cher, sa nouvelle, de trente ans plus jeune que lui, qui lui coûte encore plus cher, un sportif célèbre aussi inculte qu’antipathique, une jeune héritière qui tente de se faire passer pour une oie blanche, un jeune homme dont le rêve américain a tourné au cauchemar, un cadre de banque vivotant qui voudrait jouer dans la cour des grands, des banquiers aussi imprudents que stupides, un recouvreur de dettes qui utilise les méthodes psychologiques des commandos. Tom Wolfe poursuit sa Comédie Humaine en dépeignant précisément et ironiquement les travers de la société américaine. Le racisme dans toutes ses formes (le blanc comme le noir), la presse, la politique, le mythe de l’éternelle jeunesse, la dictature du corps parfait, l’argent, le divorce, la rumeur, la vanité, la lâcheté, la peur du qu’en dira-ton. Il enchaîne à très vive allure des situations ubuesques, explosives et délicieusement drôles, pour forme un savoureux cocktail.
Alors, qui est vraiment « Un homme, un vrai » ?
« Il jeta sa main droite vers le sol et saisit le serpent à sonnettes par le cou, à la base du crâne. D'un seul geste il se redressa, arrachant le crotale du sol, et il le tint par la tête, à bout de bras devant lui. »
Ca, c’est Charlie Crocker, l’ancien sportif vedette de Georgia Tech, qui est devenu ce promoteur mégalomane dont la tour plane au-dessus de la cité pendant que la faillite plane au-dessus de sa tête, ça pourrait être lui, le gars qui en a ?
« Lentement, il retira son enveloppe de sa poche de chemise et glissa son gros index sous le rabat pour l’ouvrir. Il y avait le chèque rose, comme d’habitude. Et, derrière, il y avait une feuille de papier blanc. Il lut les premiers mots : « En raison d’une réduction nécessaire des capacités de production de cette entreprise, vos services… » Puis il leva les yeux. Kenny et l’Ampoule le fixaient. Il ne parvenait pas à parler. Il ne pouvait que hocher la tête de haut en bas pour leur signifier « oui, c’est vrai. »
Ca, c’est Conrad, le modeste magasinier de Crocker Global Foods, qui a tout perdu, sa femme, ses enfants et sa liberté ? Pourquoi pas lui ? L’un ou l’autre ? Aucun des deux ? Un troisième homme pourquoi pas, le maire ou bien un dénommé Epictète ou encore un autre, un copain avec un drôle de nom, Agrippinus ?
Vous n’en saurez plus qu’après avoir dévoré, comme moi, ce formidable roman qui se lit comme un thriller. D’ici là, ne soyez pas impatients, restez philosophes et, pour faire votre choix, lisez. Vous vous régalerez !
*les deux autres sont Los Angeles et Saint Louis
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