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Ma mère (que Dieu ait son âme !) ne comprenait guère mon sens de l’humour (et d’autres aspects de ma personnalité, mais là n’est pas la question). Elle disait qu’il était incompréhensible que je puisse lire Marcel Proust, Friedrich Nietzsche, Sigmund Freud … et Snoopy. Elle tournait les pages de n’importe quel album avec une mine consternée, tout en me jetant des regards perplexes. Un jour, je lui ai expliqué pourquoi les personnages dessinés par Charles Schulz m’étaient aussi précieux. Ils me faisaient rire parce que dans cette bande dessinée, Charlie Brown, Linus (ah ! Linus), Lucy, Schroeder ou Marcie faisaient écho à mes autres lectures : il suffisait de passer à un autre niveau de perception et d’ainsi jouir du décalage entre la référence et les adorables Peanuts.
Tout ce petit monde de l’enfance est en fait une version miniaturisée du monde des adultes. Mais un monde plus lucide, plus ironique, plus franc, le contraire d’une société empesée par les conventions, les préjugés et l’hypocrisie, celle où évoluait Marcel Proust, tout engoncé dans les mondanités et le paraître. Le plus « cash » est évidemment Snoopy, libre dans sa tête et dans sa vie, de faire tout, de dire tout ; il est celui qui a pour ami Woodstock, son meilleur interlocuteur : il ne répond qu’en chantant (ben, oui, comme dans un film de Jacques Demy). Mais Linus (ah ! Linus) n’est pas en reste : il a décidé de ne pas jeter son doudou, une couverture immonde et poussiéreuse, du genre artefact archéologique sauvé d’une décharge du XXe siècle. Il ne veut pas grandir. Il est la plus émouvante des créatures de Schultz. En même temps, il est la bête noire de Lucy, sa sœur, et est le sujet de moqueries pour Charlie Brown. Mais tout le monde l’aime bien.
Schroeder est l’exemple même du « gai savoir ». Très jeune, il s’est découvert une passion pour le piano et le compositeur allemand Ludwig Beethoven. Depuis, inlassablement, il fait des gammes et des arpèges pour se perfectionner, pour progresser, pour monter sur la montagne sans avoir à en redescendre pour tout recommencer.
Enfin, Lucy comprend très rapidement que le nouveau sport national aux Etats-Unis est la psychanalyse. Du coup, elle ouvre un cabinet qui tient plus du stand de fancy-fair, où elle accueille les autres enfants (à l’exception de Schroeder). Bien souvent, ses conseils et ses avis sont contrecarrés par le bon sens de ses petits patients. Lucy s’autopsychanalyse en venant s’accouder au piano du petit prodige. Souvent, là, elle parle de Charlie Brown qui, lui, a un béguin pour une petite fille rousse. Bref, Jacques Lacan et son célèbre « L'amour qui consiste à donner ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas » ne sont pas loin.
Mais le non-sens des comic strips de Schulz réside dans le décalage entre les préoccupations des adultes et le monde de l’enfance. Et surtout cela fonctionne sur un humour de répétition, autant de variations sur un même thème. Ainsi dans cet album consacré à l’été, les sujets récurrents (l’école, la plage, la colonie, l’ennui, le sport) se déclinent ainsi à plusieurs reprises poussant toujours un peu plus loin le bouchon de l’absurde. Et à chaque fois, cela me renvoie à moi-même, à certains de mes amis ou de mes connaissances, à un personnage célèbre, à l’humanité entière (surtout quand Snoopy nous rappelle que l’animal bête et sanguinaire n’est pas nécessairement celui qu’on pense).
J’ai aussi remarqué que bien de mes amis les plus proches (ceux que j’aime d’amour) adorent Charlie Brown et sa joyeuse ribambelle de copains hilarants. Un signe de reconnaissance entre adultes clairvoyants.
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